Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 1 - Fortuné du Boisgobey


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qui l’a emmenée à Madrid où il est mort peu de temps après, en lui léguant par testament une somme importante.

      «Revenue aussitôt à Paris, Julie Berthier a profité de l’indépendance que lui assurait ce legs pour se lancer dans le monde des femmes galantes et pour s’y créer une situation exceptionnelle. Sa beauté, son éducation, son esprit l’ont promptement conduite à la fortune. A eu, avant, pendant et depuis cette liaison, de nombreuses intrigues. Est, en ce moment, la maîtresse attitrée d’un jeune homme appartenant à une excellente famille.»

      Gaston lisait tout haut. À ce passage, son oncle se mit à rire.

      – C’est de toi qu’il s’agit, mon cher, dit-il, et si le policier qui a rédigé ce rapport ne t’a pas nommé, c’est qu’il sait que tu es mon neveu. Mais il te connaît. Tu es noté à la Préfecture. Bonne recommandation pour te faire attacher au parquet!

      – Mais, s’écria Gaston, il est mal informé, votre policier, il aurait dû mettre: était en dernier lieu la maîtresse de…

      – Tu me la bailles belle, avec ton dernier lieu. La police ne tient pas registre jour par jour des variations du cœur de ces dames. Elle n’y suffirait pas. Et, après tout, il n’y a pas si longtemps que tu t’es tiré des griffes de la d’Orcival. Je t’ai aperçu l’autre jour avec elle, dans une baignoire des Variétés, à la première du Grand Casimir… où, entre parenthèses, je me suis bien amusé. Quand donc as-tu rompu?

      – Hier.

      – Diable! il était temps. Continue cette lecture intéressante.

      Gaston, assez décontenancé, reprit:

      «Entre autres connaissances, Julie Berthier a fait, il y a trois ans, celle du soi-disant comte Golymine. Ce personnage, qui s’appelait, à ce qu’on croit, de son véritable nom, Lemberg, était né en Gallicie, et avait beaucoup voyagé en Europe et en Amérique. Menait grand train à Paris, sans que personne connût l’origine de sa fortune. A été accusé en Russie de fabriquer de faux billets de banque, et soupçonné en France de pratiquer le chantage. Ces soupçons étaient d’autant plus vraisemblables qu’il a été l’amant de plusieurs femmes très haut placées. N’a cependant jamais été l’objet d’aucune plainte administrative. Soumis pendant un an à une surveillance qui n’a révélé à sa charge d’autres faits que sa liaison intime avec certains personnages aussi suspects que lui, quoique fréquentant les salons et les cercles. Cette surveillance a cessé depuis six mois, parce que le comte se montrait beaucoup moins et paraissait être tombé dans la gêne. Il a été question de la reprendre au moment où les attaques nocturnes sont devenues fréquentes dans les rues de Paris. Une lettre anonyme, adressée à M.  le préfet, signalait Golymine comme étant le chef occulte d’une bande composée de gens bien placés en apparence et renseignant des malfaiteurs subalternes sur les personnes riches qui circulent la nuit avec des valeurs en poche. Rien ne prouvait, du reste, que cette dénonciation fût fondée, et il n’y a pas été donné suite.»

      – Chef de brigands! dit M.  Darcy. Je ne m’étonne plus que les femmes raffolassent de lui. Mais je ne crois pas beaucoup à l’organisation des voleurs de nuit. Les agents ont de l’imagination maintenant. La lecture des romans judiciaires les a gâtés.

      Gaston aurait pu fournir à son oncle un renseignement tout frais sur les procédés de ces messieurs, mais il était décidé à ne parler de sa mésaventure à personne, et, de plus, le rapport l’intéressait assez pour qu’il lui tardât de le connaître tout entier.

      Il se remit donc à lire:

      «De toutes les informations recueillies sur Golymine et sur Julie Berthier ressortait une présomption de connivence entre eux, présomption qui devait nécessairement éveiller l’attention de la Préfecture, aussitôt que le suicide a été connu. Le commissaire a dû examiner avant tout si la mort du comte n’était pas le résultat d’un crime. Les témoignages et les constatations médicales n’ont laissé aucun doute à cet égard. Golymine s’est suicidé à la suite d’une violente altercation avec son ancienne maîtresse. La disposition de l’appartement et l’absence des domestiques expliquent comment il a pu se pendre, sans que Julie Berthier en ait eu connaissance. Elle a, du reste, envoyé au commissariat du quartier, aussitôt qu’elle a appris l’événement par sa femme de chambre qui, la première, a découvert le cadavre.

      «On a trouvé sur Golymine une somme de trente mille francs en billets de banque, quatre cent soixante-dix francs en or, une montre de prix et des bijoux d’une assez grande valeur. Il est donc certain qu’aucun vol n’a été commis.

      «Golymine n’avait d’ailleurs, dans son portefeuille ou dans ses poches, ni lettres, ni papiers. Des recherches effectuées ce matin dans l’appartement meublé qu’il occupait rue Neuve-des-Mathurins n’ont fait découvrir aucun document écrit. On a cependant des raisons de croire que Golymine était détenteur de correspondances compromettantes pour l’honneur de certaines personnes. Et il n’est pas impossible que sa dernière visite à Julie Berthier ait eu pour objet ces correspondances. Les rapports qui ont existé entre eux autrefois autorisent cette supposition. Mais, pour la vérifier, une perquisition dans le domicile de Julie Berthier serait indispensable, et le commissaire n’a pu prendre sur lui de l’ordonner. Julie Berthier, dite Julia d’Orcival, est liée avec des hommes du meilleur monde, et l’application de cette mesure pourrait présenter quelques inconvénients.»

      – On trouverait tes billets doux, mon garçon, dit en riant M.  Darcy.

      – Oh! on en trouverait fort peu, et ceux qu’on trouverait ne sont pas d’un style bien tendre: «Ce soir, à sept heures et demie, au café Anglais», ou «Je n’ai pu avoir d’avant-scène pour ce soir.»

      – Oui, je sais que la belle jeunesse dont tu fais partie affecte l’indifférence à l’endroit des femmes… ce qui ne l’empêche pas, d’ailleurs, de se ruiner avec elles. Mais je crois qu’il te serait fort désagréable d’être mêlé, d’une façon quelconque, à cette vilaine histoire… surtout maintenant que tu as brisé le doux lien qui t’enchaînait, dirait M.  Prudhomme. Rassure-toi. On ne perquisitionnera pas chez ton ex-belle. Dans le premier moment, les gens de la police avaient vu dans ce suicide une affaire mystérieuse. On parlait déjà de me charger de l’instruction. En y regardant de plus près, on a vu qu’il n’y avait rien, et tout se bornera à un procès-verbal. J’en suis bien aise pour toi… et même pour moi. Le souvenir de tes amours avec la d’Orcival m’aurait gêné.

      – Maintenant, parlons d’autre chose.

      – Bien volontiers, dit Gaston.

      – Je te tiens, je ne te lâche plus. Tu vas dîner avec moi. Il y a un cuissot de chevreuil dont tu me diras des nouvelles.

      Et, comme le neveu faisait mine de vouloir s’excuser, l’oncle s’écria:

      – Ne t’avise pas de me conter que tu as promis à des godelureaux de ta connaissance de les rejoindre au restaurant. Tu ne dînes pas avec ta princesse, puisque vous êtes brouillés sans retour. Donc, tu dînes avec moi. Et, en attendant, prépare-toi à écouter un discours sérieux.

      – Je suis en excellentes dispositions pour le goûter.

      – Alors, je vais au fait, sans préambules. Tu veux être magistrat; c’est fort bien, mais ce n’est pas assez. Il faut que tu te maries.

      – Je n’y répugne pas.

      – Bon! voilà qui est admirable. Et je te félicite d’être devenu si accommodant sur ce chapitre. Il n’y a pas huit jours, quand je te parlais mariage, tu te cabrais comme un cheval rétif. Il est vrai que tu étais en tutelle. Ta Julia n’entendait pas de cette oreille-là, et elle te menait par le bout du nez. Je patientais parce que je suis un oncle gâteau. Mais, à présent, je ne plaisante plus. Tu vas doubler le cap de la trentaine, mon cher. C’est le moment. Plus tard, tu aurais une foule de raisons à mettre en avant pour rester garçon, et c’est ce que je ne permettrai pas. Je veux des héritiers. J’ai toi, mais ça ne me suffit pas. Il me faut des petits Darcy qui


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