La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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je ne suis plus qu'un vieux bonhomme, ami du repos et de l'étude. Sum piger et senior, Pieridumque cornes…

      – Alors, rien ne nous retient plus! s'écria M. Séneschal, qui bouillait d'impatience, ma voiture est attelée! Partons!

      2. De Sauveterre au Valpinson, par la traverse, on ne compte qu'une lieue…

      De Sauveterre au Valpinson, par la traverse, on ne compte qu'une lieue; seulement c'est une lieue de pays, elle a sept kilomètres.

      Mais M. Séneschal avait un bon cheval, le meilleur peut-être de l'arrondissement, affirmait-il, en montant en voiture, à M. Galpin-Daveline et à M. Daubigeon. Le fait est qu'en moins de dix minutes ils eurent rejoint les pompiers, partis bien avant eux.

      Ces braves gens, presque tous maîtres ouvriers de Sauveterre, maçons, charpentiers et couvreurs, se hâtaient cependant de toute leurénergie. Éclairés par une demi-douzaine de torches fumeuses, ils allaient, peinant et soufflant, le long du chemin raboteux, poussant leurs deux pompes et le chariot qui contenait le matériel de sauvetage.

      – Courage, mes amis! leur cria le maire en les dépassant. Bon courage!

      À trois minutes de là, galopant dans la nuit du train d'un cavalier de ballade, un paysan à cheval apparut sur la route.

      M. Daubigeon lui commanda de s'arrêter. Il obéit. C'était le même homme qui déjàétait venu à Sauveterre donner l'alarme.

      – Vous revenez du Valpinson? lui demanda M. Séneschal.

      – Oui, répondit le paysan.

      – Comment va le comte de Claudieuse?

      – Il a repris connaissance.

      – Qu'a dit le médecin?

      – Qu'il s'en tirera probablement. Et moi je cours chez le pharmacien chercher des remèdes.

      Pour mieux entendre, M. Galpin-Daveline, le juge d'instruction, se penchait hors de la voiture.

      – La rumeur publique accuse-t-elle quelqu'un? demanda-t-il.

      – Personne.

      – Et l'incendie?

      – On a de l'eau, répondit le paysan, mais pas de pompes, que voulez-vous qu'on fasse!… Et le vent qui redouble!… Ah! quel malheur, quel malheur!

      Et il piqua des deux, pendant que M. Séneschal rouait de coups son pauvre cheval, lequel, sous ce traitement extraordinaire, loin d'avancer plus vite, se cabrait et faisait des bonds de côté.

      C'est que l'excellent maireétait exaspéré. C'est que ce crime lui paraissait comme un défi à son adresse et la plus cruelle injure qu'on pût faire à son administration.

      – Car, enfin, répétait-il pour la dixième fois à ses compagnons de route, est-il naturel, je vous le demande, est-il logique qu'un malfaiteur soit allé s'adresser précisément au comte et à la comtesse de Claudieuse, à l'homme le plus considérable et le plus considéré de l'arrondissement, à une femme dont le nom est synonyme de vertu et de charité?

      Et intarissable, malgré les cahots de la voiture, M. Séneschal racontait tout ce qu'il savait de l'histoire des propriétaires du Valpinson.

      Le comte Trivulce de Claudieuseétait le dernier descendant d'une des plus vieilles familles du pays. À seize ans, vers 1832, il s'était embarqué en qualité d'enseigne de vaisseau, et pendant de longues années il n'avait fait à Sauveterre que de rares et de brèves apparitions. Ilétait capitaine de vaisseau en 1859, et désigné pour l'épaulette de contre-amiral, lorsque tout à coup il avait donné sa démission etétait venu s'installer au château de Valpinson, lequel ne gardait plus, de ses antiques splendeurs, que deux tourelles tombant en ruine au milieu d'énormes amas de pierres noircies et moussues. Deux années durant, il y avait vécu seul, se ré édifiant tant bien que mal un logis, et, des bribeséparses de la fortune de ses ancêtres, se reconstituant, à force de soin et d'activité, une modeste aisance.

      On pensait bien qu'il finirait ses jours ainsi, lorsque le bruit s'était répandu qu'il allait se marier. Et le bruit, chose rare, était vrai. M. de Claudieuse, un beau matin, était parti pour Paris, et par les lettres de faire-part quiétaient arrivées peu après, on avait appris qu'il venait d'épouser la fille d'un de ses anciens camarades de promotion, Mlle Geneviève de Tassar de Bruc.

      L'étonnement avaitété grand. Le comte avait tout à fait grand air etétait encore remarquablement bien de sa personne; mais il venait d'avoir quarante-sept ans, et Mlle de Tassar de Bruc en avait à peine vingt. Ah! si la nouvelle mariée eûtété pauvre, on eût compris et même approuvé le mariage. Il est si naturel qu'une fille sans dot sacrifie son cœur à la question du pain quotidien. Mais tel n'était pas le cas. Le marquis de Tassar de Bruc passait pour riche et avait, disait-on, compté à son gendre cinquante milleécus.

      Alors, on s'était imaginé que la jeune comtesse devaitêtre laide à faire peur, infirme ou contrefaite pour le moins, idiote peut-être ou d'un caractère impossible. Erreur. Elleétait apparue, et onétait demeuré saisi de sa noble et calme beauté. Elle avait parlé, et chacunétait resté sous le charme. Ce mariageétait-il donc, comme on dit à Sauveterre, un mariage d'inclination? On le crut. Ce qui n'empêcha pas quantité de vieilles dames de hocher la tête et de déclarer que vingt-sept ans, c'est trop entre deuxépoux, et que cette union ne serait pas heureuse.

      Les faits n'avaient pas tardé à démentir ces sombres pronostics. À dix lieues à la ronde, il n'existait pas de ménage aussi parfaitement uni que celui de M. et Mme de Claudieuse, et deux enfants, deux filles, qu'ils avaient eues à quatre ans d'intervalle, devaient avoir, pour toujours, fixé le bonheur à leur paisible foyer.

      De son ancienne profession, de ce temps où il administrait les possessions lointaines de la France, le comte avait, il est vrai, gardé ses habitudes hautaines de commandement, une attitude sévère et froide, une parole brève. Ilétait, de plus, d'une si extrême violence que la plus légère contradiction empourprait son visage. Mais la comtesseétait le calme et la douceur mêmes, et comme elle savait toujours se jeter entre la colère de son mari et celui qui se l'était attirée, comme ilsétaient l'un et l'autre justes, bons jusqu'à la faiblesse, généreux et pitoyables aux malheureux, ilsétaient adorés.

      Il n'y avait guère que sur l'article chasse que M. de Claudieuse n'entendait pas raison. Chasseur passionné, il veillait toute l'année sur son gibier avec la sollicitude inquiète d'un avare, multipliant les gardes et les défenses, poursuivant les braconniers avec un tel acharnement qu'on disait: «Mieux vaut lui voler cent pistoles que lui tuer un merle.»

      M. et Mme de Claudieuse vivaient d'ailleurs assez isolés, absorbés par les soins d'une vaste exploitation agricole et par l'éducation de leurs filles. Ils recevaient rarement, et on ne les voyait pas quatre fois par hiver à Sauveterre, chez les demoiselles de Lavarande ou chez le vieux baron de Chandoré. Tous lesétés, par exemple, vers la fin de juillet, ils s'installaient, pour un mois, à Royan, où ils avaient un chalet. Tous les ans, également, à l'ouverture de la chasse, la comtesse allait, avec ses filles, passer quelques semaines près de ses parents qui habitaient Paris.

      Pour bouleverser cette paisible existence, il ne fallut pas moins que les catastrophes de 1870. En apprenant que les Prussiens vainqueurs foulaient le sol sacré de la patrie, l'ancien capitaine de vaisseau sentit se réveiller en lui tous ses instincts de Français et de soldat. Quoi qu'on pût faire pour le retenir, il partit. Légitimiste obstiné, il se déclarait prêt à mourir pour la République, pourvu que la France fût sauvée. Sans l'ombre d'une hésitation, il offrit sonépée à Gambetta, qu'il détestait. Nommé colonel d'un régiment de marche, il se battit comme un lion, depuis le premier jour jusqu'au dernier, où il fut renversé et foulé aux pieds en essayant d'arrêter l'affreuse débandade d'un des corps d'armée de Chanzy.

      Revenu au Valpinson à la signature de l'armistice, personne, hormis sa femme, n'avait pu lui arracher un mot de cette douloureuse campagne. On l'engageait à se présenter auxélections, et certainement il eûtété élu; il refusa, disant que s'il savait se battre, il ne savait pas discourir.

      Mais c'est d'une


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