La comédie de la mort. Theophile Gautier

La comédie de la mort - Theophile  Gautier


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son pas souverain;

      Une immense clameur volait sur son passage,

      Et cent mille canons lui chantaient dans l’orage

      Leur fanfare d’airain.

      Lui ne paraissait pas entendre ce tumulte,

      Et, comme un Dieu de marbre, insensible à son culte,

      Marchait silencieux;

      Quelquefois seulement, comme à la dérobée,

      Pour retrouver au ciel son étoile tombée

      Il relevait les yeux

      Mais le ciel empourpré d’un reflet d’incendie,

      N’avait pas une étoile, et la flamme agrandie

      Montait, montait toujours.

      Alors, plus pâle encor qu’aux jours de Sainte-Hélène,

      Il refermait ses bras sur sa poitrine pleine

      De gémissements sourds.

      Quand il fut devant nous: Grand empereur, lui dis-je,

      Ce mot mystérieux que mon destin m’oblige

      A chercher ici-bas,

      Ce mot perdu que Faust demandait à son livre,

      Et don Juan à l’amour, pour mourir ou pour vivre,

      Ne le sauriez-vous pas?

      O malheureux enfant! dit l’ombre impériale,

      Retourne-t’en là-haut, la bise est glaciale

      Et je suis tout transi.

      Tu ne trouverais pas, sur la route, d’auberge

      Où réchauffer tes pieds, car la mort seule héberge

      Ceux qui passent ici.

      Regarde… C’en est fait. L’étoile est éclipsée,

      Un sang noir pleut du flanc de mon aigle blessée

      Au milieu de son vol.

      Avec les blancs flocons de la neige éternelle,

      Du haut du ciel obscur, les plumes de son aile

      Descendent sur le sol.

      Hélas! je ne saurais contenter ton envie;

      J’ai vainement cherché le mot de cette vie,

      Comme Faust et don Juan,

      Je ne sais rien de plus, qu’au jour de ma naissance,

      Et pourtant je faisais dans ma toute-puissance,

      Le calme et l’ouragan.

      Pourtant l’on me nommait par excellence, L’HOMME:

      L’on portait devant moi l’aigle et les faisceaux, comme

      Aux vieux Césars romains:

      Pourtant j’avais dix rois pour me tenir ma robe,

      J’étais un Charlemagne emprisonnant le globe

      Dans une de mes mains.

      Je n’ai rien vu de plus du haut de la colonne

      Où ma gloire, arc-en-ciel tricolore, rayonne

      Que vous autres d’en bas.

      En vain de mon talon j’éperonnais le monde,

      Toujours le bruit des camps et du canon qui gronde,

      Des assauts, des combats.

      Toujours des plats d’argent avec des clefs de villes,

      Un concert de clairons et de hurrahs serviles,

      Des lauriers, des discours;

      Un ciel noir, dont la pluie était de la mitraille,

      Des morts à saluer sur tout champ de bataille.

      Ainsi passaient mes jours.

      Que ton doux nom de miel, Laetitia ma mère,

      Mentait cruellement à ma fortune amère!

      Que j’étais malheureux!

      Je promenais partout ma peine vagabonde,

      J’avais rêvé l’empire, et la boule du monde

      Dans ma main sonnait creux.

      Ah! le sort des bergers, et le hêtre où Tytire

      Dans la chaleur du jour à l’écart se retire

      Et chante Amaryllis,

      Le grelot qui résonne et le troupeau qui bêle,

      Le lait pur ruisselant d’une blanche mamelle

      Entre des doigts de lys!

      Le parfum du foin vert et l’odeur de l’étable,

      Le pain bis des pasteurs, quelques noix sur la table,

      Une écuelle de bois;

      Une flûte à sept trous jointe avec de la cire,

      Et six chèvres, voilà tout ce que je désire,

      Moi, le vainqueur des rois.

      Une peau de mouton couvrira mes épaules,

      Galathée en riant s’enfuira sous les saules

      Et je l’y poursuivrai:

      Mes vers seront plus doux que la douce ambroisie,

      Et Daphnis deviendra pâle de jalousie

      Aux airs que je jouerai.

      Ah! je veux m’en aller de mon île de Corse,

      Par le bois dont la chèvre en passant mord l’écorce,

      Par le ravin profond,

      Le long du sentier creux où chante la cigale,

      Suivre nonchalamment en sa marche inégale

      Mon troupeau vagabond.

      Le Sphinx est sans pitié pour quiconque se trompe,

      Imprudent, tu veux donc qu’il t’égorge et te pompe

      Le pur sang de ton coeur;

      Le seul qui devina cette énigme funeste

      Tua Laïus son père et commit un inceste:

      Triste prix du vainqueur!

IX

      Me voilà revenu de ce voyage sombre,

      Où l’on n’a pour flambeaux et pour astre dans l’ombre

      Que les yeux du hibou;

      Comme après tout un jour de labourage, un buffle

      S’en retourne à pas lents, morne et baissant le muffle,

      Je vais ployant le cou.

      Me voilà revenu du pays des fantômes;

      Mais je conserve encor loin des muets royaumes,

      Le teint pâle des morts.

      Mon vêtement pareil au crêpe funéraire

      Sur une urne jeté, de mon dos jusqu’à terre,

      Pend au long de mon corps.

      Je sors d’entre les mains d’une mort plus avare

      Que celle qui veillait au tombeau de Lazare;

      Elle garde son bien:

      Elle lâche le corps mais elle retient l’âme;

      Elle rend le flambeau, mais elle éteint la flamme,

      Et Christ n’y pourrait rien.

      Je ne suis plus, hélas! que l’ombre de moi-même,

      Que la tombe vivante où gît tout ce que j’aime,

      Et je me survis seul,

      Je promène avec moi les dépouilles glacées

      De mes illusions, charmantes trépassées

      Dont je suis


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