Le tour de la France par deux enfants. Bruno G.
la loi défend de maltraiter les animaux. Mais vous, où allez-vous coucher?
– Je ne sais pas, monsieur, dit André; nous nous arrêterons au premier village.
– Parbleu! s'écria l'autre gendarme, puisque les enfants ont payé pour aller à Besançon et que nous ramenons la carriole jusque-là, qu'ils remontent; nous ferons route ensemble, et si l'ivrogne s'éveillait, nous sommes là pour le surveiller: ils n'ont rien à craindre.
Les gendarmes poussèrent l'ivrogne tout au fond de la carriole. André et Julien s'assirent devant sur le banc du cocher.
– Prenez les guides, mon garçon, dit à André le gendarme alsacien, et conduisez; nous remontons à cheval et nous vous suivrons.
André ne savait guère conduire; mais le gendarme lui expliqua comment faire, et il s'appliqua si bien que tout alla à merveille. On arriva à Besançon le plus gaîment du monde. Julien remarqua que cette ville est une place forte et qu'elle est tout entourée par le Doubs, sauf d'un côté; mais, de ce côté-là, la citadelle se dresse sur une grande masse de rochers pour défendre la ville. Julien, quoique bien jeune, avait déjà assisté au siège de Phalsbourg: aussi les places fortes l'intéressaient. Il admira beaucoup Besançon, et, en lui-même, il était content de voir que la France avait l'air bien protégée de ce côté.
Le gendarme alsacien recommanda ses jeunes compatriotes chez une brave femme qui leur donna un lit à bon marché.
– Oh! André, s'écria alors naïvement le petit Julien, je ne me serais pas douté combien ces deux gendarmes devaient être bons pour nous; j'aurais plutôt eu peur d'eux.
– Julien, répondit doucement André, quand on fait ce qu'on doit et qu'on n'a rien à se reprocher, on n'a jamais sujet d'avoir peur, et on peut être sûr d'avoir tout le monde pour soi.
XXXIII. – Une proposition de travail faite à André. – Le parapluie de Julien
Le lendemain, au moment où les enfants achevaient de s'habiller, leur hôtesse entr'ouvrit la porte.
– Jeunes gens, leur dit-elle, vous allez, paraît-il, jusqu'à Marseille; peut-être seriez-vous bien aises d'avoir une occasion de faire la route jusqu'à Saint-Étienne, sans qu'il vous en coûtât rien que la peine de travailler pendant un mois. Il y a soixante lieues d'ici à Saint-Étienne: c'est un fameux bout de chemin.
– Madame, dit André, pourvu que ce soit en compagnie de braves gens, nous ne demandons qu'à travailler.
– Soyez tranquilles, dit l'hôtesse; celui qui vous emploiera est un ami des gendarmes qui vous ont recommandés à moi hier soir. C'est un bien honnête homme, mais proche de ses intérêts. Descendez, vous lui parlerez.
André et Julien descendirent dans la cuisine et se trouvèrent en face d'un grand montagnard jurassien qui, le dos à la cheminée, se chauffait debout, vis-à-vis de la porte par où arrivaient les enfants.
Il les regarda rapidement et parut satisfait de son examen.
– Voici ce qu'il y a, dit-il à André. Tous les ans, à cette époque, je faisais avec ma femme une tournée de Besançon à Saint-Étienne pour vendre et transporter les marchandises du pays; mais cette année-ci ma femme est malade: elle vient de me donner un fils, et je vais avoir de la peine à faire mes affaires tout seul. Pourtant ce n'est pas le moment de se reposer, puisque j'ai une bouche de plus à nourrir. Si vous voulez tous les deux travailler avec moi de bonne volonté, je me charge de vous pour quinze jours. Au bout de ces quinze jours vous serez à Saint-Étienne. Je vous coucherai et je vous nourrirai tout le long du chemin, mais je ne puis vous payer.
Le petit Julien ouvrait de grands yeux et souriait à l'étranger.
– Monsieur, dit André en montrant Julien, mon frère n'a pas huit ans, il ne peut guère faire autre chose que des commissions.
– Justement, dit le Jurassien, il ne fera pas autre chose. Vous qui êtes grand et fort, vous m'aiderez à charger ma voiture, à soigner le cheval et à vendre.
– Volontiers, dit André; mais si vous pouviez ajouter quelque chose, ne fût-ce que cinq francs, nous serions bien aises.
– Pas un centime, dit l'homme, c'est à prendre ou à laisser.
Julien sourit gentiment: – Oh! fit-il, vous me donnerez bien un parapluie, n'est-ce pas? si je vous contente bien: cela fait que nous pourrons voyager après cela même par la pluie.
Le marchand ne put s'empêcher de rire à cette demande de l'enfant. – Allons, dit-il, mon petit homme, tu auras ton parapluie si les affaires marchent bien.
XXXIV. – Le cheval. – Qualités d'un bon cheval. – Soins à donner aux chevaux
Le lendemain de bon matin M. Gertal (c'était le nom du Jurassien) éveilla les deux enfants. André mit ses habits de travail. – Venez avec moi, dit M. Gertal, je vais vous montrer à soigner mon cheval Pierrot; je tiens à ce qu'il soit bien soigné, car il me coûte cher et me rend de grands services, et puis c'est pour moi un compagnon fidèle.
André descendit à l'écurie avec son nouveau patron, et Julien, qui aimait les animaux, ne manqua pas de le suivre.
Pierrot était un bel et bon animal; sa robe bai brun, signe de vivacité et de courage, son œil grand, sa tête assez petite et ses reins solides indiquaient que M. Gertal l'avait choisi en connaisseur. Pierrot n'avait jamais été maltraité; aussi était-il doux et Julien lui-même pouvait en approcher sans danger.
Le cheval fut étrillé et brossé avec soin.
– Voyez-vous, mes enfants, disait M. Gertal, la propreté est pour les animaux ce qu'elle est pour l'homme, le meilleur moyen d'entretenir la santé. – Tout en parlant ainsi, M. Gertal dirigeait l'étrille et la brosse avec courage, et on voyait à chaque coup de l'étrille la poussière tomber abondante par terre, tandis que le poil devenait plus luisant.
– Vraiment, dit le petit Julien, Pierrot comprend sans doute que c'est pour son bien, car il a l'air trop content.
– Oui certes, cela le soulage, et il le sent bien. Vois-tu, Julien, la peau des animaux, comme celle de l'homme, est percée d'une multitude de petits trous appelés pores, par lesquels s'échappe la sueur, et la sueur sert à purifier le sang. Quand la poussière et la malpropreté bouchent ces milliers de petits trous, le sang se vicie et la santé s'altère chez les animaux comme chez l'homme. Il y a un vieux proverbe qui dit: «Le jeu de l'étrille équivaut à un picotin d'avoine; la main engraisse autant que la nourriture.»
La toilette de Pierrot finie, on le conduisit à l'abreuvoir.
– André, dit M. Gertal, tu le ramèneras au pas et non en le faisant trotter comme font tant de garçons étourdis. Un cheval qui revient de l'abreuvoir doit toujours être ramené tranquillement, pour bien digérer l'eau qu'il a bue.
Lorsque Pierrot revint de l'abreuvoir, on lui donna sa ration d'avoine.
– Tiens! dit Julien, on a fait boire Pierrot avant de lui donner à manger.
– Oui certes, on doit faire boire le cheval avant de lui donner l'avoine; retiens cela, petit, car c'est une chose importante que bien des gens ignorent. Si au contraire le cheval boit après avoir mangé l'avoine, l'eau entraîne les grains hors de l'estomac avant qu'ils soient digérés complètement, et l'animal est mal nourri. Remarque-le aussi, je ne vais atteler Pierrot qu'une heure après son dîner, parce que je le ferai trotter et qu'on ne doit pas faire trotter un cheval qui vient de manger, si on veut qu'il digère bien sa nourriture.
– Est-ce que tout le monde prend ces précautions, monsieur Gertal?
– Non, et il y en a bien d'autres encore que l'on néglige. Les uns remettent sur le cheval le harnais mouillé, qui le refroidit; d'autres négligent de jeter sur son dos une couverture de laine quand ils sont forcés de le faire arrêter et