Les trappeur de l'Arkansas. Gustave Aimard

Les trappeur de l'Arkansas - Gustave  Aimard


Скачать книгу
retirée au fond de ses demeures, la ville d’Hermosillo, si calme et si tranquille d’ordinaire, offrait un aspect étrange.

      Une foule de leperos, de gambusinos, de contrebandiers et surtout de rateros se pressait avec des cris, des menaces et des hurlements sans nom, dans la calle del Rosario – rue du Rosaire. Quelques soldats espagnols – le Mexique à cette époque n’avait pas encore secoué le joug de la métropole – cherchaient en vain à rétablir l’ordre et à dissiper la foule, frappant à tort et à travers à grands coups de bois de lances sur les individus qui se trouvaient devant eux.

      Mais le tumulte loin de diminuer allait au contraire toujours croissant, les Indiens Hiaquis surtout, mêlés à la foule, criaient et gesticulaient d’une façon réellement effrayante.

      Les fenêtres de toutes les maisons regorgeaient de têtes d’hommes et de femmes qui, les regards fixés du côté du Cerro de la campana, du pied duquel s’élevaient d’épais nuages de fumée en tourbillonnant vers le ciel, semblaient être dans l’attente d’un événement extraordinaire.

      Tout à coup de grands cris se firent entendre, la foule se fendit en deux comme une grenade trop mûre, chacun se jeta de côté avec les marques de la plus grande frayeur et un jeune homme, un enfant plutôt car il avait à peine seize ans, apparut emporté comme dans un tourbillon par le galop furieux d’un cheval à demi sauvage.

      – Arrêtez-le ! criaient les uns.

      – Laissez-le ! vociféraient les autres.

      – Valgamedios ! murmuraient les femmes en se signant, c’est le démon lui-même.

      Mais chacun, loin de songer à l’arrêter, l’évitait au plus vite ; le hardi garçon continuait sa course rapide, un sourire railleur aux lèvres, le visage enflammé, l’œil étincelant et distribuant à droite et à gauche de rudes coups de chicote à ceux qui se hasardaient trop près de lui, ou que leur mauvais destin empêchait de s’éloigner aussi vite qu’ils l’auraient voulu.

      – Eh ! eh ! Caspita ! fit lorsque l’enfant le frôla en passant un vaquero à la face stupide et aux membres athlétiques, au diable soit le fou qui a manqué me renverser ! Eh mais, ajouta-t-il après avoir jeté un regard sur le jeune homme, je ne me trompe pas, c’est Rafaël, le fils de mon compère ! attends un peu, picaro !

      Tout en faisant cet aparté entre ses dents, le vaquero déroula le lasso qu’il portait attaché à sa ceinture et se mit à courir dans la direction du cavalier.

      La foule qui comprit son intention applaudit avec enthousiasme.

      – Bravo ! bravo ! cria-t-elle.

      – Ne le manque pas, Cornejo ! appuyèrent des vaqueros en battant des mains.

      Cornejo, puisque nous savons le nom de cet intéressant personnage, se rapprochait insensiblement de l’enfant devant lequel les obstacles se multipliaient de plus en plus.

      Averti du péril qui le menaçait par les cris des assistants, le cavalier tourna la tête.

      Alors, il vit le vaquero.

      Une pâleur livide couvrit son visage, il comprit qu’il était perdu.

      – Laisse-moi me sauver, Cornejo, lui cria-t-il avec des larmes dans la voix.

      – Non ! non ! hurla la foule, lassez-le ! lassez-le !

      La populace prenait goût à cette chasse à l’homme, elle craignait de se voir frustrer du spectacle qui l’intéressait à un si haut point.

      – Rends-toi ! répondit le géant, ou sinon, je t’en avertis, je te lasse comme un Ciboto.

      – Je ne me rendrai pas ! dit l’enfant avec résolution.

      Les deux interlocuteurs couraient toujours, l’un à pied, l’autre à cheval.

      La foule suivait en hurlant de plaisir.

      Les masses sont ainsi partout, barbares et sans pitié.

      – Laisse-moi, te dis-je, reprit l’enfant, ou je te jure, sur les âmes bénies du purgatoire, qu’il t’arrivera malheur !

      Le vaquero ricana et fit tournoyer son lasso autour de sa tête.

      – Prends garde, Rafaël, dit-il, pour la dernière fois, veux-tu te rendre ?

      – Non ! mille fois non ! cria l’enfant avec rage.

      – À la grâce de Dieu, alors ! fit le vaquero.

      Le lasso siffla et partit.

      Mais il se passa une chose étrange.

      Rafaël arrêta court son cheval comme s’il eût été changé en un bloc de granit et s’élançant de la selle, il bondit comme un jaguar sur le géant que le choc renversa sur le sable, et avant que personne pût s’y opposer, il lui plongea dans la gorge le couteau que les Mexicains portent toujours à la ceinture.

      Un long flot de sang jaillit au visage de l’enfant, le vaquero se tordit quelques secondes, puis resta immobile.

      Il était mort !

      La foule poussa un cri d’horreur et d’épouvante.

      Prompt comme l’éclair, l’enfant s’était remis en selle et avait recommencé sa course désespérée en brandissant son couteau et en riant d’un rire de démon.

      Lorsque après le premier moment de stupeur passé, on voulut se remettre à la poursuite du meurtrier, il avait disparu.

      Nul ne put dire de quel côté il avait passé.

      Comme toujours en pareille circonstance, le juez de letras – juge criminel flanqué d’une nuée d’alguazils déguenillés – arriva sur le lieu du meurtre lorsqu’il était trop tard.

      Le juez de letras, don Inigo tormentos Albaceyte, était un homme de quelque cinquante ans, petit et replet, à la face apoplectique, qui prenait du tabac d’Espagne dans une boîte d’or enrichie de diamants, et cachait sous une apparente bonhomie une avarice profonde doublée d’une finesse extrême et d’un sang-froid que rien ne pouvait émouvoir.

      Contrairement à ce qu’on aurait pu supposer, le digne magistrat ne parut pas le moins du monde déconcerté de la fuite de l’assassin, il secoua la tête deux ou trois fois, jeta un regard circulaire sur la foule, et clignant son petit œil gris :

      – Pauvre Cornejo, dit-il en se bourrant philosophiquement le nez de tabac, cela devait lui arriver un jour ou l’autre.

      – Oui, dit un lepero, il a été proprement tué.

      – C’est ce que je pensais, reprit le juge, celui qui a fait le coup s’y connaît, c’est un gaillard qui en a l’habitude.

      – Ah ! bien oui, répondit le lepero en haussant les épaules, c’est un enfant.

      – Bah ! fit le juge avec un feint étonnement et en lançant un regard en dessous à son interlocuteur, un enfant !

      – À peu près, dit le lepero, fier d’être ainsi écouté, c’est Rafaël, le fils aîné de don Ramon.

      – Tiens, tiens, tiens, dit le juge avec une secrète satisfaction, mais non, reprit-il, ce n’est pas possible, Rafaël n’a que seize ans tout au plus, il n’aurait pas été se prendre de querelle avec Cornejo qui, rien qu’en lui serrant le bras, en aurait eu raison.

      – C’est cependant ainsi, Excellence, nous l’avons tous vu, Rafaël avait joué au monté chez don Aguilar, il paraît que la chance ne lui était pas favorable, il perdit tout ce qu’il avait d’argent, alors la rage le prit, et pour se venger, il mit le feu à la maison.

      – Caspita ! fit le juge.

      – C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, Excellence, regardez, on voit encore la fumée quoique la maison soit déjà en cendres.

      – En effet, fit le juge en jetant un regard du côté que lui indiquait le lepero, et ensuite…

      – Ensuite, continua l’autre,


Скачать книгу