Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi

Le sergent Simplet - Paul  d'Ivoi


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la reine; tu es blanc, donc ennemi. Cependant, tu n’as plus rien à craindre, car Roumévo est reconnaissant. Il veut faire avec toi le serment de sang.

      – Accepte, souffla Bérard à son ami. Ce moricaud va nous sauver.

      – Faisons le serment de sang.

      – À la halte, chez le chef, afin qu’il soit garant que nous devenons frères. Viens chercher la jeune fille blanche qui voyage avec toi, puis nous gagnerons le village tout proche de Sambecoïré.

      Le sous-officier avait tressailli.

      – Tu sais qu’une jeune fille…

      – T’accompagne? Oui. Roumévo sait beaucoup de choses. Sans plus, il courut au lémurien, sorte de maki haut de un mètre cinquante, au pelage noir et gris. À l’aide de son couteau il l’eut tôt écorché. Il choisit alors quelques morceaux de viande – les plus savoureux sans doute – les enroula dans la dépouille sanglante qu’il jeta sur son épaule et s’adressant aux Français:

      – Venez, il nous faut arriver avant la nuit.

      Tout en marchant, il expliquait à Dalvan comment il avait été surpris par le maki. Suivant l’habitude de ses congénères – Madagascar en compte dix-huit espèces dont la plus petite a la taille d’une souris – l’animal était perché sur une maîtresse branche lorsque Roumévo l’avait aperçu. Lui envoyer une flèche avait été l’affaire d’un instant. Mais sur une liane le projectile avait dévié, blessant la bête sans l’atteindre dans les œuvres vives.

      Furieux, le lémurien s’était laissé tomber. Surpris par son mouvement, le Hova s’était senti étreint par ses bras vigoureux avant d’avoir songé à l’éviter. Il était perdu sans l’intervention du blanc. Des confidences l’indigène passa à l’interrogation:

      – Où vas-tu?

      – À Antananarivo.

      – Bien. J’y retourne moi-même; tu verras qu’un frère peut aplanir la route de son frère.

      – Décide les habitants à nous vendre des provisions et…

      – Je les déciderai.

      – Tu sais pourquoi ils refusent?

      Roumévo eut un rire railleur.

      – Oui.

      – Et c’est?…

      – Je ne dois pas parler avant le serment de sang. Après je n’aurai plus de secrets pour toi, car ta langue se refuserait à répéter les confidences de ton frère malgache.

      – Vois-tu, expliqua Claude à son compagnon, le serment dont il te parle est sacré. Fourbe, menteur, voleur, le Hova devient loyal quand il l’a prêté. Il accorde à son « frère » la confiance la plus absolue, et lui-même mérite qu’on ait foi entière en lui.

      – Qu’est ce serment?

      – Tu le verras.

      On atteignait le campement, et Yvonne, inquiète de la longue absence de ses fidèles, accourait au-devant d’eux.

      En dix minutes la petite troupe fut prête à partir. Longeant le lit du ruisseau voisin, elle se dirigea, guidée par Roumévo, vers le village de Sambecoïré. Une promenade de trois quarts d’heure la conduisit en face d’une cinquantaine d’habitations, aux toits pointus couverts en ravenala et supportés par des poutres formant véranda tout à l’entour.

      Établies au fond d’une vallée riante, où le ruisseau élargi formait un lac miniature, les maisons coquettement groupées s’abritaient sous des cocotiers au tronc flexible, des arbres à pain, des sagoutiers dont la moelle séchée fournit une excellente farine. Des rafias énormes, au tronc trapu, aux palmes découpées en mille folioles, suspendaient à dix mètres de hauteur leurs grappes de fruits lourdes de cent à cent cinquante kilogrammes. Et sans craindre la chute de ces régimes dangereux pour le promeneur, des indigènes couchés à l’ombre écoutaient un sekaste, qui chantait en s’accompagnant de la guitare à une corde.

      Vêtu ainsi qu’une femme, le visage fardé, le musicien prenait des attitudes bizarres, faisait des effets de hanches.

      – Un troubadour, murmura Claude.

      – Ce singe?

      À l’exclamation de Marcel le « Marsouin » répliqua:

      – Comme tu le dis. Ce singe va de village en village. Il improvise un chant de guerre, d’amour; il conte les luttes des dieux. Tu le sais, les Malgaches sont superstitieux en diable. On l’héberge, on lui fait des présents. Avec les troubadours, cela ne se passait pas autrement.

      Un certain mouvement se manifesta parmi les auditeurs du sekaste. Les blancs avaient été aperçus. Mais Roumévo partit en avant, parla longuement au chef et enfin fit signe à ses compagnons d’approcher.

      Cette fois personne ne les insulta. Plusieurs hommes débarrassèrent une cabane. On l’offrit aux voyageurs. Puis des jeunes filles leur apportèrent des noix de coco emplies de vin de palme, du filet de sanglier, des boules vertes de l’arbre à pain cuites sous la cendre. De bon appétit ils dînèrent. Comme le repas touchait à sa fin, Roumévo s’adressa à Marcel:

      – Viens, c’est l’heure du serment.

      Sur un signe de Bérard, Marcel tendit la main au Malgache, et tous deux, suivis par leurs amis, se dirigèrent vers la place centrale du village.

      Déjà tous les habitants y étaient rassemblés. Assis en cercle, ils avaient laissé libre un assez large espace, au milieu duquel était un vase de terre.

      À l’arrivée des héros de la cérémonie tous poussèrent un cri guttural.

      Puis il se fit un grand silence. Le chef du village se leva. Pour faire honneur à ses hôtes il avait noué sur ses épaules la fourrure du maki, dont Roumévo lui avait fait présent. Il prononça quelques paroles et aussitôt un ombiache – espèce de sorcier – drapé dans une pièce d’étoffe rouge, entra dans le cercle. À sa ceinture une sagaie, un couteau triangulaire et une petite pochette de cotonnade jaune se balançaient. Il portait une cruche à la main. Dans le vase posé à terre il vida l’eau contenue dans le récipient. Deux fois il en fit le tour en prononçant une incantation bizarre, et prenant la sagaie, il en trempa la pointe dans le liquide. Sur son invitation, Marcel et Roumévo saisirent la hampe de l’arme à pleines mains.

      La foule semblait pétrifiée. Pas un mouvement, pas un murmure.

      Le silence impressionnait le sous-officier. Il avait craint de rire d’abord, maintenant, à l’attitude de tous, il comprenait que Bérard lui avait dit vrai: le serment du sang est chose sacrée.

      Cependant l’ombiache, puisant dans son sac jaune, en tirait des pièces de monnaie d’argent, de la poudre, des pierres à fusil, des balles, de petits morceaux de bois. Après quoi, il se prosterna dans la direction de chacun des points cardinaux, ramassant chaque fois une pincée de terre, qu’il jeta avec tout le reste dans l’eau.

      À cet instant, les guerriers de la tribu entre-choquèrent leurs armes, et le sorcier, empoignant son couteau triangulaire, en frappa à petits coups la hampe de la sagaie que tenaient Roumévo et Marcel. Son visage se contracta; ses yeux eurent des lueurs, et, comme inspiré, d’une voix surhumaine, il appela les divinités de la nuit, les chargeant de punir celui des deux contractants qui enfreindrait les obligations du serment.

      Les assistants courbaient la tête. Sous les arbres, les échos endormis s’éveillaient pour renforcer les imprécations de l’ombiache. Il se tut enfin.

      Alors Roumévo prit le couteau, s’incisa légèrement la poitrine et fit tomber quelques gouttelettes de sang dans un cornet contenant de l’eau puisée au vase. Marcel procéda de même. Échangeant alors leurs cornets, ils burent leur contenu, s’infusant ainsi le sang l’un de l’autre.

      Une clameur joyeuse s’éleva. Le serment du sang était juré. Dalvan et le Hova devenaient frères. Quant à Bérard, il se frottait les mains, expliquant à Yvonne


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