Les nuits mexicaines. Aimard Gustave

Les nuits mexicaines - Aimard Gustave


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éclaterait non pas une nouvelle révolution, car nous en subissons une depuis longtemps déjà, mais un cataclysme qui renverserait tout d'un coup le pouvoir constitué, pour y substituer celui de la Veracruz.

      – Et vous n'avez pas eu d'autre motif que celui-là mon père? demanda la jeune fille en se penchant à demi avec un léger sourire.

      – Quel autre motif pourrai-je avoir que celui que je viens de vous dire, ma chère Dolores?

      – Je ne sais pas moi, mon père, puisque je vous le demande.

      – Vous êtes une curieuse niña, reprit-il en la menaçant en riant du doigt, vous voudriez bien me faire vous avouer mon secret.

      – Il y a donc un secret, mon père?

      – C'est possible, mais quant à présent il vous faut en prendre votre parti, car je ne vous le dirai pas.

      – Bien vrai, mon père?

      – Je vous en donne ma parole.

      – Oh! Alors je n'insiste pas, je sais trop bien que lorsque vous prenez ainsi votre grosse voix, et que vous froncez les sourcils, il est inutile d'insister.

      – Vous êtes folle, Dolores.

      – C'est égal, j'aurais bien voulu savoir pourquoi vous avez pris un faux nom pour ce voyage.

      – Oh! Pour cela, je ne demande pas mieux que de vous le dire: mon nom est trop connu comme étant celui d'un homme riche, pour que je me hasarde à le porter par les chemins, lorsque tant de bandits fourmillent sur les routes.

      – Vous n'avez pas eu d'autre motif que celui-là?

      – Pas d'autre, chère enfant; je crois qu'il est suffisant, et que la prudence devait m'engager à agir ainsi que je l'ai fait.

      – Soit, mon père, répondit-elle en hochant la tête d'un air boudeur; mais, s'écria-t-elle tout d'un coup, regardez donc, mon père, il me semble que la voiture se ralentit.

      – En effet, répondit le vieillard; que signifie cela? Il baissa la glace et pencha la tête au dehors, mais il ne vit rien, la berline s'engageait en ce moment dans le défilé des Cumbres, et la route faisait des coudes si nombreux, que la vue ne pouvait s'étendre à plus de vingt-cinq ou trente pas en avant ou en arrière. Le vieillard appela alors un des domestiques qui suivaient immédiatement la voiture.

      – Qu'y a-t-il donc, Sánchez? demanda le voyageur; il me semble que nous ne marchons plus aussi vite.

      – C'est la vérité, señor amo, répondit Sánchez; depuis que nous avons quitté la plaine nous n'avançons plus aussi rapidement, sans que j'en connaisse la cause; les soldats de notre escorte paraissent inquiets, ils causent entre eux à voix basse en regardant incessamment autour d'eux; il est évident qu'ils redoutent quelque danger.

      – Les salteadores ou les guérilleros qui infestent les routes songeraient-ils à nous attaquer? dit le vieillard avec une inquiétude mal déguisée; informez-vous donc, Sánchez. Hum! L'endroit serait bien choisi pour une surprise, cependant notre escorte est nombreuse et, à moins qu'elle ne soit de connivence avec les bandits, je doute que ceux-ci se hasardent à nous barrer le passage. Voyez, Sánchez, interrogez adroitement les soldats et venez me rapporter ce que vous aurez appris.

      Le domestique salua, retint la bride et laissa la voiture le dépasser, puis il se mit en devoir de s'acquitter de la commission dont son maître l'avait chargé.

      Mais Sánchez rejoignit presqu'aussitôt la berline; ses traits étaient bouleversés, sa voix haletante sifflait entre ses dents serrées par la terreur, une pâleur cadavéreuse couvrait son visage.

      – Nous sommes perdus, señor amo, murmura-t-il en se penchant à la portière.

      – Perdus! s'écria le vieillard avec un tressaillement nerveux et en lançant à sa fille muette d'épouvante un regard chargé de tout ce que l'amour paternel a de plus passionné, perdus! Vous êtes fou, Sánchez; expliquez-vous, au nom du ciel.

      – C'est inutile, mi amo, répondit le pauvre diable en balbutiant. Voici le señor don Jesús Domínguez, le chef de l'escorte, qui vient de ce côté; sans doute il veut vous faire part de ce qui se passe.

      – Qu'il arrive donc! Mieux vaut, sur mon âme, une certitude, si terrible qu'elle soit, qu'une anxiété pareille.

      La voiture s'était arrêtée sur une espèce de plateforme d'une centaine de mètres carrés de largeur; le vieillard jeta un coup d'œil au dehors; l'escorte entourait toujours la berline, seulement elle paraissait être doublée: au lieu de vingt cavaliers il y en avait quarante.

      Le voyageur comprit qu'il était tombé dans un guet-apens, que toute résistance serait folle et qu'il ne lui restait plus d'autre chance de salut que la soumission; cependant comme, malgré son âge, il était vert encore, doué d'un caractère ferme et d'une âme énergique il ne s'avoua pas vaincu ainsi au premier choc, et résolut d'essayer de tirer le meilleur parti possible de sa fâcheuse position.

      Après avoir tendrement embrassé sa fille; lui avoir recommandé de demeurer immobile et de n'intervenir en rien dans ce qui allait se passer, au lieu de demeurer dans la berline, il ouvrit la portière et sauta assez lestement sur la route, un revolver de chaque main.

      Les soldats, bien qu'ils fussent surpris de cette action, ne firent pas un geste pour s'y opposer et conservèrent impassiblement leurs rangs.

      Les quatre domestiques du voyageur vinrent sans hésiter se ranger derrière lui, la carabine armée, prêts à faire feu sur l'ordre de leur maître.

      Sánchez avait dit vrai: don Jesús Domínguez arrivait au galop; mais il n'était pas seul, un autre cavalier l'accompagnait.

      Celui-ci était un homme court et trapu, aux traits sombres et aux regards louches, la nuance rougeâtre de son teint le faisait reconnaître pour un Indien de pure race; il portait un somptueux costume de colonel de l'armée régulière.

      Le voyageur reconnut aussitôt ce sinistre personnage pour don Felipe Neri Irzabal, un des chefs guérilleros du parti de Juárez; deux ou trois fois il l'avait entrevu à la Veracruz.

      Ce fut avec un tressaillement nerveux et un frisson de terreur que le vieillard attendit l'arrivée des deux hommes; cependant lorsqu'ils ne se trouvèrent plus qu'à quelques pas de lui, au lieu de leur permettre de l'interroger ce fut lui qui le premier prit la parole.

      – Hola, caballeros, leur cria-t-il d'une voix hautaine, que signifie ceci, et pourquoi me contraignez-vous ainsi à interrompre mon voyage?

      – Vous allez l'apprendre, cher seigneur, répondit en ricanant le guérillero; et d'abord pour que vous sachiez bien tout de suite à quoi vous en tenir, au nom de la patrie je vous arrête.

      – Vous m'arrêtez? Vous? se récria le vieillard, et de quel droit?

      – De quel droit? reprit l'autre avec son ricanement de mauvais augure, ¡vive Cristo! Je pourrais si cela me convenait vous répondre que c'est du droit du plus fort et la raison serait péremptoire, j'imagine.

      – En effet, répondit le voyageur d'une voix railleuse, et c'est, je le suppose, le seul que vous puissiez invoquer.

      – Eh bien, vous vous trompez, mon gentilhomme; je ne l'invoquerai pas, je vous arrête comme espion et convaincu de haute trahison.

      – Allons, vous êtes fou, señor coronel, espion et traître, moi!

      – Señor, depuis longtemps déjà le gouvernement du très excellent seigneur, le président Juárez, a les yeux sur vous; vos démarches ont été surveillées, on sait pour quel motif vous avez si précipitamment quitté la Veracruz et dans quel but vous vous rendez à México.

      – Je me rends à México pour affaires commerciales et le président le sait bien, puisque lui-même a signé mon sauf-conduit et que l'escorte qui m'accompagne m'a gracieusement été donnée par lui, sans qu'il m'ait été nécessaire de la lui demander.

      – Tout cela est vrai, señor; notre magnanime président, qui toujours répugne aux mesures rigoureuses, ne voulait pas vous


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