Des homicides commis par les aliénés. BLANCHET PHILLIPE

Des homicides commis par les aliénés -   BLANCHET PHILLIPE


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points intéressants. Les renseignements sur les antécédents héréditaires manquent, mais B… a une malformation congénitale de la tête. B… n'a pas d'habitudes d'ivrognerie; il est habituellement d'une très-bonne santé, sauf qu'il est sujet à des érysipèles de la face et du cuir chevelu. La crise d'agitation maniaque aiguë qui a nécessité son placement dans un asile est survenu vers la fin d'un érysipèle. Cette crise n'a été que de courte durée, et B… est redevenu promptement calme, d'un caractère concentré, taciturne, ne communiquant pas ses pensées, régulier dans sa tenue, bref, mais correct dans ses réponses, il a pu dissimuler le véritable état de son esprit, et sur les instances de sa femme, il a été remis en liberté.

      À peine rentré chez lui, B… est retombé sous l'empire de conceptions délirantes et d'hallucinations qui ne lui ont presque plus laissé de répit; il a lutté pendant quelques semaines contre les suggestions de son délire; puis, une nouvelle crise de surexcitation cérébrale s'est produite, et B… a tué sa femme; le meurtre accompli, il est demeuré absolument tranquille, et s'est laissé arrêter sans résistance.

      Ainsi qu'on l'observe ordinairement, B… a éprouvé comme un soulagement après avoir commis l'acte qu'il considérait comme le châtiment mérité de ses justes griefs; mais le délire a persisté, et dans la prison, il y a eu un nouvel accès de surexcitation maniaque.

      B… déclaré irresponsable, a été placé de nouveau dans un asile; j'ai eu occasion de l'y voir plusieurs fois, et à une de mes visites je l'ai trouvé très-excité et très-irrité, et on a dû prendre à son égard des mesures exceptionnelles de surveillance; il était certainement sollicité par une nouvelle impulsion à des actes de violence.

      DÉBILITÉ INTELLECTUELLE CONGÉNITALE. – DÉLIRE DE PERSÉCUTION. – ILLUSIONS DES SENS. – IDÉES DE SUICIDE. – ACCÈS D'EMPORTEMENT. – MEURTRE. – IRRESPONSABILITÉ

      Nous, soussignés, É. Blanche et A. Motet, docteurs en médecine de la Faculté de Paris, commis le 20 novembre 1871, par ordonnance de M. Perrot de Chezelles, juge d'instruction près le tribunal de première instance du département de la Seine, à l'effet de constater l'état mental du nommé L… Antoine, âgé de 53 ans, inculpé d'assassinat commis le 7 octobre sur la personne du sieur M…; après avoir prêté serment, pris connaissance du dossier, visité le prévenu, et recueilli tous les renseignements de nature à nous éclairer, avons consigné dans le présent rapport les résultats de notre examen:

      L… est un homme de 53 ans, bien constitué, qui n'a jamais présenté d'autres troubles dans sa santé que des accidents fébriles à forme intermittente, sans caractère pernicieux d'ailleurs. Son existence a été assez aventureuse. Jeune, il est allé en Californie avec M… alors son ami, plus tard son associé; il ne fit pas aux placers une brillante fortune, mais il en revint avec une vingtaine de mille francs. Après avoir passé quelque temps dans sa famille, il se maria, revint à Paris, et s'associa avec M… pour l'exploitation d'une maison de commerce: les affaires furent assez prospères pour qu'à la fin de son contrat, L… put aller vivre à E… de ses revenus, laissant M… continuer la gestion de la maison de commerce.

      Nous insistons sur ces détails; ils ont une importance sérieuse pour nous; les mobiles du crime dont L… est inculpé, doivent être recherchés jusque dans les relations qui existaient à cette époque et qui se sont maintenues depuis entre les deux associés.

      Tant qu'ils vécurent l'un près de l'autre, L… et M… n'eurent pas de difficultés. La maison marchait bien, et les discussions qui pouvaient naître au sujet des affaires, étaient vite apaisées. Cependant, dès cette époque, on reconnaissait à L… un caractère méfiant, soupçonneux; comme il n'avait pas de sujet sérieux de plaintes, qu'il pouvait facilement contrôler lui-même la gestion de la maison, la tenue des livres, comme d'un autre côté il trouvait dans ses occupations au dehors une diversion assez puissante, il n'y eut jamais de scènes de violences, ni même de récriminations très-vives. Il n'en fut plus ainsi quand L… quitta la maison de commerce, laissant M… seul à la tête des affaires. Sa situation avait été nettement établie, la liquidation s'était faite régulièrement; les termes de paiement des sommes et des intérêts dus à L… avaient été convenus, rien, en un mot, n'avait été négligé, et il eût dû trouver dans l'exactitude avec laquelle ces conventions furent exécutées en 1800 et 1870 une sécurité entière. Il n'en fut rien.

      Il se produisit chez lui ce qui se voit trop fréquemment chez les hommes qui passent tout à coup d'une vie laborieuse et active à une vie oisive. Il prit ombrage de tout. Il se figura que son associé ne lui rendait pas de comptes fidèles, il vécut avec cette idée, sans cesse présente à son esprit, assez inquiet pour en parler souvent à sa femme, assez maître encore de lui, dans les premiers temps, pour ne pas venir lui-même à Paris, pour y envoyer sa femme à l'époque des échéances. Peu à peu les préoccupations, de vagues qu'elles étaient, prennent une forme plus précise: «Il a entendu dire que son associé M… prétendait que lui, L… était mort dans une maison de fous.»

      Par qui a-t-il entendu tenir ce propos? «C'est un homme âgé qu'il ne connaît pas, qui doit demeurer dans un village voisin, qui est venu pour l'avertir; il a d'autres indices: M… lui a écrit une lettre à laquelle il ne comprend rien, on lui a dit d'apporter du papier timbré, qu'est-ce que cela veut dire? Ce sont des énigmes pour lui.» Jusque-là encore L… reste dans cet état d'indécision, d'incertitude, qui appartient aux périodes initiales des délires; mais il y apporte un caractère particulier qui nous semble important à signaler. Il oublie pendant de longs mois ses inquiétudes; il vit, calme en apparence, partage entre des occupations d'une extrême simplicité, il va à la pêche tous les jours, rentre paisiblement chez lui, n'a pas d'habitudes alcooliques, est, en un mot, pour tout le monde, un de ces hommes inoffensifs qui ne donnent aucun prétexte à la malignité publique de s'occuper d'eux. Et cependant, en y regardant d'un peu plus près, on trouve dans le dossier même des renseignements curieux: le brigadier du gendarmerie, le maire de la commune déclarent que L… est très faible d'esprit, que ses idées sont souvent décousues, qu'il n'a pas toujours la tête à lui, que du reste, il n'a jamais donné lieu à des plaintes, que, s'il a parfois le caractère emporté, il ne s'est livré sur personne à des violences. Le rapport ajoute qu'il parlait volontiers de ses affaires et de l'irrégularité avec laquelle M… tenait ses engagements vis-à-vis de lui.

      Son départ pour Paris dans les premiers jours d'octobre ne fut pas annoncé. Sa femme était venue comme d'habitude, quelques jours auparavant, elle n'avait pas terminé le règlement des comptes.

      L… mécontent, résolut de faire lui-même le voyage, et sans laisser soupçonner qu'il eût de mauvais desseins, il s'exprima, cependant, dès ce moment, sur le compte de M… avec une vive animosité.

      Arrivé à Paris, il visite quelques personnes; partout il se montre excité contre M… on prévoit une discussion, on ne prévoyait pas cependant qu'un meurtre en serait la conséquence dernière. Le troisième jour de son arrivée, L… se présente le matin chez son associé; ne le trouvant pas, il va déjeuner; ce déjeuner n'est pour lui l'occasion d'aucun excès, et vers deux heures de l'après-midi, il se présente de nouveau chez M… qui l'attendait. Là, sans discussion, sans provocation d'aucune sorte, comme l'affirment les témoins. L… frappe M… d'un coup de couteau dans le ventre, en présence du caissier, de deux jeunes gens, employés de la maison, qui se trouvaient à quelques pas de lui dans le magasin.

      Tel est l'acte sur le caractère duquel nous avons à nous prononcer.

      A-t-il été commis avec conscience, avec une entière liberté morale?

      Est-ce au contraire un acte qui ne saurait être considéré comme entraînant la responsabilité du prévenu?

      C'est dans l'examen attentif de L… dans l'observation prolongée à laquelle nous l'avons soumis, dans les réponses qu'il a faites à nos questions, dans les pièces même du dossier, que nous trouvons les éléments d'une conviction absolue, et les conclusions qui nous sont demandées. L… est détenu depuis le 7 octobre; nous le trouvons à la prison de Mazas, et dès notre première visite, nous pouvons constater combien son intelligence est peu active, combien sa mémoire


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