Des homicides commis par les aliénés. BLANCHET PHILLIPE

Des homicides commis par les aliénés -   BLANCHET PHILLIPE


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c'est de là que tout cela vient.

      D. Monsieur le curé de Montmartre passe pour un excellent homme?

      R. Oui, il passe pour un très-brave homme, mais il est pétri de perfidie à mon endroit; c'est une surfine canaille.

      D. Qu'est-ce qui vous a donné la preuve qu'il s'occupait de vous?

      R. Une fois, sur les buttes, je le rencontre; je le traite de lâche, de prêtre indigne. Il me dit: «Nous allons vous faire chaisière.» C'était certainement à moi qu'il s'adressait.

      D. Est-ce que M. le Curé vous a toujours donné sujet de vous plaindre de lui?

      R. Non, il y a eu un temps où il avait encore des égards pour moi; mais un dimanche, je me suis aperçue que les élèves d'un pensionnat qui étaient à côté de moi à l'église se retournaient pour me regarder pendant le sermon, elles avaient l'air de me dire: «C'est pour vous qu'on parle, vous faites trop de toilette.» Après, elles m'ont laissée tranquille. Elles avaient l'air de dire: «Puisqu'il ne faut pas la regarder, laissons-la.»

      D. Qu'est-ce qui a fait changer M. le curé?

      R. Je crois que ce sont les marguilliers, le personnel rapace. Tous se sont mêlés de me faire de petites taquineries. Ainsi, le gardien du Calvaire avait dressé son chien à courir après moi quand je passais. La chaisière disait au donneur d'eau bénite, d'une voix forte: «Huez la donc.»

      D. Comment vous, qui êtes un peu sourde, entendez-vous si bien ce que l'on dit de vous?

      R. On peut facilement distinguer. Les personnes qui sont sourdes, quand elles regardent ceux qui parlent, comprennent facilement au mouvement des lèvres.

      D. Alors vous pensez que c'était le personnel de l'église qui avait indisposé le curé contre vous?

      R. Le gardien du Calvaire surtout. Les vicaires aussi. Il y en avait un, l'abbé J… qui me huait, me conspuait dans l'église. Plus il y avait de monde, moins il se gênait; en passant à côté de moi, il faisait: «Pschitt!» en signe de mépris. Un autre vicaire encore davantage. Il venait se mettre à côté de moi, et il faisait le signe de cracher. Je me suis plainte du donneur d'eau bénite à l'ambassadeur belge. Il a été conduit trois fois au violon, et, comme il continuait, on a employé quelqu'un d'en haut pour le surveiller; il a disparu pendant une journée, et quand il est revenu, il était encore plus acharné.

      D. Comment en êtes-vous venue à la résolution de tuer M. le curé?

      R. Je ne voulais pas le tuer, je voulais seulement le blesser, je voulais tirer dans les fesses, parce que j'ai entendu dire que dans les chairs ce n'est pas mortel. Je savais qu'on m'arrêterait, que je passerais aux assises, parce qu'il y aurait eu des journaux, et que j'aurais pu faire connaître que si j'étais venue une seconde fois en prison, c'était leur faute, aux curés. Je voulais qu'on voie bien clairement que c'est l'argent qui les fait agir.

      D. Vous rappelez-vous à quelle époque vous avez conçu le projet de tirer sur M. le curé?

      R. Il y a déjà quelque temps, mais je lui avais pardonné parce qu'il avait très-bien soigné son vieux père. Je lui ai écrit à ce sujet là.

      D. Combien de temps avant cette tentative avez-vous acheté votre revolver?

      R. En 1860, c'était pour me défendre des attaques d'un voisin qui ne me laissait pas une minute de repos.

      Il avait ameuté tout le quartier contre moi. Je n'osais plus sortir de chez moi. On me traitait de voleuse, toujours à cause des prêtres qui avaient divulgué ma cause.

      J'ai quitté Paris, je me suis trouvée à Reischoffen, dans les ambulances, puis j'ai été à Marseille; enfin, je suis revenue à Paris le 23 juillet dernier. J'avais écrit à l'ambassade belge que je donnais au curé de Montmartre jusqu'au 1er août pour me rendre justice et me donner la place de chaisière pour m'indemniser.

      Le lundi, 6 août, je voulais tirer sur lui aux vêpres, pas à la grand'messe, pour ne pas faire de scandale. Voilà que le dimanche, le curé a fait la quête; je savais bien que ce n'était pas à lui de la faire; il l'a faite par taquinerie; il est passé devant moi, sans me présenter la bourse, il a fait exprès d'aller causer avec des dames qui étaient à côté de moi. Alors moi, exaspérée, j'ai pris mon revolver sous mon caraco, j'ai déchargé mon coup sur lui. J'ai été très-agitée parce que ce n'était pas le moment que j'avais choisi; si j'avais eu le temps de me préparer, j'aurais été plus calme.

      D. Que s'est-il passé ensuite?

      R. Après, je n'ai pas dit une parole, je me recueillais, j'étais convaincue qu'ils allaient me tuer.

      D. Qui «ils»?

      R. Le suisse, le bedeau, qui s'étaient précipités sur moi.

      D. Regrettez-vous ce que vous avez fait; êtes-vous inquiète de ce qui peut vous arriver?

      R. Non, je ne suis pas inquiète.

      D. Vous nous disiez que vous aviez fait quelques économies, vous reste-t-il encore un peu d'argent?

      R. J'ai tout dépensé. Quand je suis allée à Marseille, j'avais acheté une petite voiture et de la mercerie pour vendre dans les rues; c'était la même chose qu'à Paris; j'ai vu des personnes dans la banlieue qui chuchotaient et disaient: «Il ne faut rien lui acheter.» J'ai vu que cela venait encore des prêtres. J'ai écrit au curé pour le supplier de ne pas me montrer au doigt, il n'en a pas tenu compte.

      Je lui prédisais malheur, il a continué.

      Quand je suis revenue, c'était encore pire qu'avant. Ainsi, quand j'allais faire mon heure d'adoration, il le savait, et venait tout exprès dans l'église pour me narguer. Je suis certaine qu'il avait divulgué ma cause partout. Ainsi, à Lyon, en venant par le chemin de fer, j'ai très-bien vu deux jeunes gens, sur le quai de la Gare, qui ont chuchoté en me regardant, je me suis dit tout de suite: «Me voilà encore reconnue.» Maintenant, je suis dépouillée, je n'ai plus rien, et je ne peux plus trouver de travail nulle part.

      D'abord on me reçoit, puis deux ou trois jours après on me refuse.

      C'est toujours la même chose.

      D. Vous nous avez parlé de votre condamnation, avez-vous été prise sur le fait?

      R. Non, Monsieur, ce n'est que quelque temps après. J'avais pu m'en aller en Belgique où j'ai un frère officier.

      Il est un peu fier, il ne m'a pas bien reçue.

      Je suis revenue à Paris, et l'idée m'est venue d'acheter des vêtements d'homme, puis de repartir pour la Belgique, habillée en homme. Je voulais aller dans le café où il va d'habitude, je l'aurais provoqué en lui jetant un verre de bière à la figure. Mais il y avait des agents à la gare, ils ont regardé dans mon paquet que j'avais laissé un moment, il y avait des vêtements de femme; quand je suis venue pour le prendre, ils m'ont arrêtée, c'est comme cela que j'ai été reconnue et passée en jugement.

      D. Pourquoi ne pas garder vos vêtements de femme pour aller jeter un verre de bière à la figure de votre frère?

      R. C'est que je ne voulais pas que dans le café on me prît pour sa maîtresse.

      D. Avez-vous eu quelque liaison dans votre vie?

      R. Jamais, Messieurs, je n'ai eu de rapports avec un homme; je n'ai jamais aimé personne. On me faisait rougir rien qu'en me parlant mariage. Ce n'était pas dans mes idées.

      D. Vous nous dites que le curé avait indisposé tout le voisinage contre vous par ses révélations; vous poursuivait-on jusque dans votre chambre?

      R. Pas directement, mais ils cherchaient à savoir ce que je faisais chez moi.

      Ils montaient sur la tour Solférino pour plonger dans ma chambre.

      Ils se mêlaient de tout. Je ne pouvais pas sortir sans qu'ils soient à me guetter.

      Un soir, je rentrais avec un journal à la main; l'abbé M…


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