Récits d'une tante (Vol. 4 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Récits d'une tante (Vol. 4 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond


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me confirma le rapport de la veille au soir sur l'imminence du combat qui allait recommencer. Il avait rencontré un palefrenier à moi. Vainement il avait voulu le ramener: il s'était déjà battu et voulait continuer. Un autre était revenu panser ses chevaux et se préparait à repartir. Je le fis rester cependant; je pensais sérieusement à quitter Paris.

      Prévoyant des difficultés à franchir les barrières, j'écrivis un billet bien triste au duc de Raguse, en lui demandant un laissez-passer, et je donnai les ordres pour mon départ. Je voulais aller rejoindre ma famille à Pontchartrain.

      J'écrivis aussi à monsieur Pasquier pour lui dire adieu et lui demander s'il avait des commissions. Pendant que je faisais mes préparatifs, on vint m'apprendre le retour de madame de Rauzan, partie depuis une demi-heure; Sa voiture avait été arrêtée de tous les côtés par des barricades impossibles à franchir et à éviter.

      On me rapporta la réponse du maréchal; c'était un laissez-passer contresigné par monsieur de Choiseul. Le maréchal l'avait remis lui-même à mon homme qu'il connaissait en lui disant: «Louis, voilà ce que demande madame de Boigne, mais dites-lui de ne se point presser; tout sera fini d'ici à peu d'heures, j'espère, comme elle le souhaite, et je pense pouvoir aller chez elle dans la journée.»

      Pauvre homme, il était bien dans l'erreur! Je donnai connaissance de ce message à monsieur Pasquier; il m'engagea fort à ne pas essayer de sortir de Paris. J'étais combattue par la crainte d'inquiéter mes parents. J'hésitais encore lorsque le feu recommença (il pouvait être huit heures du matin) et, au même moment, des coups de pioches retentirent dans ma rue.

      Je mis la tête à la fenêtre et je vis deux ou trois hommes commençant à enlever des pavés dans la rue du faubourg Saint-Honoré. Ils furent bientôt au nombre de vingt-cinq à trente, puis de cinquante. En moins d'un quart d'heure, il y eut une double barricade fort haute dans la rue du Faubourg qui fut immédiatement accompagnée d'une transversale dans la rue d'Anjou. La même précaution fut prise simultanément à la croisée de la rue de Surène et probablement dans tout le quartier. Bientôt on abattit les arbres de l'allée de Marigny pour faire des estacades à la place Beauveau.

      J'ai vu faire ces barricades sous mes yeux, et je puis affirmer, qu'excepté le zèle et l'empressement avec lequel on travaillait, rien ne témoignait une effervescence extraordinaire. C'étaient, pour la plupart, les habitants de la rue qui les élevaient. Pas de cris, pas de rixes, beaucoup de tranquillité et d'activité.

      L'œuvre accomplie, quelques hommes armés restaient pour la garder, les autres s'éloignant. Je ne vis aucun chef dirigeant; tout semblait se faire d'inspiration. On avait ménagé de chaque côté de la barricade un très petit passage, pour les piétons; l'usage en était libre à chacun, personne n'y mettait empêchement. Je parle des barricades que j'ai vu établir; plusieurs étaient autrement faites et incommodes à franchir.

      Il n'y avait plus moyen de songer à partir; j'en fus soulagée. Rien n'est plus difficile dans de pareilles circonstances que de prendre une décision.

      Ma femme de chambre m'amena une madame Garche, marchande de la rue du Bac. Cette femme avait marié sa fille dans le quartier de la Halle. Elle avait appris, le mercredi matin, que la jeune femme souffrait pour accoucher et même était en danger.

      Deux fois elle s'était mise en route pour l'aller trouver; elle n'avait pu passer aucun pont; on se battait sur tous. Enfin, vers les minuit, elle était parvenue jusqu'au Carrousel. On avait voulu la renvoyer; cependant elle s'était glissée le long des murs. Arrivée à un endroit ouvert, où la lune donnait en plein, elle fut aperçue. Un officier voulut la faire retourner. Elle le suppliait de la laisser passer, lorsqu'elle entendit ordonner en jurant de la chasser. «C'est le maréchal, dit l'officier, allez, allez vite.» Inspirée par son courage de mère, cette pauvre femme courut droit au maréchal. Elle lui conta sa position; il se retourna à un aide de camp et lui dit: «Allez donc dire aux guichets qu'on ne laisse passer personne»; puis, se tournant vers madame Garche, «Venez, madame, donnez-moi le bras». Il la conduisit jusqu'au dernier poste; en la quittant, il ajouta: «Hâtez-vous, jetez-vous tout de suite dans les plus petites rues et n'en sortez pas, Dieu protège les bonnes mères!» En effet, elle était arrivée heureusement chez sa fille; elle l'avait trouvée accouchée et bien.

      En cherchant à regagner le faubourg Saint-Germain par le pont d'Iéna, elle s'était arrêtée chez ma femme de chambre, son amie. Elle parlait du maréchal les larmes aux yeux, et, au milieu de tant de gens qui blasphémaient son nom, il était doux pour ses amis de l'entendre ainsi bénir.

      Au reste, on juge bien différemment les mêmes actions selon le point de vue où l'on se trouve placé. Monsieur de Rauzan avait été de grand matin à l'état-major chercher aussi un laissez-passer dont, comme on l'a déjà vu, il n'avait pu profiter. Il avait, me dit-il, assisté à une espèce de conseil de ministres, si une réunion où tout le monde était admis méritait ce titre.

      Le maréchal était absent: il fallait son autorisation pour un parti à prendre; monsieur de Rauzan alla le chercher dans la rue de Rohan; il le vit se mettre en travers devant des canons pour les empêcher de tirer sur un groupe où, parmi un très petit nombre de gens armés, il voyait des femmes et des enfants.

      Monsieur de Rauzan trouvait cela une grande puérilité. Il aurait, je crois, volontiers dit une lâcheté, s'il avait trouvé un auditoire plus bénévole. Il était désolé d'avoir été arrêté dans son départ. Sa visite aux Tuileries ne lui avait pas inspiré une grande sécurité, malgré la jactance de monsieur de Polignac dont, il faut lui rendre cette justice, il était encore plus révolté que de l'humanité du maréchal.

      Le feu sembla se ralentir. Monsieur Pasquier vint chez moi. Il m'expliqua le message du maréchal. Les ministres étaient partis pour Saint-Cloud, et on avait lu sur la place Vendôme une déclaration portant la suspension des hostilités et le retrait des ordonnances. (Cela s'est nié depuis, mais il y a certainement eu une proclamation faite par le général de Wall sur la place Vendôme). On pouvait enfin espérer la solution de cette affreuse crise.

      Un instant après, Arago arriva avec son fils. Il avait, me dit-il, fait de vains efforts pour parvenir jusqu'aux Tuileries, les hostilités ayant recommencé du côté du Louvre et du faubourg Saint-Germain. Au reste, il ne pensait pas avoir plus de succès auprès du maréchal que la veille. Il avait épuisé tous les arguments, mais il s'obstinait à ne voir que sa position militaire; il lui avait dit:

      «Mon ami, j'ai sacrifié une fois le soldat au citoyen; cette fois, je veux sacrifier le citoyen au soldat. Cela ne me réussira peut-être pas mieux; mais j'ai trop souffert de la première situation, tout en me rendant justice sur les motifs qui m'ont conduit, pour m'y exposer de nouveau. Voulez-vous qu'on puisse dire: On trouve toujours Marmont quand il s'agit de trahir?»

      Et il portait ses mains sur son front avec désespoir: «Suis-je assez malheureux de me trouver une seconde fois dans une position où les devoirs se combattent si cruellement!»

      Au reste, Arago me confirma le rapport de monsieur de La Rue sur l'obsession des gens dont le duc de Raguse était entouré, et sur la difficulté de l'entretenir un moment. Il me raconta l'absurde propos de monsieur de Polignac et l'air niais avec lequel il avait répondu: «Eh bien! on tirerait aussi sur la troupe si elle se réunissait au peuple.»

      De mon côté, je lui rapportai le message du maréchal, et je lui appris qu'il n'avait obtenu aucune réponse de Saint-Cloud à la démarche faite la veille par les commissaires.

      «Si le maréchal, reprit Arago, n'a pas de nouvelles de Saint-Cloud, je suis moi, en revanche, plus avancé que lui. Monsieur le Dauphin m'a expédié un courrier porteur d'un billet de sa main.

      – Vraiment! et que vous dit-il?

      – Il me demande le degré exact du thermomètre dans la journée d'hier.»

      Les bras tombent à pareille révélation! Pour ne pas la traiter de fable, il faut savoir que, dans leur intérieur, les princes de la famille royale s'occupaient extrêmement de l'état du ciel, non dans l'intérêt de la science, mais dans celui de la chasse. L'usage était établi entre eux de se faire part chaque jour de leurs observations; et le plus ou moins d'exactitude


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