Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies. Aimard Gustave

Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies - Aimard Gustave


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href="#n19" type="note">19 nous protège, dit l'Indien en se levant; mon frère peut compter sur moi: qu'il suive les ladrones, je me charge de les lui livrer sans défense.

      – Mais, reprit le chasseur, quand nous aurons sauvé la jeune fille, à qui appartiendra-t-elle?

      – Rant-chaï-vaï-mè est sage, répondit noblement l'Indien, elle choisira entre le Faucon-Noir et Nauchenanga; heureux celui sur lequel tombera son regard; l'autre se retirera sans se plaindre: la douleur aime la solitude.

      – Voici ma main, chef, et, quel que soit l'arrêt de celle que j'aime, je saurai m'y soumettre en homme de cœur.

      – Mon frère parle bien, reprit l'Indien; Michabou a entendu son serment.

      Et, s'inclinant avec courtoisie, le chef comanche se retira sans ajouter une parole.

      Quelques minutes plus tard, les chasseurs quittaient la clairière pour se mettre à la poursuite des gambucinos.

      III

      EL VADO

      Don López ne resta pas longtemps sous le coup du sanglant outrage qu'il avait reçu. L'orgueil, la colère, et surtout le désir de se venger lui rendirent le courage, et, quelques minutes après le départ du Faucon-Noir, il avait retrouvé toute son audace et son sang-froid.

      – Vous le voyez, señor Pépé, dit-il en s'adressant au ranchero, nos projets sont connus; il faut donc nous hâter si nous ne voulons voir ici faire irruption les suppôts du gouvernement. Ce soir même, aidé du señor don Juan, que je vous laisse, vous mettrez à cheval le Pigeon-Volant, en ayant soin de lui couvrir la tête d'un chapeau d'homme à larges bords, et vous vous rendrez au camp. Votre arrivée sera le signal du départ de l'expédition.

      – Mais, observa Pépé, dans quel but vous embarrasser d'une femme?

      – Parce que cette femme, dit López avec une émotion mal dissimulée, est douée d'une beauté étrange; elle est aimée des principaux chefs des tribus indiennes sur le territoire desquelles nous devons passer; elle est donc pour nous un otage précieux, comme l'a fort bien dit l'homme qui vient de nous braver avec tant d'insolence; grâce à elle, je pourrai neutraliser les efforts que tenteront les Indiens pour nous fermer la route du placer.

      Don López se leva, et, remontant à cheval, prit au galop la route du Cerro Prieto.

      – Hum! fit Pépé en le regardant s'éloigner, quel œil de démon! Quoiqu'il y ait vingt ans que je le connaisse, je ne l'avais jamais vu ainsi! Comment tout cela finira-t-il?

      Et, sans plus de commentaires, il commença à mettre tout en ordre dans le rancho. Lorsque ses apprêts furent terminés, il jeta un regard autour de lui.

      Le señor don Juan, les coudes sur la table et la cigarette à la bouche, buvait à petits coups l'eau-de-vie restée dans la bouteille, sans doute pour se consoler de la navajada dont l'avait gratifié le Faucon-Noir, et qui déjà se cicatrisait tout en lui formant la plus piteuse physionomie du monde.

      – Hé! dit le ranchero d'une voix insinuante, señor don Juan, savez-vous qu'il est à peine cinq heures?

      – Vous croyez? répondit l'autre pour dire quelque chose.

      – J'en suis sûr.

      – Ah!

      – Est-ce que le temps ne vous semble pas long?

      – Extraordinairement.

      – Si vous le vouliez, il nous serait facile de l'abréger.

      – De quelle façon?

      – Oh! mon Dieu, avec ceci.

      Et Pépé sortit de sa poche un jeu de cartes crasseux, qu'il étala avec complaisance sur la table.

      – Ah! la bonne idée! s'écria don Juan, dont les yeux étincelèrent; faisons un monté!

      – A vos ordres; mais que jouerons-nous?

      – Ah! diable, c'est vrai, il faut jouer quelque chose, fit don Juan en se grattant la tète.

      – La moindre des choses, simplement pour intéresser la partie.

      – Encore faut-il l'avoir.

      – Que cela ne vous embarrasse pas; si vous y consentez, je vous ferai une proposition.

      – Faites, señor, je serai charmé de la connaître.

      – Voici. Nous jouerons, si vous voulez, la part qui doit nous revenir dans les lingots d'or que nous allons chercher avec don López.

      – Accepté, s'écria don Juan, sortant de sa poche un jeu de cartes non moins crasseux que celui de son partenaire; cela nous fera gagner une heure.

      – Tiens, vous avez des cartes aussi, observa le ranchero.

      – Oui, et toutes neuves, comme vous voyez. Commençons-nous?

      – Je suis à vos ordres.

      La partie s'engagea, et bientôt, oubliant tout autre intérêt, les deux hommes furent complètement absorbés par les combinaisons du siete de copas, de el as de oro, du tres de bastos et du dos de espadas.

      Au Mexique et dans toute l'Amérique espagnole, l'Angelus sonne au coucher du soleil, et dans ces contrées, où il n'y a pas de crépuscule, la nuit arrive sans transition, si bien que, lorsque la cloche a fini de tinter, l'ombre est épaisse. L'heure était donc bien choisie pour le départ, et Pépé ne le retarda pas, car, bien qu'il eût déployé toute sa science, il avait trouvé dans le señor don Juan un adversaire tellement habile, qu'après plus de trois heures d'une lutte acharnée, tous deux se trouvaient aussi avancés qu'auparavant.

      Au dernier coup de l'Angelus, Pépé mit la clef dans la serrure de la porte conduisant à sa chambre, l'ouvrit, et, au bout de quelques secondes, il rentra dans la salle suivi du Pigeon-Volant.

      Rant-chaï-waï-mè était une mignonne jeune fille de seize ans à peine, à la tournure gracieuse, légère, avec ce laisser-aller plein de charme que les Espagnols appellent salero, mot que nulle expression française ne saurait rendre; ses traits délicats, presque enfantins, respiraient la douceur et l'innocence; son front rêveur, ses grands yeux noirs et pensifs, son nez finement découpé, aux ailes mobiles, sa bouche rieuse bordée de deux lèvres parfaitement ourlées, ses dents blanches et son petit menton à fossette, lui formaient la plus délicieuse physionomie qui se puisse imaginer; son teint bistré, presque blanc, nuance moins rare qu'on ne le croit chez les Indiennes, ses cheveux noirs lui tombant en deux énormes tresses sur les talons, ses mains d'une petitesse extrême, complétaient l'ensemble enchanteur de sa personne. Comme toutes les femmes de sa race, elle était vêtue de deux larges chemises de calicot rayé; l'une, serrée au cou, tombait jusqu'aux hanches, tandis que l'autre, attachée à la ceinture, lui descendait jusqu'aux chevilles. Son cou était orné de colliers de perles fines entremêlées de ces petits coquillages nommés wampums et qui servent de monnaie aux Indiens; ses bras et ses chevilles étaient entourés de larges cercles d'or, et un petit diadème du même métal rehaussait le ton mat de son front; des mocassins de daim, brodés de laine et de perles de toutes couleurs emprisonnaient ses pieds nerveux et finement cambrés.

      A son entrée dans la salle, un nuage de tristesse et de mélancolie répandu sur son visage ajoutait, s'il est possible, un attrait de plus à sa personne.

      – Allons, waïnè20, lui dit le ranchero, séchez vos larmes, nous ne vous voulons pas de mal, que diable! et tout cela finira peut-être mieux que vous le croyez.

      La jeune fille ne répondit pas, elle se laissa déguiser sans résistance, mais en faisant une petite moue à désespérer un saint.

      – S'il y a du bon sens! murmurait le digne Pépé à part lui, tout en attifant sa prisonnière et en jetant un regard de convoitise sur les joyaux dont elle était parée; il faut être fou pour gâcher ainsi l'or et les perles. Ne vaudrait-il pas mieux s'en servir pour acheter quelque chose d'utile? C'est qu'elle en a au moins pour dix mille piastres! Quelle magnifique partie


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Femme.