Les Contes de nos pères. Paul Feval

Les Contes de nos pères - Paul  Feval


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refroidit brusquement son ardeur. Une erreur pouvait en effet égarer les secours, et rendre mortel le danger d’Henriette et de son fils, qui peut-être, en ce moment, étaient sur le point de tomber au pouvoir de leurs cruels ennemis.

      Un point blanc se montra sur la noire surface du pignon du château, et attira l’attention de Janet. Cet objet remuait. Janet s’orienta et acquit la conviction que ce point blanc se trouvait juste au-dessus de l’endroit où naguère il avait entendu prononcer son nom. – Au lieu de monter à cheval, il descendit avec précaution le tertre, et se glissa de nouveau sous le couvert.

      Cet objet était la main d’Henriette, qui avait aperçu Janet sur le tertre, et qui l’appelait comme on appelle une dernière espérance. La pauvre femme l’avait entendu s’éloigner avec angoisse, et, désespérant de se faire entendre, elle déchira une page de ses tablettes, sur laquelle elle traça quelques mots à la hâte. L’aspect de M. le marquis de Graives qui, toujours immobile et muet comme une statue de bronze, semblait avoir oublié sa présence, et s’absorbait dans l’attente de la mort, la glaçait et la tuait. Sans se rendre compte de son vague espoir, et plutôt pour s’isoler de ce froid visage de vieillard, véritable personnification du trépas, Henriette regagna la meurtrière, et tenta de passer sa tête par l’ouverture, afin de voir au pied de la muraille. L’ouverture était beaucoup trop étroite, mais Henriette réussit à détacher une pierre, qui roula en morceaux à l’intérieur.

      Alors elle put se pencher et regarder.

      Immédiatement au-dessous d’elle, un dôme opaque de branchages entrelacés lui cachait le sol ; à droite et à gauche il y avait deux éclaircies. Par la première, Henriette vit le citoyen Thomas ; par la seconde, le citoyen Bertin. Tous deux avaient le cou tendu, et dévoraient des yeux la poterne.

      – Pauvre Janet ! pensa la jeune femme ; – ils vont le tuer.

      Et pourtant, l’instinct de conservation et l’amour de mère, surexcités en elle par l’horreur de sa situation, ne lui permirent point de repousser cette dernière chance de salut. Elle entendit le pas léger de l’enfant, et n’eut pas le courage de l’avertir que deux hommes étaient là, cachés, – deux ennemis.

      Janet avançait toujours. Mme de Thélouars enveloppa un fragment de pierre dans son billet, afin que le tout pût percer la voûte de branchages, et le laissa tomber.

      L’effet fut tel, qu’elle ne pouvait point s’y attendre.

      Un double cri retentit : le citoyen Bertin et le citoyen Thomas s’élancèrent à la fois.

      – Le Régent ! dirent-ils en même temps.

      Ils se rencontrèrent auprès du billet qui gisait à terre, et se regardèrent stupéfaits. Puis leurs yeux s’allumèrent, et, pour la première fois de leur vie sans doute, leurs mains cherchèrent instinctivement et de bon cœur la garde de leur épée.

      – Arrête ! dit brutalement le citoyen Bertin, ce diamant est à moi.

      – Tu mens ! s’écria Thomas, qui couvrait le billet de son épée nue ; ce diamant est à moi ; personne n’y touchera !

      – C’est ce que nous allons voir !

      Ils s’attaquèrent, cherchant à se prendre par trahison, et songeant bien plus, malgré leur avidité passionnée, à se couvrir qu’à frapper.

      Le prétendu diamant restait entre eux, comme un prix attendant son vainqueur.

      Mais, au plus fort de la bataille, un enfant, un sylphe ! passa sous leurs épées croisées avec la rapidité d’une flèche, se pencha, se redressa et disparut.

      – Le Régent ! clamèrent ensemble les deux antagonistes en baissant leurs épées.

      Le billet en effet n’était plus là.

      Le citoyen Bertin et le citoyen Thomas, rapprochés par cette catastrophe, se précipitèrent de compagnie sur les traces du ravisseur. Ils arrivèrent à temps pour le voir enfourcher son cheval et partir au grand galop.

      Henriette aussi, les mains jointes et les yeux au ciel, vit son jeune sauveur prendre la direction de Ploërmel. Tandis qu’elle pleurait de reconnaissance, en remerciant Dieu, et que les deux citoyens s’arrachaient les cheveux en chœur, ces derniers eurent la mortification d’entendre de loin la voix du Petit Gars qui, claire, argentine, moqueuse, leur envoyait, en guise d’adieu, ce troisième couplet de sa bizarre chanson :

      Le soir on danse sur l’aire,

      Sur l’aire à battre le blé.

      Ah ! dame, il fait bon danser

      Quand vient la brune…

      Et vous, gars à marier,

      Cherchez fortune !

      IV. DEUX COUPS DE PISTOLET

      Henriette demeura longtemps à genoux. Elle avait suivi de l’œil, tant qu’elle avait pu, la course rapide de Janet, qui, brandissant de loin son chapeau de paille au-dessus de sa tête, semblait promettre un prompt retour.

      Quand elle rentra dans l’intérieur de la cellule, un sourire presque joyeux embellissait son charmant visage. Elle mit au front du petit Alain, qui s’était rendormi, un baiser plein de passion maternelle.

      – Armand te reverra, dit-elle. Oh ! puisses-tu être sauvé, et que Dieu prenne ma vie !

      Puis, se souvenant tout à coup qu’elle n’était pas seule, elle s’élança, souriante, vers le vieux marquis, afin de lui faire partager sa joie. Celui-ci était toujours immobile : il avait déposé son livre d’Heures, et priait mentalement, trouvant sans doute que l’ennemi tardait bien à paraître.

      – Monsieur mon oncle, cria gaiement Henriette en serrant dans ses blanches mains les mains ridées du vieillard, – nous allons être sauvés !

      – C’est par là qu’ils doivent venir, répondit le marquis en montrant un angle de la cachette ; – c’est l’endroit faible… N’ai-je point vu remuer une pierre ?

      – Non, monsieur mon oncle. Les démolisseurs se sont éloignés. On n’entend plus leurs coups, dont le retentissement funèbre me brisait l’âme… Écoutez ! J’ai envoyé un message à M. de Thélouars. Il va venir !

      Le vieillard n’entendait pas. Il se méprit à l’enthousiasme qui brillait dans les traits de sa nièce, et crut qu’elle aussi attendait le dénoûment avec impatience. Cette idée était peut-être la seule qui désormais pût l’émouvoir puissamment. Il regarda Henriette avec des yeux où se peignait une admiration sans bornes.

      – C’est un noble sang que le sang des Carhoët ! murmura-t-il. Vos pères furent de vaillants cœurs, madame ma nièce, et vous êtes bien leur digne fille !… Oui, ajouta-t-il avec mélancolie, vous aviez devant vous de longs jours, pleins de tendresse et de joie, madame, car vous êtes heureuse mère et heureuse épouse… Et pourtant, lorsque la mort vient vers vous, lente, cruelle, inévitable, vous l’attendez le sourire aux lèvres et l’allégresse au front… C’est beau, madame !

      – Que parlez-vous de mort ? voulut interrompre Henriette.

      – Oh ! c’est beau ! point de fausse modestie !… Votre rôle fait honte au mien… Moi, je suis un vieillard ; mon sacrifice est dérisoire. Ce sont quelques jours solitaires et tristes, quelques semaines peut-être, que je donne à Dieu et au roi… Vous, c’est une vie entière, une vie double, car votre unique enfant ne vous survivra point.

      – Mais écoutez-moi, par pitié ! s’écria Henriette ; vos paroles me torturent… Mon fils ! Oh ! Dieu ne peut vouloir qu’il meure…

      – Que je voudrais être à votre place, ma fille ! reprit encore le vieillard ; – que votre mort sera belle devant les hommes et devant Dieu !

      – La mort ! toujours la mort ! murmura Henriette dont toute la joie s’enfuyait devant cette lugubre éloquence ; – si je pouvais lui faire comprendre…

      Elle se pencha vivement à


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