Récits d'une tante (Vol. 1 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Récits d'une tante (Vol. 1 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond


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Madame Fitzherbert. – Boucles du prince de Galles. – Séjour à la campagne. – Princesses d'Angleterre

      J'ai été littéralement élevée sur les genoux de la famille royale. Le Roi et la Reine surtout me comblaient de bontés. Dans un temps où, comme je l'ai déjà dit, les enfants étaient mis en nourrice, puis en sevrage, puis au couvent, où, vêtus en petites dames et en petits messieurs, ils ne paraissaient que pour être gênés, maussades et grognons, avec mon fourreau de batiste et une profusion de cheveux blonds qui ornaient une jolie petite figure, je frappais extrêmement. Mon père s'était amusé à développer mon intelligence, et l'on me trouvait très sincèrement un petit prodige. J'avais appris à lire avec une si grande facilité qu'à trois ans je lisais et débitais pour mon plaisir et même, dit-on, pour celui des autres, les tragédies de Racine.

      Mon père se plaisait à me mener au spectacle à Versailles. On m'emmenait après la première pièce pour ne pas me faire veiller, et je me rappelle que le Roi m'appelait quelquefois dans sa loge pour me faire raconter la pièce que je venais de voir. J'ajoutais mes réflexions qui avaient ordinairement grand succès. À la vérité, au milieu de mes remarques littéraires, je lui disais un jour avoir bien envie de lui demander une faveur, et, encouragée par sa bonté, j'avouais convoiter deux des plus petites pendeloques des lustres pour me faire des boucles d'oreilles, attendu qu'on devait me percer les oreilles le lendemain.

      Je me rappelle, par la joie que j'en ai ressentie, une histoire de la même nature. Madame Adélaïde, qui me gâtait de tout son cœur, me faisait dire un jour un conte de fée de mon invention. La fée avait donné à la princesse un palais de diamants, avec les magnificences qui s'ensuivent, et enfin, pour les combler toutes, l'héroïne avait trouvé dans un secrétaire d'escarboucle un trésor de cent six francs. Madame Adélaïde fit son profit de cette histoire, et, après avoir mis toute la grâce possible à en obtenir la permission de ma mère, elle me fit trouver dans mon petit secrétaire, qui n'était pourtant, pas d'escarboucle, cent pièces de six francs, avec un papier sur lequel était écrit cent six francs pour Adèle, ainsi qu'il en avait été usé pour la princesse du conte. Je ne suis pas bien sûre que je susse compter jusqu'à cent, mais je me rappelle encore mon saisissement à cette vue.

      Mes parents avaient fini par passer tout l'été à Bellevue; ma chambre était au rez-de-chaussée, sur la cour. Madame Adélaïde faisait journellement de très grandes promenades pour aller inspecter ses ouvriers. Elle m'appelait en passant; on me mettait mon chapeau, j'escaladais la fenêtre et je partais avec elle, sans bonne. Elle était toujours suivie d'un assez grand nombre de valets et d'une petite carriole attelée d'un cheval et menée à la main, dans laquelle elle n'entrait jamais mais que j'occupais souvent. Cependant, j'aimais encore mieux courir auprès d'elle et lui faire ce que j'appelais la conversation. J'avais pour rival et pour ami un grand barbet blanc, extrêmement intelligent, qui était aussi des promenades. Quand il se trouvait un peu de boue dans le chemin, on le mettait dans un grand sac de toile et deux hommes attachés à son service le portaient. Pour moi, j'étais très fière de savoir choisir mon chemin sans me crotter comme lui.

      Rentrés au château, je disputais à Vizir sa niche de velours rouge qu'il me laissait plus volontiers usurper qu'il ne m'abandonnait les gaufres qu'on écrasait pour nous sur le parquet. Souvent, la bonne princesse se mettait à quatre pattes et courait avec nous pour rétablir la paix ou pour obtenir le prix de la course. Je la vois encore avec sa grande taille sèche, sa robe violette (c'était l'uniforme de Bellevue) à plis, son bonnet à papillon, et deux grandes dents, les seules qui lui restassent. Elle avait été très jolie mais, à cette époque, elle était bien laide et me paraissait telle.

      Madame Adélaïde me fit faire à grands frais une magnifique poupée, avec un trousseau, une corbeille, des bijoux, entre autres une montre de Lépine que j'ai encore, et un lit à la duchesse où j'ai couché à l'âge de sept ans, ce qui donne la proportion de la taille. L'inauguration de la poupée fut une fête pour la famille royale. Elle vint dîner à Bellevue. En sortant de table, on m'envoya chercher. Les deux battants s'ouvrirent, et la poupée arriva traînée sur son lit et escortée de tous ses accessoires. Le Roi me tenait par la main:

      «Pour qui est tout cela, Adèle?

      – Je crois bien que c'est pour moi, Sire.»

      Tout le monde se mit à jouer avec ma nouvelle propriété. On voulut me faire remplacer la poupée dans le lit, et la Reine et madame Élisabeth, à genoux des deux côtés, s'amusèrent à le faire, avec des éclats de joie de leur habileté à tourner les matelas. Hélas! les pauvres princesses ne pensaient guère que, bien peu d'années après, c'était en 1788, elles seraient réduites à faire leur propre lit. Combien une prophétie pareille eût paru extravagante!

      Tous ces souvenirs me sont encore présents: non que j'attachasse aucun prix aux grandeurs des personnes, j'y étais trop accoutumée, mais parce qu'elles me gâtaient beaucoup et me procuraient toutes les douceurs et les petits plaisirs auxquels les enfants sont sensibles.

      Je rencontrais souvent le Roi dans les jardins de Versailles et, du plus loin que je l'apercevais, je courais toujours à lui. Un jour, je manquai à cette habitude; il me fit appeler. J'arrivai tout en larmes.

      «Qu'avez-vous ma petite Adèle?

      – Ce sont vos vilains gardes, Sire, qui veulent tuer mon chien, parce qu'il court après vos poules.

      – Je vous promets que cela n'arrivera plus.»

      Et, en effet, il y eut une consigne donnée avec ordre de laisser courir le chien de mademoiselle d'Osmond après le gibier.

      Mes succès n'étaient pas moins grands auprès de la jeune génération. Monsieur le Dauphin, mort à Meudon, m'aimait extrêmement et me faisait sans cesse demander pour jouer avec lui, et monsieur le duc de Berry se faisait mettre en pénitence parce qu'au bal il ne voulait danser qu'avec moi. Madame et monsieur le duc d'Angoulême me distinguaient moins.

      Les malheurs de la Révolution mirent un terme à mes succès de Cour. Je ne sais s'ils ont agi sur moi dans le sens d'un remède homéopathique, mais il est certain que, malgré ce début de ma vie, je n'ai jamais eu l'intelligence du courtisan, ni le goût de la société des princes. Les événements étaient devenus trop sérieux pour qu'on pût s'amuser des gentillesses d'un enfant; 1789 était arrivé.

      Mon père ne se méprit pas sur la gravité des circonstances. La cérémonie de l'ouverture des États généraux fut solennelle et accompagnée de magnificences qui attirèrent à Versailles des étrangers de toutes les parties de l'Europe. Ma mère, parée en grand habit de Cour, fit prévenir mon père qu'elle allait partir. Ne le voyant pas arriver, elle entra chez lui, et le trouva en robe de chambre.

      «Mais dépêchez-vous donc, nous serons en retard.

      – Non, car je n'y vais pas; je ne veux pas aller voir ce malheureux homme abdiquer.»

      Le soir, madame Adélaïde parlait du beau coup d'œil de la salle. Elle s'adressa à mon père pour quelques questions de détail; il lui répondit qu'il l'ignorait.

      «Où étiez-vous donc placé?

      – Je n'y étais pas, Madame.

      – Vous étiez donc malade?

      – Non, Madame.

      – Comment, lorsqu'on est venu de si loin pour assister à cette cérémonie, vous ne vous êtes pas donné la peine de traverser une rue.

      – C'est que je n'aime pas les enterrements, Madame, et pas plus celui de la monarchie que les autres.

      – Et moi, je n'aime pas qu'à votre âge on se croie plus habile que tout le monde.»

      Et la princesse tourna les talons.

      Il ne faudrait pas conclure de ceci que mon père ne voulût aucune concession. Au contraire, il était persuadé que l'esprit du temps en demandait impérieusement, mais il les désirait faites avec un plan concerté d'avance; il les voulait larges et données, non pas arrachées. Il voyait ouvrir les États généraux avec une mortelle angoisse, parce que, initié aux vagues volontés de chacun, il savait que personne


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