La Sarcelle Bleue. Rene Bazin

La Sarcelle Bleue - Rene  Bazin


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du tout sur le vieux rose?

      – Toujours complimenteur! répondit la jeune fille.

      Elle lui tendit la main, embrassa son père, sa mère, et, glissant vers la porte avec un bruissement de bottines qui craquent et de rubans qui volent, elle disparut.

      Tous trois la suivirent des yeux. Elle était toute leur joie. Mais déjà M. et madame Maldonne s'étaient retournés vers la lampe, et remuaient leurs fauteuils en les rapprochant l'un de l'autre, comme il arrive, par instinct, dès qu'une réunion s'émiette, et Robert fixait encore la porte par où Thérèse s'en était allée. Devant son regard immobile une vision passait, de celles qui troublent le cœur. Et cependant il n'était pas, à proprement parler, un rêveur, et sa physionomie révélait plutôt une nature énergique, douée pour l'action. Il avait toute l'apparence, le geste, l'allure d'un officier de cavalerie qui commence à perdre de sa sveltesse première: sur ses épaules un peu épaisses, la tête fine et bien plantée, faite pour le casque; les cheveux bruns, coupés en brosse, à peine grisonnants aux tempes; le nez droit, les joues plates, la moustache courte et la barbiche en pointe. L'œil était bleu sombre, ferme, intelligent, le sourire discret et nuancé. Ses vêtements indiquaient un goût d'élégance légèrement trahi par la fortune: une jaquette luisante çà et là, un gilet blanc, et, sous un pantalon large, des bottes vernies qui faisaient valoir le pied nerveux d'un marcheur.

      L'élégance relative de Robert ressortait d'autant mieux que rien autour de lui, ni la robe très simple de madame Maldonne, ni le complet de toile blanche de son mari, ni dans l'ameublement du salon qui servait aussi de salle à manger, ne prêtait à la même remarque. Le papier, à grands ramages, datait des premiers temps de l'invention; les fauteuils de cuir brun, montés sur bois d'acajou, ne relevaient d'aucun style, et l'unique ornementation, assez singulière, il est vrai, consistait en oiseaux empaillés, disposés le long des murs et sur la cheminée.

      M. Maldonne, dont le départ de Thérèse avait secoué l'esprit, se pencha vers sa femme, et, prenant le peloton où elle venait de piquer le crochet d'ivoire, le posa sur le guéridon. Madame Maldonne frotta l'une contre l'autre ses mains effilées et lasses d'avoir travaillé.

      – Elle est un peu rouge, ce soir, dit-elle à demi-voix.

      – Je trouve aussi, répondit M. Maldonne: qu'a-t-elle donc fait?

      – Des folies. Figure-toi qu'elle s'est mise en plein midi à épamprer une treille de chasselas!

      – En juillet! Et par cette chaleur!

      – Prétendant qu'elle connaissait le pied de vigne, qu'elle aurait ainsi des primeurs… Et elle n'avait pas de chapeau!

      – Pas de chapeau! répéta M. Maldonne en levant les yeux d'un air de stupéfaction et de mécontentement.

      Puis, sur son visage mobile, éclairé par la lampe, cette première impression s'effaça. Quelque chose d'attendri, une joie inopinément éclose, presque une larme heureuse y parut. Il regarda sa femme, et dit:

      – Est-elle enfant encore, notre Thérèse!

      Madame Maldonne, les cils baissés, cambrant sa taille mince, savourait à sa manière, plus froide, plus retenue, la même impression secrètement égoïste. Un sourire infiniment léger, très doux aussi, relevait le coin de sa bouche.

      – Oh! oui, répondit-elle, bien enfant, Dieu merci! Tout à l'heure elle dormait pour tout de bon, la tête sur l'épaule, comme aux premières veillées, quand elle avait douze ans. Chère petite! Elle a bien le temps de grandir et de devenir jeune fille. N'est-ce pas, Robert?

      Tiré du songe qui le tenait, Robert détourna vers ses hôtes son regard où de tout autres pensées, assurément, flottaient encore.

      – Es-tu silencieux! reprit M. Maldonne. Nous disions que Thérèse était une vraie enfant. Est-ce ton avis?

      – Hélas!

      – Tu trouves?

      – Je trouve tout le contraire, mon pauvre ami. C'est une jeune fille. Et je le déplore!

      – Allons donc! Ni Geneviève, ni moi…

      – Non, vous ne le voyez pas, vous autres, mais je vous le dis, moi, elle se transforme, elle grandit, elle est déjà toute grande!

      – Et la preuve?

      – Elle dort à mes histoires!

      – C'est qu'elle était lasse.

      – Du tout, car elle ne faisait que bavarder et rire tout à l'heure.

      – Alors, c'est que tes histoires sont ennuyeuses.

      – Non, puisqu'elles l'ont amusée, quand elle était enfant. Mes histoires sont restées les mêmes, Guillaume, et c'est Thérèse qui a changé.

      M. Maldonne leva les épaules, en signe d'incrédulité.

      – Je vous prie de m'excuser, Geneviève, ajouta Robert, si je me retire un peu tôt. Je ne sais pas si c'est le soleil, mais je me sens la tête un peu lourde.

      – Comme vous voudrez, mon cher.

      – Je l'aurais parié! s'écria M. Maldonne en riant. Quand Thérèse n'est plus là, sous un prétexte ou sous un autre, Robert trouve moyen de nous fausser compagnie.

      – Je t'assure, Guillaume…

      – Va! va! mon ami, le premier article de notre règlement de vie, aux Pépinières, c'est la liberté, n'est-ce pas? Uses-en comme il te conviendra. Seulement, dis-moi, quand reprendrons-nous le catalogue? Demain?

      Robert fit un geste évasif, indiquant l'absolu détachement.

      – Après la promenade, dit-il, peut-être…

      – Peut-être! Jamais d'engagements précis avec toi. Voilà pourtant un beau travail, toute notre expérience, toutes nos recherches et si près d'être achevé! Tiens, moi, dix fois le jour, je le vois, ce volume imprimé: «Catalogue raisonné des oiseaux du département, contenant l'énumération de toutes les espèces et variétés, par Guillaume Maldonne, conservateur du musée d'histoire naturelle, avec…» Voyons, Robert, faudra-t-il ajouter la ligne qui t'associera à la gloire de l'œuvre: «Avec la collaboration de Robert de Kérédol?» Est-ce pour demain?

      – Pas probable… Je n'y suis plus.

      – Sais-tu que tu es affreusement paresseux?

      Robert se leva.

      – Il y a si longtemps! dit-il négligemment.

      Il s'approcha de madame Maldonne, l'embrassa au front: «Bonsoir, petite sœur!» serra la main de Guillaume, qui répétait, moitié riant, moitié sérieux: «L'amour de l'oiseau faiblit en toi, décidément!» et prit la porte par où Thérèse était sortie.

      Non, il ne pouvait rester: ni son affection pour les Maldonne, ni son habitude de correction mondaine ne suffisaient, en ce moment, à lui faire vaincre l'impression qu'il éprouvait. Sa nature, éminemment tendre, d'une susceptibilité qu'il cachait, le plus souvent, sous les dehors d'une indifférence volontiers railleuse et un peu brusque, s'était sentie atteinte, surprise et blessée à la fois par ce petit fait: Thérèse endormie.

      Dans ce mince détail, dont le père avait souri, il avait, lui, reconnu le signe d'un changement profond. «Je me trompais, murmurait-t-il en montant les marches de l'escalier de bois brun, aux rampes carrées et lourdes. Je la croyais encore enfant parce qu'elle est très gaie. Je m'y suis laissé prendre, et elle a fermé ses chers yeux à mon histoire de la marquise Gisèle! Bien fait, Robert, bien fait! Cela t'apprendra qu'elle aura dix-sept ans dans un mois!»

      Il entra dans sa chambre, vaguement éclairée par les lueurs traînantes des soirs d'été, alluma une bougie, qui jeta des étincelles sur les panoplies d'épées, de sabres, d'épaulettes, de fusils de chasse et de guerre, qui tapissaient les murs, et se dirigea vers une commode noire que surmontait, à un pied de hauteur, une petite bibliothèque vitrée en ébène. Sur la commode étaient rangés, pressés les uns contre les autres, des livres de classe aux coins brisés, aux pages recroquevillées et chiffonneuses,


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