La comédie de la mort. Theophile Gautier

La comédie de la mort - Theophile  Gautier


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approche l’hiver.

      Leurs tourments ne sont point redits par le poète;

      Martyrs de la pensée, ils n’ont pas sur leur tête

      L’auréole qui luit;

      Par les chemins du monde ils marchent sans cortége,

      Et sur le sol glacé tombent comme la neige

      Qui descend dans la nuit.

      Comme je m’en allais, ruminant ma pensée,

      Triste, sans dire mot, sous la voûte glacée,

      Par le sentier étroit;

      S’arrêtant tout à coup, ma compagne blafarde

      Me dit en étendant sa main frêle: Regarde

      Du côté de mon doigt.

      C’était un cavalier avec un grand panache,

      De longs cheveux bouclés, une noire moustache

      Et des éperons d’or;

      Il avait le manteau, la rapière et la fraise,

      Ainsi qu’un raffiné du temps de Louis treize,

      Et semblait jeune encor.

      Mais en regardant bien, je vis que sa perruque

      Sous ses faux cheveux bruns laissait près de sa nuque

      Passer des cheveux blancs;

      Son front, pareil au front de la mer soucieuse,

      Se ridait à longs plis; sa joue était si creuse

      Que l’on comptait ses dents.

      Malgré le fard épais dont elle était plâtrée,

      Comme un marbre couvert d’une gaze pourprée

      Sa pâleur transperçait;

      A travers le carmin qui colorait sa lèvre,

      Sous son rire d’emprunt on voyait que la fièvre

      Chaque nuit le baisait.

      Ses yeux sans mouvement semblaient des yeux de verre

      Ils n’avaient rien des yeux d’un enfant de la terre,

      Ni larmes ni regard.

      Diamant enchâssé dans sa morne prunelle

      Brillait d’un éclat fixe, une froide étincelle.

      C’était bien un vieillard!

      Comme l’arche d’un pont son dos faisait la voûte,

      Ses pieds endoloris, tout gonflés par la goutte.

      Chancelaient sous son poids.

      Ses mains pâles tremblaient; ainsi tremblent les vagues,

      Sous les baisers du Nord, et laissaient fuir leurs bagues

      Trop larges pour ses doigts.

      Tout ce luxe, ce fard sur cette face creuse,

      Formait une alliance étrange et monstrueuse.

      C’était plus triste à voir

      Et plus laid, qu’un cercueil chez des filles de joie,

      Qu’un squelette paré d’une robe de soie,

      Qu’une vieille au miroir.

      Confiant à la nuit son amoureuse plainte,

      Il attendait devant une fenêtre éteinte,

      Sous un balcon désert.

      Nul front blanc ne venait s’appuyer au vitrage,

      Nul soleil de beauté ne montrait son visage

      Au fond du ciel ouvert.

      Dis, que fais-tu donc là, vieillard, dans les ténèbres,

      Par une de ces nuits où les essaims funèbres

      S’envolent des tombeaux?

      Que vas-tu donc chercher si loin, si tard, à l’heure

      Où l’Ange de minuit au beffroi chante et pleure

      Sans page et sans flambeaux?

      Tu n’as plus l’âge où tout vous rit et vous accueille,

      Où la vierge répand à vos pieds, feuille à feuille,

      La fleur de sa beauté.

      Et ce n’est plus pour toi que s’ouvrent les fenêtres;

      Tu n’es bon qu’à dormir auprès de tes ancêtres

      Sous un marbre sculpté.

      Entends-tu le hibou qui jette ses cris aigres?

      Entends-tu dans les bois hurler les grands loups maigres?

      O vieillard sans raison!

      Rentre, c’est le moment où la lune réveille

      Le vampire blafard sur sa couche vermeille;

      Rentre dans ta maison.

      Le vent moqueur a pris ta chanson sur son aile,

      Personne ne t’écoute, et ta cape ruisselle

      Des pleurs de l’ouragan…

      Il ne me répond rien; dites quel est cet homme

      O mort, et savez-vous le nom dont on le nomme!

      Cet homme, c’est don Juan.

VII

      Don Juan

      Heureux adolescents, dont le coeur s’ouvre à peine

      Comme une violette à la première haleine

      Du printemps qui sourit,

      Ames couleurs de lait, frais buissons d’aubépine

      Où, sous le pur rayon, dans la pluie argentine

      Tout gazouille et fleurit.

      O vous tous qui sortez des bras de votre mère

      Sans connaître la vie et la science amère,

      Et qui voulez savoir,

      Poètes et rêveurs, plus d’une fois, sans doute,

      Aux lisières des bois, en suivant votre route

      Dans la rougeur du soir,

      A l’heure enchanteresse, où sur le bout des branches

      On voit se becqueter les tourterelles blanches

      Et les bouvreuils au nid,

      Quand la nature lasse en s’endormant soupire,

      Et que la feuille au vent vibre comme une lyre

      Après le chant fini;

      Quand le calme et l’oubli viennent à toutes choses

      Et que le sylphe rentre au pavillon des roses

      Sous les parfums plié;

      Emus de tout cela, pleins d’ardeurs inquiètes

      Vous avez souhaité ma liste et mes conquêtes;

      Vous m’avez envié

      Les festins, les baisers sur les épaules nues,

      Toutes ces voluptés à votre âge inconnues,

      Aimable et cher tourment!

      Zerbine, Elvire, Anna, mes Romaines jalouses,

      Mes beaux lis d’Albion, mes brunes Andalouses,

      Tout mon troupeau charmant.

      Et vous vous êtes dit par la voix de vos âmes:

      Comment faisais-tu donc pour avoir plus de femmes

      Que n’en a le sultan?

      Comment faisais-tu donc, malgré verroux et grilles,

      Pour te glisser au lit des belles jeunes filles,

      Heureux, heureux don Juan!

      Conquérant oublieux, une seule


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