Le Mariage de Mademoiselle Gimel, Dactylographe. Rene Bazin

Le Mariage de Mademoiselle Gimel, Dactylographe - Rene  Bazin


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d'arbres; et puis, j'ai vu son visage immobile; nous étions attirés l'un par l'autre, et moi seule j'avançais; j'ai vu ses yeux qui étaient tout pleins de moi; j'ai monté; personne n'était là que nous; j'ai couru, et j'ai dit:

      » – Je vous aime!

      »Alors, oh! alors, ses yeux se sont emplis de larmes, subitement. Et, lui pleurant, moi presque, sous la pluie, dans ces Tuileries désertes, nous étions infiniment heureux. Je crois que nous marchions très doucement, mais je ne suis pas sûre. Nous étions, dans nos cœurs, fiancés. Il m'a regardée longtemps, sans mot dire, ses yeux fermes, ses yeux de commandement et de justice fixés sur les miens, et je voyais trembler, au coin de ses lèvres, des mots d'amour qu'il était trop ému pour prononcer. Il était devenu muet.

      » – J'ai tout compris, monsieur, mais il pleut. Si nous rentrions?

      »Une pluie véritable tombait. J'avais dit étourdiment: si nous rentrions?

      »Mais où? La grande serre des Tuileries était là, toutes ses baies vitrées bien ouvertes, laissant voir les palmiers, les orangers, les bananiers, les fougères, et défendue seulement par une chaînette de fer qui, d'un pilier à l'autre, faisait feston. Ma foi, nous entrâmes; je m'adossai à une caisse et M. Morand s'adossa à la même. C'était une très grande caisse; nous étions sous l'oranger, et je ne sais pas si cela porte chance, mais je ne vivrai jamais des minutes plus douces. Il regardait devant lui, la pluie qui tombait, et moi de même, et je crois bien que nous ne voyions rien, que l'avenir, dont nous ne parlions pas. Il avait pris ma main, et il la pressait souvent, et même, dans l'intervalle, je la sentais petite, confiante, aimée entre ses doigts très rudes, mais qui tremblaient. Ce qu'il me disait? Peu de chose; c'était une espèce de plainte qui me semblait délicieuse et qu'il appelait «raconter sa jeunesse».

      » – J'ai souffert, répétait-il, jusqu'au moment où je vous ai connue. Ma vie a été seule, pauvre, et vous voici enfin.

      »Quel bonheur il y avait pour moi, et pour lui, dans cette tristesse passée! Je compatissais. J'avais le sentiment que je commençais mon rôle de femme, qui est de consoler. Il radotait, et moi aussi, pour que cela durât. Nous laissions des silences entre les mots; mais ils étaient remplis par une espèce de pitié amoureuse, qu'il demandait et que je donnais. Il y a un langage, d'âme à âme, qui n'a point de paroles; c'est comme une couleur changeante dont on se serait enveloppé. Contre mon habitude, je n'étais pas gaie. Je ne retrouvais pas ce qui a été ma manière d'être heureuse jusqu'à présent. Je ne souhaitais rien tant que l'entendre dire toujours:

      » – J'ai souffert, et vous voici enfin.

      »Tout à coup, une porte s'ouvrit dans le fond de la serre; un jardinier entra par derrière les palmiers.

      » – Eh bien! les amoureux! Pas gênés! Voulez-vous filer! C'est pas une marquise de restaurant, la serre des Tuileries!

      »M. Louis Morand est un homme de sang-froid. Je l'ai bien vu. Il s'est dressé. Il a observé le jardinier qui arrivait, et, à trois pas, il lui a dit tranquillement:

      » – Vous vous appelez Jean-Jules Plot, caporal, il y a trois ans, à la troisième du 2. Est-ce vrai?

      » – Peut-être bien. Et vous?

      » – Lieutenant Louis Morand. Vous n'étiez pas dans ma compagnie, mais je vous reconnais bien.

      » – C'est que vous êtes en civil, mon lieutenant, excusez.

      »Alors, ils se sont écartés de moi, et j'ai entendu le jardinier qui disait très bas:

      » – Mes compliments: elle est tout à fait chic votre bonne amie, mon lieutenant.

      » – Dites ma fiancée, Jean-Jules Plot.

      »Et, se détournant, il m'a regardée. Ah! les beaux yeux francs, où il y avait de l'amour pour toute une vie et même pour deux! La pluie tombait moins fort; j'ai fait signe:

      » – Si nous sortions?

      »Il a ouvert son parapluie; je me suis mise tout près de mon «fiancé»; il était si content que je l'aurais emmené à droite, à gauche, n'importe où.

      » – Je vous aime, mademoiselle Evelyne.

      »Nous descendions la rampe du jardin, nous passions à côté du bassin, près du vieux père Nil, tout écrasé sous l'avalanche de ses enfants; nous franchissions la grille.

      » – Mademoiselle Evelyne, je vous… Au fait, où allons-nous? demanda-t-il.

      » – Voir maman: il est temps de la prévenir, après trois rendez-vous!

      »Je ne sais s'il avait bien compris, car, des Tuileries jusqu'à la rue Saint-Honoré, il ne s'occupa que de moi, et ne me parla pas d'elle.

      »Je n'ai jamais monté plus lentement l'escalier de notre maison. Ah! que j'avais raison! Le bonheur, c'est de la joie qui croit qu'elle va durer. Le mien n'était pas tout à fait complet, Il tremblait un peu. Qu'allait dire maman? Mais je la savais faible pour moi. M. Morand, dès la première marche, avait pris mon bras et l'avait posé sur le sien.

      » – Il n'y a que quatre étages? disait-il. Quel dommage! J'apprécierais, en ce moment, une maison américaine.

      »Je pensais de même. Il faisait jour encore, dans la grande cage blanche. Personne ne troubla l'ascension. Quand nous nous trouvâmes en haut, nous eûmes ensemble le même battement de cœur, le même recul devant le bouton de cuivre de la sonnette. Derrière la porte, quelle parole allait être dite? Quelle destinée nous guettait? J'avançai la main, très lentement. M. Morand vit le geste, et, peut-être pour retarder le moment où nous serions trois, il prit ma main et la porta à ses lèvres, et je sentis celles-ci qui priaient sur mes doigts et qui disaient:

      » – Pas encore.

      »Cela dura un peu. Je crois que j'aurais laissé durer la prière si je n'avais entendu le pas de maman. Elle venait, probablement, pour se pencher sur la rampe. Ce fut M. Morand qui sonna. Puis, il s'effaça. Et maman vint ouvrir, précipitamment, joyeusement, comme chaque soir.

      »Elle m'aperçut d'abord; je vis commencer le sourire qui m'accueille et qui m'appartient; mais, tout de suite, il cessa. Maman venait de découvrir, en arrière, ce jeune homme; ses yeux myopes firent effort, elle plissa les paupières, elle se demanda:

      » – Est-ce que je le connais?

      »Elle eut son petit mouvement de tête qui précède le bonjour. Mais non, elle ne connaissait pas ce monsieur. C'était un étranger. Elle ne comprenait plus; elle pensa qu'elle avait encore son tablier de popeline noire, et je vis se reculer dans l'ombre du couloir sa pauvre figure troublée, froide, pincée, tandis que je m'avançais, et que je disais tout bas:

      » – Maman, je vais vous expliquer. Ne craignez rien. Allons dans le salon.

      »Son premier geste, en entrant dans le salon, c'est-à-dire dans sa chambre, fut de jeter, sous la machine à coudre, le tablier surpris. Alors, elle parut se remettre. Elle leva la mèche de la lampe.

      » – Entrez donc, monsieur; qu'est-ce qu'il y a? Je ne m'attendais pas à une visite. Si tu fermais la fenêtre, Evelyne?

      »Quand elle fut assise, à contre-jour, quand la fenêtre fut fermée, maman avait déjà repris son air très sûr, son air parisien.

      » – Mais asseyez-vous donc, monsieur.

      »Et elle le regardait, pendant ce temps-là. Elle l'étudiait. Elle le cataloguait. Moi, j'étais à sa gauche, près du fauteuil, et joliment plus émue qu'aux Tuileries, et je le regardais, lui aussi, et je le trouvais stupéfiant et charmant.

      »Il n'était pas embarrassé, pas gauche, pas godiche; il était ému, et, ce qui me parut très bien et très fort, de tout ce qui était dans le salon, il ne considérait que maman. Il la laissait, avec déférence, s'agiter. Il attendait, sans impatience, qu'il pût dire ce qu'il voulait dire. Il restait debout; et ce fut très simple. Moi, je n'avais eu le temps de rien expliquer. Il se chargea des éclaircissements.

      » – Madame, dit-il, j'aurais dû vous parler avant-hier; voilà trois jours déjà que j'ai fait ma déclaration


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