La comédie de la mort. Theophile Gautier

La comédie de la mort - Theophile  Gautier


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votre pied rose au toit de mon clocher.

      Messagères d’avril, petites hirondelles,

      Ne fouettez pas ainsi les vitres à coups d’ailes,

      J’ai dans mes bas-reliefs des trous où vous nicher;

      Mes vierges vous prendront dans un pli de leur robe,

      L’empereur tout exprès laissera choir son globe,

      Le lotus ouvrira son coeur pour vous cacher.

      J’ai brodé mes réseaux des dessins les plus riches, Évidé mes piliers, mis des saints dans mes niches, Posé mon buffet d’orgue et peint ma voûte en bleu.

      J’ai prié saint Éloi de me faire un calice;

      Le roi mage Gaspard, pour le saint sacrifice,

      M’a donné le cinname et le charbon de feu.

      Le peuple est à genoux, le chapelain s’affuble

      Du brocart radieux de la lourde chasuble;

      L’église est toute prête; y viendrez-vous, mon Dieu?

      LA COMÉDIE DE LA MORT

      La Vie dans la Mort

I

      C’était le jour des morts: Une froide bruine

      Au bord du ciel rayé, comme une trame fine,

      Tendait ses filets gris;

      Un vent de nord sifflait; quelques feuilles rouillées

      Quittaient en frissonnant les cimes dépouillées

      Des ormes rabougris;

      Et chacun s’en allait dans le grand cimetière,

      Morne, s’agenouiller sur le coin de la pierre

      Qui recouvre les siens,

      Prier Dieu pour leur âme, et, par des fleurs nouvelles,

      Remplacer en pleurant les pâles immortelles

      Et les bouquets anciens.

      Moi, qui ne connais pas cette douleur amère,

      D’avoir couché là-bas ou mon père ou ma mère

      Sous les gazons flétris,

      Je marchais au hasard, examinant les marbres,

      Ou, par une échappée, entre les branches d’arbres,

      Les dômes de Paris;

      Et, comme je voyais bien des croix sans couronne,

      Bien des fosses dont l’herbe était haute, où personne

      Pour prier ne venait,

      Une pitié me prit, une pitié profonde

      De ces pauvres tombeaux délaissés, dont au monde

      Nul ne se souvenait.

      Pas un seul brin de mousse à tous ces mausolées,

      Cependant, et des noms de veuves désolées,

      D’époux désespérés,

      Sans qu’un gramen voilât leurs majuscules noires

      Étalaient hardiment leurs mensonges notoires

      A tous les yeux livrés.

      Ce spectacle me fit sourdre au coeur une idée

      Dont j’ai, depuis ce temps, toujours l’âme obsédée.

      Si c’était vrai, les morts

      Tordraient leurs bras noueux de rage dans leur bière

      Et feraient pour lever leurs couvercles de pierre

      D’incroyables efforts!

      Peut-être le tombeau n’est-il pas un asile

      Où, sur son chevet dur, on puisse enfin tranquille

      Dormir l’éternité,

      Dans un oubli profond de toute chose humaine,

      Sans aucun sentiment de plaisir ou de peine

      D’être ou d’avoir été.

      Peut-être n’a-t-on pas sommeil! Et quand la pluie

      Filtre jusques à vous, l’on a froid, l’on s’ennuie

      Dans sa fosse tout seul.

      Oh! que l’on doit rêver tristement dans ce gîte

      Où pas un mouvement, pas une onde n’agite

      Les plis droits du linceul!

      Peut-être aux passions qui nous brûlaient, émue,

      La cendre de nos coeurs vibre encore et remue

      Par-delà le tombeau,

      Et qu’un ressouvenir de ce monde dans l’autre,

      D’une vie autrefois enlacée à la nôtre,

      Traîne quelque lambeau.

      Ces morts abandonnés sans doute avaient des femmes,

      Quelque chose de cher et d’intime; des âmes

      Pour y verser la leur;

      S’ils étaient éveillés au fond de cette tombe,

      Où jamais une larme avec des fleurs ne tombe,

      Quelle affreuse douleur!

      Sentir qu’on a passé sans laisser plus de marque

      Qu’au dos de l’océan le sillon d’une barque;

      Que l’on est mort pour tous;

      Voir que vos mieux aimés si vite vous oublient,

      Et qu’un saule pleureur aux longs bras qui se plient

      Seul se plaigne sur vous.

      Au moins, si l’on pouvait, quand la lune blafarde,

      Ouvrant ses yeux sereins aux cils d’argent regarde

      Et jette un reflet bleu

      Autour du cimetière, entre les tombes blanches,

      Avec le feu follet dans l’herbe et sous les branches,

      Se promener un peu!

      S’en revenir chez soi, dans la maison, théâtre

      De sa première vie, et frileux, près de l’âtre,

      S’asseoir dans son fauteuil,

      Feuilleter ses bouquins et fouiller son pupitre

      Jusqu’au moment où l’aube illuminant la vitre,

      Vous renvoie au cercueil.

      Mais non; il faut rester sur son lit mortuaire,

      N’ayant pour se couvrir que le lin du suaire,

      N’entendant aucun bruit,

      Sinon le bruit du ver qui se traîne et chemine

      Du côté de sa proie, ouvrant sa sourde mine,

      Ne voyant que la nuit.

      Puis, s’ils étaient jaloux, les morts, tout ce que Dante

      A placé de tourments dans sa spirale ardente

      Près des leurs seraient doux.

      Amants, vous qui savez ce qu’est la jalousie,

      Ce qu’on souffre de maux à cette frénésie,

      Un cadavre jaloux!

      Impuissance et fureur! Être là, dans sa fosse,

      Quand celle qu’on aimait de tout son amour, fausse

      Aux beaux serments jurés,

      En se raillant de vous, dans d’autres bras répète

      Ce qu’elle vous disait, rouge et penchant la tête

      Avec des mots sacrés.

      Et ne pouvoir venir, quelque nuit


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