Le Mariage de Mademoiselle Gimel, Dactylographe. Rene Bazin
un peu bas:
» – Ça s'est très bien passé… Aux Tuileries… Il est très comme il faut… Recevez-le bien.
»Lui, il ne disait plus rien. Elle l'a considéré peut-être une demi-minute. Elle est sensible, impressionnable! Je lisais tout sur son visage; elle se demandait:
» – Voyons, cette physionomie-là me revient-elle? Du temps de ma jeunesse, quand j'étais vendeuse chez Revillon, m'aurait-il plu? Voyons, ces moustaches, ces sourcils un peu rudes, ce front calme et têtu, ces yeux de commandement, mais qui aiment, qui ont un peu peur, non pas de moi, mais de ce que je vais dire… Oui, sûrement, Evelyne a fait ce que j'aurais fait… Quoique… Vraiment oui, monsieur Gimel, adjudant de la garde républicaine, était un plus bel homme.
» – Excusez-moi, monsieur; on ne s'attend pas à des nouvelles pareilles. Je suis toute saisie. Dites-moi comment vous avez connu Evelyne. Êtes-vous de sa banque?
»Il se mit à rire, et j'entends encore ce rire contenu, mais si franc, le dernier entre nous.
» – Oh! non, madame! non! J'ai commencé par deux années au Soudan…
» – Seigneur! Vous habitez les colonies?
» – Je les habitais hier; j'y retournerais volontiers si je n'avais pas une idée que je viens de vous avouer. Je suis lieutenant d'infanterie.
»Maman devint toute pâle, subitement. Elle chercha ses mots, elle qui les trouve toujours, et si vite!
» – Officier! Mais, monsieur, il faut une dot réglementaire? Je ne sais pas si Evelyne, même après ma mort…
» – Non, maman, il n'en faut plus! J'ai fait l'objection, moi aussi, vous rappelez-vous, monsieur, à côté du myrte, quand le jardinier est entré? Je vous demandais, justement… Non, maman, il y a une circulaire du général…
»Je croyais que maman allait rire. Non, elle pâlissait encore; elle avait l'air de défaillir; elle nous regardait avec une espèce de stupeur, comme si nous allions mourir l'un ou l'autre.
» – En vérité, monsieur, dit-elle, ce projet-là est impossible… tout à fait impossible… L'honneur était grand, sans doute… Mais Evelyne ne peut pas épouser un officier. Voulez-vous m'attendre ici?.. J'ai à parler à l'enfant, qui ne comprend pas plus que vous ce que je veux dire. Viens, ma petite.
»Et, en disant cela, elle m'entraînait dans ma chambre. Je n'avais pas peur; je me sentais forte contre toute opposition, capable d'attendre, de m'exiler, de continuer de travailler, d'apprendre un métier nouveau, s'il le fallait, de tant de choses, que j'étais sûre que celle que maman allait m'opposer comme argument ne tiendrait pas contre ma volonté… Pouvais-je prévoir? Ah! trop confiante que j'étais! Un mot a suffi pour m'accabler. Elle m'a emmenée près de la fenêtre; elle a passé sa main autour de ma taille; elle m'a caché son visage; son front touchant mes cheveux, elle m'a parlé. Aussitôt, j'ai senti mon pauvre amour frappé à mort. Je ne me suis pas défendue; je ne répondais pas; je souffrais. Combien de temps suis-je restée là, sans force, tandis qu'elle me disait:
» – Allons, rentre, mon enfant, trouve un prétexte, écarte-le puisqu'il le faut!
»Voyant que je me taisais, elle me proposa même de retourner seule et de dire elle-même à M. Morand:
» – C'est fini, ne revenez pas.
»Alors seulement, je revins à moi; je la repoussai; elle me laissa faire. J'étais nerveuse, dès lors courageuse. Je devais être très singulière avec mes yeux brillants de larmes que je retenais; avec ma volonté nouvelle de le quitter; avec ma voix que j'avais peur d'entendre moi-même parce qu'elle allait nous séparer. Je ne sais pas comment j'ai eu le courage. J'ai été droit à lui, qui était debout au milieu du salon.
» – Monsieur, voici un grand chagrin pour moi, et pour vous: madame Gimel vient de me parler… J'ignorais ce qu'elle m'a appris, je vous le jure. Elle a bien fait de me l'apprendre. Je ne dois pas, je ne peux pas être votre fiancée.
» – Mais que vous a-t-elle appris, mademoiselle? Elle ne me connaît pas. On m'a peut-être calomnié près d'elle? Qu'elle se renseigne. Je n'ai pas à craindre. Mais ne dites pas des mots comme celui-là.
» – Oh! non, cela ne vous concerne pas.
» – Alors, comment une chose que vous ne saviez pas, et qui vous concernait, mademoiselle, pouvait-elle avoir tant d'importance? Vous l'ignoriez? Qu'est-ce que c'est! Vous ai-je dit que les questions de dot n'entraient pas dans mes préoccupations? Vous seriez sans mobilier et sans trousseau que je ne changerais pas d'avis. N'est-ce que cela?
» – Non, hélas!
» – Mais parlez donc!
» – Je ne peux pas…
» – Vous le devez! Je ne vous quitterai pas sans savoir pourquoi vous rompez. J'ai droit à une explication.
» – Et si je vous demande, monsieur, de ne pas vous en donner?
» – Je refuse… Vous voyez que je souffre cruellement… Je croirai que j'ai été repoussé pour des raisons d'ambition, qu'on vous a fait partager.
» – Non, par exemple! N'injuriez pas la petite, monsieur! Elle avait le droit de choisir, en effet; mais elle avait choisi, et elle n'est pas femme à se reprendre par ambition!
»C'était madame Gimel qui sortait à son tour de ma chambre, animée, rouge, susceptible pour moi, qui n'étais que malheureuse. J'ai étendu la main, pour arrêter la plaidoirie de cette chère offensée. J'ai dit:
» – Vous avez raison, monsieur, il vaut mieux que vous sachiez la vérité.
» – Quoi, Evelyne, tu vas lui dire?..
» – Tout. Monsieur Morand va voir, par là, combien je l'estime. Il verra aussi que je ne puis pas être sa femme… Je suis une enfant abandonnée, monsieur, une pupille de l'Assistance publique, adoptée par madame Gimel… Comprenez-vous, maintenant? Cette femme, qui m'a élevée, n'avait qu'à me laisser avec les autres: j'aurais grandi dans une ferme de la Nièvre ou de la Normandie. Je suis sans père ni mère… Vous voyez vous-même que je ne suis pas de celles qu'on peut présenter à des femmes d'officiers. Dites le contraire!
»Il me regarda, et il m'aimait encore. Mais il ne répondit rien. Il voyait que je ne mentais pas, que j'avais tout ignoré, que je ne voulais pas pleurer, que je ne voulais pas qu'il restât… Et il a voulu, lui aussi, être courageux; il ne m'a même pas demandé de lui tendre la main; il a salué maman, le pauvre garçon, perdu d'esprit et toujours correct; il l'a saluée, et puis il n'a plus eu la force de me dire adieu. Je crois qu'il a essayé de commencer: «Pardonnez-moi», mais il n'a pas eu la force de finir, il a senti que tout s'écroulait et il a quitté le salon… Je suis presque sûre qu'il s'est arrêté pour me regarder, sur le palier. Je n'ai pas couru. La pupille de l'Assistance publique n'avait aucune parole d'espérance à lui donner, aucune illusion. Le bruit sec de la serrure, qui reprenait son rôle de gardienne, nous a séparés.
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