La Sarcelle Bleue. Rene Bazin

La Sarcelle Bleue - Rene  Bazin


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car nous ne rencontrerons personne, mais je trouve ça charmant.

      Elle se recula de deux pas, considéra un instant M. de Kérédol, son chapeau rond luisant, sa veste à larges boutons de nacre, ses gants, sa canne à pomme d'or, et, avec un petit geste, comme un salut de la main:

      – Tout à fait votre air de colonel!

      Rien ne flattait davantage l'ancien officier de chasseurs que cette appellation dont le qualifiaient quelquefois les passants ou les conducteurs d'omnibus. Un mot qu'il voulut dire, une exclamation d'amitié, ou l'ordre du départ, resta dans sa moustache. Elle savait trop bien le chemin de son cœur, cette Thérèse! Et Robert était comme beaucoup de soldats: quand le cœur lui battait, il n'avait plus que des gestes. Il leva donc sa canne, et se mit à marcher. La boîte verte lui pendait dans le dos.

      – Si vous voulez, dit Thérèse en réglant son pas sur le sien, nous rentrerons par le faubourg?

      – Pourquoi faire, mignonne?

      – Pour prévenir mon petit commissionnaire habituel. Je vous ai dit que j'avais cueilli…

      – Ah oui! Jean Malestroit. Il a grandi, le mioche: je l'ai vu, l'autre jour, sur le seuil de sa porte.

      – Si gentil! fit Thérèse.

      Tous deux furent bientôt dans la route qui montait à droite, et s'enfonçait dans la campagne. A peine deux ou trois fermes, au milieu des champs d'artichauts ou des plantations de pépinières. Les grillons, toutes sortes d'insectes invisibles, qui chantent à l'entrée de leurs trous, commençaient la longue complainte des jours chauds. On voyait, au bord des fossés, le luisant de l'herbe qui remue. Thérèse causait des détails de la vie quotidienne, de mille petites choses indifférentes pour tous autres qu'elle et Robert. Un passant qui l'aurait entendue se serait demandé pourquoi l'autre riait, pourquoi il s'animait et s'épanouissait, sans raison apparente, sans qu'elle eût rien dit que d'ordinaire, même sans qu'elle parlât, lorsqu'aux barrières des champs elle s'arrêtait un peu, et, toute droite, l'œil aux horizons, les lèvres entr'ouvertes, aspirait à pleine poitrine l'odeur de moisson mûre, qui venait, rasant le sol. Et cependant, que c'était bon, cette promenade avec l'enfant qu'il avait élevée, que c'était doux, ce bavardage sans suite et sans fin, où l'on ne quittait le présent que pour parler du passé, leurs deux domaines communs! Pas un mot inquiétant, pas une note nouvelle dont il pût s'alarmer.

      – Vous n'avez pas fini votre légende d'hier? lui dit-elle. J'ai laissé la marquise Gisèle assiégée, et la jument grise bien maigre. Vous disiez: «Alors il arriva…» Je voudrais savoir ce qui est arrivé.

      – Non, ma mignonne, répondit gaiement Robert, le temps de mes histoires est passé.

      – Vous ne m'en raconterez plus?

      – Non, je vous en lirai, des contes des grands auteurs, écrits pour les grandes jeunes filles.

      – Oh! que c'est aimable! Je n'aurais pas osé vous le dire…

      – Vous le désiriez?

      – Sans doute, un peu. Mais comment faites-vous pour deviner ce que je désire?

      – Je pense à vous.

      – Et moi aussi, mon parrain, je pense à vous, et j'ai le cœur touché de vos attentions, bien touché, je vous assure!

      «Comme je la retrouve! songeait Robert, Comme la voilà reconquise! Est-elle charmante, ce matin! Et jeune! Voyez-la!»

      Et ils allaient tous deux légèrement.

      Bientôt on prit les chemins de traverse. Ils étaient pleins de fleurs, pleins de vie, pleins de fuites d'ailes effarouchées. On se baissait à chaque instant, pour une étoile blanche ou jaune devinée sous le couvert des ronces. La boîte s'emplissait d'herbes. Celles qui n'étaient pas rares étaient au moins jolies. Thérèse avait des goûts qu'il fallait contenter. Ainsi l'avait résolu M. de Kérédol. Il cueillait tout ce qu'elle voulait: «Je n'herborise pas pour moi, songeait-il, je fauche pour elle.» Et, les pieds dans la boue traîtresse des creux des fossés, ou la tête dans les épines, il se mouillait, se piquait, et s'échauffait avec allégresse.

      – Je regrette la tenue de colonel, disait Thérèse.

      – Moi, je ne regrette rien, si vous êtes contente.

      – Ravie!

      – Et savez-vous, disait-il, que nous voici tout à l'heure en pleine famille d'orchidées: orchis abeille, orchis mouche, orchis araignée?..

      – Où donc, parrain?

      – Dans le bois, parbleu!

      Chose curieuse, quand ils furent rendus sous la futaie, large et longue tout au plus comme un champ de moyenne taille, vestige d'ancienne forêt, ni l'un ni l'autre ne songeaient plus aux orchidées. Ils étaient las d'avoir tant marché, tant ri, et du soleil qui faisait danser l'air à la hauteur des yeux. Le dôme des feuilles gardait un reste de rosée évaporée, avec le lourd parfum qui monte du sol des bois. A peine eut-il foulé la mousse, et senti sur ses épaules la caresse des premières ombres, M. de Kérédol perdit sa belle ardeur, chercha la place la plus fraîche, sans une moucheture d'or, la trouva au bord d'un fossé d'eau courante, et s'assit en s'épongeant le front. Thérèse tourna un peu, pour ne pas avoir l'air aussi fatiguée que son parrain, affecta de s'intéresser à des fougères, eut une phrase banale sur la douceur de l'ombre, et finalement s'assit à trois pas de lui. Elle arrangea les plis de sa robe, à petits coups songeurs, et se mit à regarder devant elle. Il en faisait autant de son côté, mais, tandis qu'il était seulement silencieux, elle se sentait peu à peu envahie par une mélancolie, un malaise d'âme grandissant, le revers de l'excessive gaieté qu'elle avait eue. Cela vient ainsi, tout jeune qu'on soit. Et Thérèse eut un soupir qui fit se retourner Robert. Il la considéra un instant, et remarqua le changement qui s'était produit en si peu de temps dans la physionomie de sa filleule. Sous la voilette relevée, les yeux de Thérèse grands ouverts, sérieux et comme voilés d'une pensée qu'il ne pouvait lire, fixaient un point de l'horizon. Était-ce le moulin, là-bas, de l'autre côté de la Loire, gros comme un hanneton qui secoue ses élytres, ou les traînées pâles des champs de colza rayant les pentes, ou le nuage roulé, immobile dans l'océan de lumière où pas un souffle ne courait? Non, sans doute. La bouche avait un pli léger, et tout le visage cette lueur égale et comme cette transparence qu'il prend lorsqu'aucun objet du dehors ne l'impressionne plus, et qu'il reflète seulement un songe intime du cœur.

      – A quoi rêvez-vous? demanda M. de Kérédol.

      – Moi? à rien, répondit-elle sans bouger.

      Robert jugea politique d'opérer une diversion, se pencha en avant, au-dessus du courant qui filait, rapide et bleu d'acier, parmi les cressons, les acanthes, toute une végétation réfugiée là contre l'ardeur de l'été, et cueillit une tige couronnée d'un corymbe de fleurs blanches.

      – Reine des prés, dit-il, spiræa ulmaria, famille des Rosacées. Voyez, Thérèse, est-elle élégante!

      Thérèse fit à la plante l'aumône d'un regard distrait.

      – Dites-moi, demanda-t-elle en rabaissant sa voilette, maman s'est bien mariée à dix-huit ans, n'est-ce pas?

      – Oui, dix-huit ans, répondit rapidement Robert… Je crois, Thérèse, que vous n'avez jamais étudié la reine des prés. Tenez, la feuille est ailée, duvetée en dessous, à folioles ovales. J'ai lu quelque part qu'en infusant les fleurs dans du vin, on obtient le bouquet du fameux Malvoisie!

      Et il observait, sur le visage de la jeune fille, maintenant tournée vers lui, l'effet de cette pointe habile. Elle n'en parut pas touchée.

      – Vraiment? dit-elle… Mais, dix-huit ans… mon parrain, savez-vous que je les aurai l'année prochaine? Ce serait très drôle si…

      – Qu'est-ce qui serait drôle, mon enfant?

      – Non, pas drôle précisément. Je veux dire, reprit-elle, – et son sourire éclatant, toute sa jeunesse enjouée reparut sur ses joues, sur ses lèvres, dans ses yeux qu'animait un éclair de soleil venu on


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