Récits d'une tante (Vol. 4 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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Récits d'une tante (Vol. 4 de 4) Mémoires de la Comtesse de Boigne, née d'Osmond
…I pray you when you shall these deeds relate I speak of me as I am, nothing extenuate not set down aught in malice…
HUITIÈME PARTIE AVANT-PROPOS
Cette huitième partie a été écrite avant les sept précédentes, et lorsque je ne pensais nullement à me créer une distraction de ce genre. Ayant conduit mon récit jusqu'à l'époque de la révolution de 1830, j'ai voulu lire ces cahiers afin d'en tirer le sujet d'un dernier chapitre; mais, après réflexion, je me suis décidée à les laisser tels qu'ils sont.
Je ne m'aveugle pas sur leurs défauts. Si je n'ai pas suffisamment de talent pour les éviter, j'ai assez d'intelligence pour les sentir. Le style est lâche; il y a des longueurs infinies.
Mais je ne réussirais probablement pas à corriger ce qui tient à l'ignorance du métier d'écrire et je craindrais de faire perdre à cette narration un mérite (qu'on me passe ce mot ambitieux) que je ne puis m'empêcher de lui reconnaître, c'est de m'avoir reportée aux événements et si vivement rappelé mes impressions du moment que j'ai pour ainsi dire revécu les journées de Juillet avec toutes leurs craintes, toutes leurs anxiétés, mais aussi toutes leurs espérances, toutes leurs illusions.
La relation d'aussi grandes scènes doit, je crois, porter principalement le caractère de la sincérité, et souvent un futile détail d'intérieur donne ce cachet d'actualité qu'il me semble y reconnaître.
En cherchant à émonder cette narration de ce qui me paraît maintenant inutile, je ne serais pas sûre d'avoir la main assez habile pour ne pas retrancher précisément ce qui lui donne le coloris de la vérité. D'ailleurs, les événements sont trop importants par eux-mêmes pour laisser le loisir de chercher autre chose qu'un historien fidèle.
D'autre part, je craindrais, en remaniant ces pages, de ne plus montrer les journées de Juillet sous l'aspect où elles se présentaient à l'époque même. Nous éprouvons aujourd'hui les difficultés inhérentes, à une révolution dirigée contre l'état social tout entier. Nous sommes assourdis par les sifflements des serpents qui en sont nés. J'aurais peine à ne pas chercher sous les pavés de Paris la fange dans laquelle ils sont éclos, et je ne serais pas alors le chroniqueur exact des impressions fournies par ces premiers moments. Dans tout le cours de ces récits, j'ai cherché à me garer de présenter les événements tels que la suite les a fait juger et à les montrer sous l'aspect où on les envisageait dans le moment même.
Je veux garder la même impartialité pour la révolution de Juillet.
Là, se termine ma tâche.
Jusqu'ici, j'ai raconté ce que j'ai aperçu du parterre. Depuis 1830, je me suis trouvée placée dans les coulisses; et la multitude des fils qui se sont remués devant moi me permettrait difficilement de faire un choix, plus difficilement de conserver l'impartialité à laquelle je prétends.
La sincérité prendrait parfois le caractère de la révélation. On peut raconter ce qu'on a vu ou deviné, voire même ce qu'on vous a dit, jamais ce qu'on vous a confié. Je m'arrête donc à l'époque de juillet 1830.
Peut-être l'habitude que j'ai prise de griffonner me portera-t-elle à jeter sur le papier quelques notes sur des faits particuliers; mais ce n'est pas mon intention en ce moment.
UNE SEMAINE DE JUILLET (JUILLET 1830.)
Vous m'engagez à écrire mes souvenirs des mémorables journées de Juillet 1830 avant qu'ils soient effacés de ma mémoire; peut-être avez-vous raison.
Je n'y ai joué aucun rôle, je n'ai été agitée par aucune passion. Je pense pouvoir être fort impartiale. Je dirai seulement ce que j'ai vu et su par moi-même.
J'ai quelquefois regretté de n'avoir pas écrit les événements du mois de mars 1814. Alors, comme [en] 1830, je me suis trouvée spectateur bien placé par mes rapports avec plusieurs des acteurs de ces grands drames.
Mais, en 1814, soit que je fusse plus jeune, soit que cela tînt aux opinions où j'avais été élevée, j'avais bien plus d'enthousiasme et d'esprit de parti qu'en 1830, et, par ma position, je n'étais en contact qu'avec les vainqueurs. En 1830, au contraire, je me suis trouvée au milieu des deux partis, portée de situation pour les uns, de raisonnement pour les autres et d'affection pour tous deux.
Une chose m'a beaucoup frappée dans ces événements, c'est que, pendant les trois premiers jours, en 1814 comme en 1830, les bons sentiments, la loyauté, le désintéressement, l'amour du pays, ont dominé, et que, dès le quatrième, les mauvaises passions, l'ambition, les intérêts personnels se sont emparés des événements et ont réussi, en vingt-quatre heures, à gâter tout ce qui jusque-là avait été de nature à faire battre les cœurs haut placés.
L'égoïsme de quelques individus a extrait du poison de la générosité des masses. C'est la seule similitude admissible entre ces deux catastrophes. Ni les acteurs, ni les scènes, ni les résultats ne se sont ressemblés dans cette chute si rapide de deux gouvernements suicidés.
(26 JUILLET.)
Le lundi 26 juillet 1830, je me trouvais seule de ma famille à Paris où je faisais arranger un logement dans la rue d'Anjou. Je parlais à des ouvriers, lorsque, sur les premières heures, on vint me dire, que le duc de Raguse était dans mon cabinet.
Je ne le voyais jamais le matin; cependant, comme il était établi à Saint-Cloud, cela ne m'inspira aucun étonnement. «Eh bien, me dit-il, on nous fait de belle besogne!» Je crus à une plaisanterie sur les grogneries qu'il pouvait m'avoir entendu faire aux ouvriers. Je répondis en riant, et nous échangeâmes quelques phrases sans nous comprendre. Mais, bientôt, je reconnus mon erreur. Il avait la physionomie altérée. Il me dit ces folles ordonnances. Il me rapporta comment la nouvelle lui en était parvenue, à dix heures, par un de ses aides de camp qui avait rencontré, dans la cour de Saint-Cloud, un officier arrivant de Paris et exprimant une joie extravagante.
Étonné, mais incrédule, le maréchal avait envoyé chercher le Moniteur à l'état-major, on ne l'y avait pas reçu, puis chez le premier maître d'hôtel, il n'y était pas arrivé. Enfin il avait écrit au duc de Duras pour lui demander le sien. J'ai vu la réponse. Elle portait qu'un seul exemplaire du Moniteur était arrivé à Saint-Cloud; le Roi l'avait reçu et envoyé, sans l'ouvrir, à madame la duchesse de Berry.
Le maréchal avait ensuite appris que cette princesse avait rapporté ce fatal Moniteur au Roi lorsqu'il montait en voiture, s'était presque mise à ses genoux, lui avait baisé les mains en disant: «Enfin vous régnez! mon fils vous devra sa couronne, sa mère vous en remercie.» Le Roi l'avait embrassée fort tendrement, avait mis la gazette dans sa poche et était parti pour Rambouillet sans dire un mot aux autres.
À Saint-Cloud, on ne savait ce qui se passait que par les survenants de Paris. Le maréchal, fort en peine, était venu chez lui rue de Surène, avait fait demander le Moniteur à monsieur de Fagel, le ministre de Hollande, son voisin, et il venait d'en achever la lecture lorsqu'il accourut chez moi. (J'entre dans ces détails parce qu'il est curieux de voir l'incurie avec laquelle on laissait dans l'ignorance l'homme destiné in petto à soutenir le coup d'État.)
Après ce récit, il ajouta: «Ils sont perdus. Ils ne connaissent ni le pays, ni le temps. Ils vivent en dehors du monde et du siècle. Partout ils portent leur atmosphère avec eux, on ne peut les éclairer, ni même le tenter; c'est sans ressource!
– Mais vous êtes perdu aussi, monsieur le maréchal! Vous allez vous trouver horriblement compromis dans tout ceci. Vous perdez par là votre seule explication pour 1814. Vous compreniez, dites-vous, qu'il fallait vous sacrifier pour obtenir au pays des institutions libérales! Où sont-elles maintenant?»
Le maréchal soupira profondément: «Sans doute ma position est fâcheuse, reprit-il; mais, tout en me désolant de ce qui arrive, en regrettant surtout avec le bien si facile à faire les maux qui vont tomber sur nous, je suis personnellement plus tranquille depuis la lecture du Moniteur. Certes,