Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 1 - Fortuné du Boisgobey


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m’y opposer… il ne prévoyait pas que ce serait moi qui le trouverais… mais je l’ai, et personne ne le verra, car je vais le brûler… et personne non plus ne verra mes lettres.

      Elle exposa le feuillet à la flamme de la bougie, et, en un clin d’œil, il ne resta plus de cet étrange testament que des cendres.

      Mais les lettres étaient dans la poche du mort.

      – Je n’oserai jamais les prendre, dit-elle tout bas.

      L’embrasure que Golymine avait choisie pour mourir était à six pas du dressoir, et le cadavre se détachait comme un fantôme noir sur les vitraux clairs. La galerie s’emplissait de ténèbres. Partout, le silence, un silence de tombe. Julia, terrifiée, frissonnait de la tête aux pieds.

      – Il le faut, dit-elle tout bas. Cette bougie va s’éteindre… et Mariette peut venir… je ne veux pas qu’elle me trouve ici.

      Elle saisit le bougeoir d’une main tremblante et elle avança vers la fenêtre. Sa gorge se serrait, ses lèvres étaient sèches, et elle éprouvait à la racine des cheveux la sensation que cause le contact passager d’un fer rouge. Chaque pas qu’elle faisait retentissait douloureusement dans son cerveau. Parfois, il lui semblait qu’elle entendait une voix, la voix de Golymine qui l’appelait.

      En arrivant à l’embrasure, elle ferma les yeux, et peu s’en fallut qu’elle ne laissât encore une fois tomber son flambeau.

      Les pieds du pendu touchaient presque le parquet, car le cordon s’était allongé sous le poids de ce grand corps; sa tête s’inclinait sur sa poitrine, et son visage disparaissait dans le collet de fourrures de sa pelisse.

      Mais pour trouver le portefeuille, il fallait toucher le cadavre, fouiller les habits.

      – Non, je ne peux pas, murmura Julia sans oser lever les yeux.

      Et si elle eût été obligée de porter la main sur ce mort, de palper cette poitrine où un cœur ardent avait battu pour elle, l’horreur eût été plus forte que l’intérêt.

      Mais il était écrit qu’elle irait jusqu’au bout. Ses yeux qu’elle tenait baissés, de peur de revoir les traits de l’homme qui l’avait adorée, ses yeux aperçurent, dépassant une des poches de côté de la pelisse, le bout d’un portefeuille.

      Certes, Golymine l’avait placé là avec intention. Il tenait à ce qu’on le trouvât, et ce n’était pas pour être agréable à son ancienne maîtresse qu’il avait pris cette précaution.

      Madame d’Orcival comprit cela, et ses scrupules s’envolèrent. Elle posa le bougeoir sur la table de Boulle où devait se trouver encore la carte de visite du comte, prit du bout des doigts le portefeuille et l’ouvrit.

      Elle en tira d’abord des billets de banque, trois liasses de dix mille, les dernières cartouches du vaincu de la vie parisienne, le viatique mis en réserve pour passer à l’étranger.

      Julia regarda à peine ces papiers soyeux que, d’ordinaire, elle ne méprisait pas tant, et ouvrit d’une main fiévreuse les autres compartiments du portefeuille. Elle y trouva ce qu’elle cherchait, des lettres attachées ensemble par un fil de soie, des lettres d’où s’exhalait un parfum doux comme l’odeur du thé, des reliques d’amour qui n’étaient pas toutes de la même sainte, car Golymine avait eu beaucoup de dévotions particulières.

      Madame d’Orcival les prit, remit les billets de banque dans le portefeuille, le portefeuille dans la poche du mort, et sortit de la galerie sans oser se retourner.

      Quand elle se retrouva dans son salon, joyeusement éclairé, le sang-froid lui revint. Elle le traversa, rentra sans bruit dans le boudoir, et s’y enferma au verrou.

      Mariette aurait pu entrer sans qu’elle l’appelât, et elle ne voulait pas que Mariette vît les lettres.

      Son plan était déjà arrêté. Elle avait résolu de sonner la femme de chambre, de l’envoyer, sous un prétexte quelconque dans la bibliothèque, et d’attendre que cette fille revînt lui annoncer qu’elle y avait trouvé un pendu. Pour que personne ne lui demandât d’explication, il fallait que personne ne crût qu’elle avait trouvé le cadavre avant tout le monde, et ne l’accusât d’avoir touché au portefeuille.

      Mais d’abord Julia voulait brûler ses lettres. C’était pour pouvoir anéantir les preuves de son ancienne liaison avec Golymine qu’elle avait eu le terrible courage de les prendre.

      Elle allait jeter le paquet au feu, mais elle se ravisa. Il lui sembla qu’il était plus gros qu’il n’aurait dû l’être, s’il n’avait contenu que sa correspondance à elle.

      Elle défit précipitamment le cordonnet de soie, et elle vit que les billets doux avaient été divisés par le comte en quatre paquets. Ce fougueux amant mettait de l’ordre dans ses papiers de cœur, comme s’il se fût agi de papiers d’affaires.

      Julia avait sa liasse. Elle reconnut tout de suite son écriture, et elle fut assez surprise de trouver, épinglée sur cette liasse, une étiquette portant cette mention très explicite:

      «Madame d’Orcival, boulevard Malesherbes, 199.»

      – On aurait su à quoi s’en tenir, dit-elle avec amertume.

      Elle fut encore plus étonnée quand elle s’aperçut que chacun des trois autres paquets portait aussi un nom et une adresse.

      – Pourquoi a-t-il fait cela? se demanda-t-elle. Voulait-il se servir de ces lettres pour exploiter celles qui les ont écrites? On l’a accusé autrefois d’avoir abusé par ce procédé des faiblesses qu’une grande dame avait eues pour lui. Non, je crois plutôt qu’il se réservait de prendre un parti après m’avoir vue. Si j’avais consenti à le suivre à l’étranger, peut-être aurait-il cherché à profiter des secrets qu’il possédait. Il lui restait fort peu d’argent… et ce n’est pas à moi qu’il en aurait demandé. Quand il a pris la résolution de mourir, parce que je refusais de partir avec lui, il n’a plus songé qu’à se venger de moi.

      Il savait bien que le commissaire de police n’hésiterait pas à ouvrir une enquête sur la d’Orcival, et que, pour éviter un scandale, il s’empresserait de détruire ou de restituer les autres correspondances. Je ne suis qu’une femme galante, moi, tandis que mes rivales sont des femmes mariées, j’en suis sûre.

      Et après avoir réfléchi quelques secondes:

      – Si je voulais pourtant!… les noms y sont… il ne tiendrait qu’à moi de faire ce que Golymine aurait peut-être fait, s’il ne s’était pas tué. Pourquoi aurais-je pitié de celles qui me méprisent? La baronne du Briage a changé son jour d’opéra parce que sa loge est à côté de la mienne, et qu’elle ne veut pas être ma voisine. Oui, mais il ne s’agit pas d’elle. De qui sont ces lettres?

      Madame d’Orcival lut le nom qui désignait la destinataire du premier paquet.

      – Je ne la connais pas, murmura-t-elle. Une bourgeoise sans doute. Si c’était une des grandes mondaines qui vont aux bois et aux premières, j’aurais entendu parler d’elle. Pauvre femme! dans quelles transes va la jeter la nouvelle du suicide de Golymine! Et comme elle me bénira quand je lui rendrai ses lettres! Car je veux les lui rendre. Pourquoi chercherais-je à lui nuire?

      »Voyons les autres.

      À peine eut-elle jeté les yeux sur la seconde liasse qu’elle s’écria:

      – Elle! ces lettres sont d’elle! Ah! je savais bien qu’il avait été son amant, quoiqu’il l’ait toujours nié. La marquise s’est donnée à un aventurier. Et tous ces imbéciles qui ont lapidé Golymine avec des boules noires se disputeraient l’honneur d’épouser cette créature, si elle ne dédaignait leurs hommages! Ah! je les lui rendrai peut-être ses lettres, mais je ferai mes conditions… et ce n’est pas de l’argent que j’exigerai.

      À ce moment, on frappa doucement à la porte du boudoir, et, avant de tirer le verrou, madame d’Orcival cacha la correspondance dans la poche de son peignoir.

      Il


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