Les Contes de nos pères. Paul Feval

Les Contes de nos pères - Paul  Feval


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branchage épais des arbres du parc, une voix douce, voix d’enfant ou de femme, chantait les couplets d’une chanson connue de tout habitant du pays de Vannes. Elle disait ces naïves paroles, si populaires dans les bruyères morbihannaises :

      C’est au pays de Bretagne

      Qu’on fait de jolis sabots ;

      Tenez vos petits pieds chauds,

      Ma belle brune…

      Et vous, gars à marier,

      Cherchez fortune !

      M. de Graives n’entendait rien et lisait son livre d’Heures.

      – Janet ! prononça bien bas Mme de Thélouars qui tâchait de passer sa tête à travers la meurtrière.

      La voix cessa de chanter.

      – Janet Legoff ! répéta Henriette.

      – Qui m’appelle ? dit la voix avec une expression d’étonnement inquiet.

      Avant qu’Henriette pût répondre, on entendit armer un pistolet sous le feuillage. Aussitôt un bruit de pas agiles et précipités retentit sur le gazon du parc, et la voix, lointaine maintenant, continua avec un accent de bravade :

      Les rochers y sont de pierre,

      De pierre du haut en bas ;

      Le soleil ne les fond pas,

      Non plus la lune…

      Et vous, gars à marier,

      Cherchez fortune !

      III. LE RÉGENT

      Cette même nuit, vers une heure du matin, M. de Thélouars fut éveillé par une inquiétante nouvelle. Les insurgés étaient cantonnés au château de K…, à trois lieues de Ploërmel. Ils étaient au nombre de trois cents environ, et, dans ce nombre, se trouvaient les deux fils de M. le marquis de Graives. On avait tenu conseil jusqu’à minuit ; Armand venait de se mettre au lit, lorsque arriva l’un des hommes de la suite de sa femme : l’escorte s’était dispersée ; on ne savait ce qu’était devenue Mme de Thélouars.

      Presque au même instant, un message de M. de Silz annonça le départ de Vannes d’un détachement de cent hommes, se dirigeant du côté de la Gacilly. Ce dernier événement rendait la position d’Henriette fort dangereuse. Armand le sentit, et ne fut pas le seul à le sentir. Janet Legoff, qui était couché sur un lit de camp dans un coin de la chambre, sauta sur ses pieds, et remit silencieusement sa veste qu’il avait ôtée pour dormir.

      Malgré sa préoccupation, M. de Thélouars remarqua ce mouvement.

      – Que fais-tu, Janet ? dit-il.

      – Va bien falloir envoyer quelqu’un pour savoir, répondit Janet le plus simplement du monde.

      – C’est un homme qu’il faut pour cela, mon enfant.

      – Je ne dis pas non. Envoyez un homme, notre monsieur. L’homme cherchera, moi je trouverai… si c’est un effet de votre bonté de le permettre.

      M. de Thélouars aimait beaucoup Janet Legoff, et le connaissait pour un jeune garçon intrépide et intelligent. Il lui permit de seller un cheval et de partir ; mais, médiocrement rassuré par cette mesure, il envoya ses gens dans différentes directions, à son château, à Cournon, à Rieux et jusqu’à Redon, avec ordre de s’informer, et de revenir à franc étrier à K…

      Pendant ce temps, comme nous l’avons vu, le château de Graives, auquel M. de Thélouars ne songeait nullement, et qui renfermait pourtant la pauvre Henriette, avait été investi par deux détachements républicains.

      Le premier, celui qui avait été signalé par M. de Silz et qui venait de Vannes, était commandé par le capitaine Jolly ; l’autre, venant de Redon, avait pour chef le citoyen lieutenant Morest.

      Chacun de ces détachements était accompagné d’un de ces personnages problématiques, moitié soldats, moitié agents de police, qui se nommaient représentants du peuple lorsqu’ils suivaient une armée ou une flotte, et qui, dans un rang inférieur, n’avaient point de titre que nous sachions. Ces misérables étaient comme une nauséabonde matérialisation de l’influence parisienne dans les provinces éloignées. Ils représentaient admirablement le gouvernement d’alors, en ce qu’ils engendraient le mal et tâchaient d’empêcher le bien. Les soldats ne les aimaient guère, et, du reste, les soldats n’aimaient point la Convention davantage. C’était, on peut le dire, malgré cette assemblée que la gloire française brilla, en ce malheureux temps, d’un éclat que l’Empire sut à peine surpasser.

      Les deux personnages dont nous parlons étaient donc des représentants au petit pied, des racines cubiques de conventionnels, des extraits de marauds, enfin, s’il est permis d’employer un terme de si mauvaise compagnie, même pour caractériser la position la plus souillée que l’homme politique puisse tenir.

      Celui qui venait de Vannes s’appelait Bertin ; celui qui venait de Redon avait nom Thomas. – C’étaient tous les deux des gens d’un certain âge, à la physionomie insignifiante, si elle n’eût révélé leur bas instinct de rapine et de cruauté. À peine est-il besoin de dire que c’étaient eux qui avaient la direction effective de l’expédition. Sous la République, en effet, époque d’invraisemblable tyrannie, le chef militaire commandait seulement lorsqu’il y avait des balles ou des boulets à recevoir.

      Le citoyen Thomas et le citoyen Bertin furent très-médiocrement satisfaits de se rencontrer. La présence du citoyen Thomas parut au citoyen Bertin un double emploi, et le citoyen Thomas regarda la venue du citoyen Bertin comme une pure superfétation. Il y avait au château de Graives un trésor, et la voix publique allait jusqu’à dire que le fameux diamant, ci-devant de la couronne, le Régent, y était caché ; mais ce trésor, quel qu’il fût, perdrait moitié à être partagé. Nos deux citoyens étaient assez forts en logique pour admettre cette dernière supposition sans conteste.

      Or il fallait bien que le proconsul de Vannes eût sa part : il était de nécessité que le représentant de Redon eût la sienne, sans parler des commissaires de Paris. Donc, voici ce qui arrivait, et c’était déplorable : Bertin avait compté partager seulement avec son chef de file de Vannes, les agents supérieurs de Paris, et la République s’il en restait ; maintenant, il se trouvait forcé de partager avec Thomas, lequel avait derrière lui une hiérarchie identiquement pareille, de mains toujours ouvertes pour prendre, toujours fermées pour restituer. – Qu’on juge si Bertin et Thomas devaient se voir d’un bon œil !

      Quant aux deux chefs militaires, à qui on devait un an de solde, quant à leurs soldats, qui n’avaient pas de souliers, ils venaient chercher un trésor, comme les garçons de caisse de la Banque vont toucher un bordereau. Peu leur importait la destination de ce trésor ; ils étaient instrument depuis les pieds jusqu’à la tête ; on se servait d’eux en ce temps comme d’une arme bien trempée, apte également aux actions héroïques et aux vols de grand chemin.

      En entrant au château, Bertin et Thomas secouèrent, comme deux barbets, leurs grotesques tricornes et les draperies déteintes de leurs écharpes tricolores, en se jetant réciproquement de fauves regards. Puis, ayant débouclé le ceinturon de leurs inoffensives épées, afin de se mettre à l’aise, ils procédèrent à la visite du manoir. Autre désappointement : le manoir était vide. Une fois la porte principale forcée, nul obstacle ne les arrêta plus. C’était bien mauvais signe. On avait sans doute abandonné le château ; on avait peut-être emporté le trésor.

      – Citoyen, dit le lieutenant Morest à son représentant, nous aurons été prévenus.

      Le capitaine Jolly en dit autant à son surveillant.

      Ce commun déboire rapprocha un instant les deux rivaux. Ils se consultèrent, et le résultat de leur conférence fut d’ordonner de nouvelles recherches.

      – Courage, citoyens ! s’écria Bertin ; le vieux ci-devant se cache quelque part, et je prends sur moi, au nom de la République, – une et indivisible, – de promettre une paire


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