Récits d'une tante (Vol. 4 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Récits d'une tante (Vol. 4 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond


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même qu'une résistance ouverte appelât l'intervention des troupes, ce ne serait jamais qu'à l'époque des élections; elles sont fixées au 3 septembre; mon service finit le 31 août. Dès le lendemain, j'aurai fait vingt postes sur la route d'Italie et j'y resterai au moins tout l'hiver. Je ne veux pas me retrouver une seconde fois dans une situation où les devoirs sont complexes. N'ayez donc aucun souci particulier pour moi; il n'y en a que trop à prendre de ce qui se passe!»

      Nous continuâmes à nous lamenter, à craindre, à nous effrayer, à prévoir les malheurs du pays; mais assurément nos prévoyances étaient bien loin encore de la réalité. Il me quitta en promettant de venir passer le samedi suivant à ma campagne. Je ne l'ai pas revu depuis.

      Je pensais bien à ce moment qu'il n'aurait pas dû retourner à Saint-Cloud; j'entrevoyais une belle et noble lettre à écrire en rappelant les événements de 1814. Mais il n'était pas assez indépendant de fortune pour que j'eusse osé la lui conseiller, lors même que ma liaison avec lui eût été aussi intime que l'absence et le malheur l'ont rendue depuis. D'ailleurs, ces choses-là, pour être bien faites, doivent être spontanées.

      Je sortis selon mon habitude et je fus très frappée de l'aspect des physionomies: elles portaient une curiosité sombre. Les gens qui se connaissaient s'arrêtaient pour se parler. Les autres s'interrogeaient de l'œil en passant. Si un visage calme se rencontrait, on se disait: «Celui-là ne sait rien encore.»

      Cela est si vrai que, lorsque, le lendemain, tout le monde a su, tout le monde s'est regardé, et tout le monde s'est entendu. Il n'y a pas eu de conspiration.

      C'est même dans cette unanimité d'indignation qu'il faut chercher la cause de l'extraordinaire magnanimité de ce peuple soulevé. Il reconnaissait partout des complices et en voyait même dans ces soldats qui tiraient sur lui. Mais n'anticipons pas sur les événements; ils vont assez vite.

      Le soir, je vis quelques personnes, dans l'opposition au ministère Polignac, mais attachées à la Restauration. Toutes étaient désolées. On se perdait en conjectures. On croyait à de grandes résistances, mais constitutionnelles. Les lettres closes ayant été envoyées aux députés; ils arrivaient de moment, en moment. Cet appel était-il la suite de l'impéritie accoutumée, ou bien les rassemblait-on dans des intentions hostiles et pour sévir contre eux? Il y avait matière à deviser, et nous n'y manquâmes point.

      L'ambassadeur de Russie, le plus irrité, le plus véhément de nous tous, nous raconta avoir rencontré le comte Appony, sortant du cabinet du prince de Polignac, très satisfait, et allant expédier à Vienne un courrier porteur de ces bonnes nouvelles.

      Pozzo ne partageait ni cette confiance ni cette joie. Il était entré à son tour dans le cabinet où il avait trouvé le ministre, calme et enchanté de lui-même, répétant qu'il était plus constitutionnel que personne, si ce n'était le Roi; tout irait à merveille, il ne comprenait pas même d'où pouvait naître l'inquiétude et il avait fini par dire: «Soyez tranquille, monsieur l'ambassadeur, la France est préparée à accepter tout ce que le Roi voudra et à l'en bénir.»

      Dans la soirée, on jeta quelques pierres à la voiture vide du ministre; son cocher fut légèrement atteint, mais elle rentra à l'hôtel dont on ferma la porte cochère. Le groupe qui la poursuivait se dispersa; sans doute monsieur de Polignac triompha et crut l'orage dissipé. Nous nous séparâmes fort tard et bien tristes.

      Si je voulais raconter tout ce qui est venu ensuite à ma connaissance et les détails appris depuis, il y aurait bien long à dire, mais je m'attache à écrire uniquement ce que j'ai vu, ou entendu moi-même, et dans le temps1.

      (27 JUILLET.)

      Le mardi vingt-sept, j'appris, par une trentaine d'ouvriers de diverses professions, qui travaillaient chez moi et venaient de différents quartiers, l'agitation répandue dans la ville. J'en trouvai beaucoup parmi eux, mais fondée sur des raisonnements si sages que j'en fus surprise.

      Je ne puis m'empêcher de consigner ici une remarque faite à cette époque. J'avais arrangé une maison en 1819 et employé les mêmes sortes d'ouvriers qu'en 1830; mais, dans ces dix années, il s'était établi une telle différence dans les façons, les habitudes, le costume, le langage de ces hommes, qu'ils ne paraissaient plus appartenir à la même classe. J'étais déjà très frappée de leur intelligence, de leur politesse sans obséquiosité, de leur manière prompte et scientifique de prendre leurs mesures, de leurs connaissances chimiques sur les effets des ingrédients qu'ils employaient. Je le fus encore bien davantage de leurs raisonnements sur le danger de ces fatales ordonnances. Ils en apercevaient toute la portée aussi bien que les résultats.

      Si ceux qui nous gouvernaient avaient eu la moitié autant de prévoyance et de prudence, le roi Charles X serait encore bien paisiblement aux Tuileries.

      Sans doute une population ainsi faite était impossible à exploiter au profit d'une caste privilégiée; mais, si on avait voulu entrer dans le véritable intérêt du pays, elle se serait montrée facile autant que sage; et on aurait trouvé secours et assistance dans le bon sens des masses contre l'effervescence de quelques brouillons. Malheureusement, le Roi et la nation se tenaient mutuellement pour incompatibles.

      Les récits qu'on m'avait faits ne m'avaient cependant pas suffisamment alarmée pour me décider à rester chez moi. À quatre heures, je montai en voiture avec le projet d'aller chez des marchands de la rue Saint-Denis.

      Un de mes gens prétendit qu'il y avait du bruit de ce côté. Je me décidai à utiliser ma sortie en allant faire ma visite à Neuilly. J'étais depuis peu de semaines en grand deuil de mon mari et, avant de retourner à la campagne, je voulais aller remercier des bontés que les princesses m'avaient témoignées à cette occasion.

      Madame la duchesse d'Orléans se promenait dans le parc; je n'avais rien d'assez intéressant à lui dire pour l'y suivre.

      Je trouvai Mademoiselle chez elle, désolée des ordonnances, très inquiète de l'effervescence populaire dont je lui parlai, et fort impatientée surtout de la crainte que le nom de son frère fût compromis. Elle me dit ces propres paroles: «Sans ces deux cérémonies de la messe du Saint-Esprit et de l'ouverture des Chambres où il nous fallait assister et la misérable attrape qu'on nous a faite, nous serions partis samedi pour Eu et en dehors de toute cette bagarre. Quand j'y pense, je suis prête à m'en arracher les cheveux.»

      Si son intention était de me mystifier, elle y a parfaitement réussi; car, encore à l'heure qu'il est, je suis persuadée de sa bonne foi. Elle admettait que les ordonnances devaient amener des catastrophes; mais, comme tout le monde, elle prévoyait la résistance dans une classe qui ne la proclame pas à coups de pierres. Le refus de l'impôt, l'impossibilité de gouverner contre une opposition générale, manifestée par tous les moyens légaux, lui semblait le danger de la situation où le Roi venait de s'engager. Nous en causâmes longuement; mais il ne fut point question du remède que Neuilly pouvait éventuellement fournir à une position devenue si critique.

      De chez Mademoiselle, je passai chez madame de Montjoie. Je la trouvai aussi fort agitée, fort inquiète et désespérée qu'on ne fût pas à Eu. Cela me parut tout à fait l'impression de la maison.

      Je m'avançai davantage avec elle, et nous parlâmes des chances possibles que tant de fautes pouvaient amener. Elle me répéta ce qu'elle m'avait mille fois dit: Monsieur le duc d'Orléans était le plus fidèle sujet du Roi en France, mais il ne le suivrait plus à l'étranger.

      Il nous fallait bien admettre l'impossibilité que son nom ne fût pas mis en avant, dans de pareilles conjonctures, même à son insu et malgré lui. Vingt fois depuis un an j'avais entendu dire, en parlant du Roi et de ses ministres, «Ils travaillent à faire le lit des Orléans.»

      Elle me raconta à ce sujet ce qui s'était passé le mercredi précédent. Monsieur le duc d'Orléans, étant fort enrhumé et se plaçant sur le perron à la sortie d'un grand dîner, avait mis son chapeau. Il en avait fait une façon d'excuse. Monsieur de Sémonville avait répondu tout haut:

      «Nous vous le passons, Monseigneur, en attendant la couronne.

      «


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Il y a pourtant un fait dont j'ai la certitude, il peint tellement le prince de Polignac que je ne puis résister à le citer. Le dimanche soir, les ordonnances étant signées et tandis qu'on imprimait le Moniteur, monsieur de Polignac dans son plus intime intérieur, entouré de gens sur lesquels il pouvait entièrement compter, mit la conversation sur les discours du trône pour l'ouverture des Chambres. Pendant une heure et demie, il en discuta chaque parole, accueillant les objections et les combattant ou les admettant, comme la plus sérieuse chose du monde.

On ne comprend pas comment, dans de pareilles conjectures, l'homme sur lequel pesait une si grande responsabilité pouvait avoir le sang-froid, ou plutôt la puérilité d'une telle comédie, ni ce qui pouvait l'amuser dans une mystification faite à des gens tout à fait dans sa dépendance.