La comédie de la mort. Theophile Gautier

La comédie de la mort - Theophile  Gautier


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elle défait au miroir sa toilette,

      Dans le cristal profond réfléchir son squelette

      Et sa poitrine à jour,

      Riant affreusement, d’un rire sans gencive,

      Marbrer de baisers froids sa gorge convulsive,

      Et, tenaillant sa main,

      Sa main blanche et rosée avec sa main osseuse,

      Faire râler ces mots d’une voix caverneuse

      Qui n’a plus rien d’humain:

      «Femme, vous m’avez fait des promesses sans nombre.

      Si vous oubliez, vous, dans ma demeure sombre,

      Moi je me ressouviens.

      Vous avez dit à l’heure où la mort me vint prendre,

      Que vous me suivriez bientôt; lassé d’attendre,

      Pour vous chercher je viens!»

      Dans un repli de moi, cette pensée étrange

      Est là comme un cancer qui m’use et qui me mange;

      Mon oeil en devient creux;

      Sur mon front nuager de nouveaux plis se fouillent,

      De cheveux et de chair mes tempes se dépouillent,

      Car ce serait affreux!

      La mort ne serait plus le remède suprême;

      L’homme, contre le sort, dans la tombe elle-même

      N’aurait pas de recours,

      Et l’on ne pourrait plus se consoler de vivre,

      Par l’espoir tant fêté du calme qui doit suivre

      L’orage de nos jours.

II

      Dans le fond de mon âme, agitant ma pensée,

      Je restais là rêveur et la tête baissée

      Debout contre un tombeau.

      C’était un marbre neuf, et sur la blanche épaule

      D’un génie éploré, les longs cheveux d’un saule

      Tombaient comme un manteau.

      La bise feuille à feuille emportait la couronne

      Dont les débris jonchaient le fût de la colonne;

      On aurait dit les pleurs

      Que sur la jeune fille, au printemps moissonnée,

      Pauvre fleur du matin, avant midi fanée,

      Versaient les autres fleurs.

      La lune entre les ifs faisait luire sa corne;

      De grands nuages noirs couraient sur le ciel morne

      Et passaient par devant;

      Les feux follets valsaient autour du cimetière,

      Et le saule pleureur secouait sa crinière

      Éparpillée au vent.

      On entendait des bruits venus de l’autre monde,

      Des soupirs de terreur et d’angoisse profonde,

      Des voix qui demandaient

      Quand donc à leurs tombeaux l’on mettrait des fleurs neuves,

      Comment allait la terre, et pourquoi donc leurs veuves

      Aussi longtemps tardaient?

      Tout à coup… j’ose à peine en croire mon oreille,

      Sous le marbre entr’ouvert, ô terreur! ô merveille!

      J’entendis qu’on parlait.

      C’était un dialogue, et, du fond de la fosse,

      A la première voix, une voix aigre et fausse

      Par instant se mêlait.

      Le froid me prit. Mes dents d’épouvante claquèrent;

      Mes genoux chancelants sous moi s’entrechoquèrent.

      Je compris que le ver

      Consommait son hymen avec la trépassée,

      Eveillée en sursaut dans sa couche glacée,

      Par cette nuit d’hiver.

      La Trépassée

      Est-ce une illusion? Cette nuit tant rêvée,

      La nuit du mariage elle est donc arrivée?

      C’est le lit nuptial.

      Voici l’heure où l’époux, jeune et parfumé, cueille

      La beauté de l’épouse, et sur son front effeuille

      L’oranger virginal.

      Le Ver

      Cette nuit sera longue, ô blanche trépassée,

      Avec moi, pour toujours, la mort t’a fiancée;

      Ton lit c’est le tombeau.

      Voici l’heure où le chien contre la lune aboie,

      Où le pâle vampire erre et cherche sa proie,

      Où descend le corbeau.

      La Trépassée

      Mon bien-aimé, viens donc! l’heure est déjà passée

      Oh! tiens-moi sur ton coeur, entre tes bras pressée.

      J’ai bien peur, j’ai bien froid.

      Réchauffe à tes baisers ma bouche qui se glace.

      Oh! viens, je tâcherai de te faire une place

      Car le lit est étroit!

      Le Ver

      Cinq pieds de long sur deux de large. La mesure

      Est prise exactement; cette couche est trop dure,

      L’époux ne viendra pas.

      Il n’entend pas tes cris. Il rit dans quelque fête.

      Allons, sur ton chevet repose en paix ta tête

      Et recroise tes bras.

      La Trépassée

      Quel est donc ce baiser humide et sans haleine,

      Cette bouche sans lèvres est-ce une bouche humaine,

      Est-ce un baiser vivant?

      O prodige! A ma droite, à ma gauche, personne.

      Mes os craquent d’horreur, toute ma chair frissonne

      Comme un tremble au grand vent.

      Le Ver

      Ce baiser c’est le mien: je suis le ver de terre;

      Je viens pour accomplir le solennel mystère.

      J’entre en possession;

      Me voilà ton époux, je te serai fidèle.

      Le hibou tout joyeux fouettant l’air de son aile

      Chante notre union.

      La Trépassée

      Oh! si quelqu’un passait auprès du cimetière!

      J’ai beau heurter du front les planches de ma bière,

      Le couvercle est trop lourd!

      Le fossoyeur dort mieux que les morts qu’il enterre.

      Quel silence profond! la route est solitaire;

      L’écho lui-même est sourd.

      Le Ver

      A moi tes bras d’ivoire, à moi ta gorge blanche,

      A


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