Le Médecin des Dames de Néans. Rene Boylesve

Le Médecin des Dames de Néans - Rene  Boylesve


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pittoresque. Mais il aperçut toute la longueur de Septime sur le divan dans la mollesse des coussins. Il tenait une brochure non coupée à la main et il était parfaitement inerte.

      – Septime, dit l'abbé, je vous ai défendu de rester dans l'obscurité et de demeurer sans rien faire. Vous savez que je suis autorisé par votre père à vous mettre à scier le bois. Je m'y verrai obligé; gare à vous!

      – À son âge, monsieur l'abbé, dit le notaire, j'abattais des arbres. Ma manie, mon bonheur était d'abattre des arbres, et les plus gros, les plus forts! Un été, mon père nous envoya, ma mère et moi, à la campagne, passer trois semaines. Je m'occupai à y abattre les arbres. Il y en avait une vraie forêt. Je commençai par ceux qui étaient morts. Ma mère m'admirait. Après je passai aux vivants, aux touffus. Je ne savais pas, moi, ce que c'était que me reposer à l'ombre: j'étais toujours à faire des courses au soleil. Je coupai l'ombre. Ma mère commença de jeter les hauts cris; elle pleura pour des arbres qu'elle avait connus étant jeune; elle écrivit à mon père; le brave homme arriva, fit la grimace, jura comme un galérien. Mais il y avait tant d'arbres par terre et par mon seul fait qu'il ne sut que dire en se tournant vers ma mère: «Ventre-bleu! c'est tout de même un gars!» Ma mère pleurait toujours, mais je crois que c'était d'attendrissement.

      Septime se leva lentement:

      – Excusez-moi, monsieur Durosay, je n'avais pas d'arbres à abattre, et il fait si bon ici, si frais!..

      – Allons! jeune homme d'aujourd'hui, êtes-vous de notre partie? Nous organisons un tennis aux Veulottes? Connaissez-vous les Veulottes? Mais non, Dieu me pardonne! Monsieur l'abbé vous tient à l'attache. Voici le beau temps, il faut donner de l'air à ce grand pierrot-là, l'abbé. Le temps d'aplanir le terrain, et, dans huit jours, nous sommes raquettes en main, sur la pelouse aux pivoines et passons nos entr'actes, sauf votre respect, monsieur l'abbé, à téter Moumoute la blonde, dont on vous fera faire aussi connaissance.

      »Voulez-vous monter dire bonjour à madame Durosay?

      II

      Les dames de Néans étaient sujettes à un mal singulier.

      Cela ne se remarquait point; les maris n'en avaient cure; elles-mêmes n'y prenaient garde, et le docteur Grandier n'avait, dans ses trente années d'exercice, rédigé d'ordonnance à ce propos. Comme un cas curieux qui vient à se multiplier, le phénomène se perdait dans le nombre des phénomènes analogues; endémique, il passait inaperçu; et d'ailleurs, anodin la plupart du temps, au point de vue de la santé essentielle, il se noyait dans la banalité. Seuls, quelques étrangers passant par la petite ville, des Parisiens en villégiature et un vaudevilliste observateur (n'est-ce pas le nommer?) avaient été surpris de la relative particularité, et, entre eux, stigmatisaient un type d'humanité, comme on le fait en disant par exemple: les sourds, les paralytiques, ou bien: les femmes de Taïti, quand ils prononçaient: les dames de Néans.

      Rien d'irrévérencieux, en tout cas, dans cette expression. Les dames de Néans étaient les plus honorables personnes de la chrétienté, ceci n'est pas douteux, car nul n'eût pu se flatter de les avoir vues commettre quoi que ce fût contrairement à la bienséance. C'était un centre de mœurs renommées. M. l'abbé de Prébendes, qui était des meilleures familles d'Anjou, l'avait choisi comme une oasis où ménager sa santé chétive parmi de la vertu; et du temps qu'il y eut une éclosion de jeunes filles, on s'y souvient encore que l'essaim entier approvisionna la magistrature.

      Il arrivait, à Néans, juste à propos de cet essaim de demoiselles, que la société se renouvelait, périclitait, s'éteignait quasiment tout entière, toujours à peu près en même temps, avec un ensemble aussi remarquable que si M. le maire eût réglé tout cela par arrêté municipal. De sorte que des époques présentaient des dames de Néans tout frais arrivées, inacclimatées encore, pépiantes, gazouillantes, de leur jeunesse, de leurs différentes origines, animées par leur bariolage même et leur diversité. Il est curieux que dans une période de quatre ou cinq années tout au plus, le médecin, le notaire, le greffier, le receveur des contributions, le percepteur et l'agent voyer se trouvent précisément en situation et en goût de chercher femme. J'aimerais savoir si de semblables occurrences se présentent en d'autres petites villes; mais pour Néans c'était ainsi. Et vous pouviez après cela demeurer vingt-cinq, trente années à Néans et n'y voir que des maturités, les unes prenant corps et poids, bedonnant à l'envi, les autres se ratatinant, se desséchant, réduisant chaque jour d'une mesure apparente leur petit volume sous le châle et leur maigre place dans le monde. Quand le temps d'une nouvelle génération était venu, les vénérables dames en étaient arrivées à rien; les grasses ne bougeaient plus; les sèches vous passaient à côté en allant à l'église, trottinantes et si menues que vous n'eussiez pas osé affirmer avoir croisé quelqu'un.

      Ce que nos Parisiens en villégiature ou notre vaudevilliste observateur entendaient par «les dames de Néans», ne le cherchez pas durant les quelques premières années de ces renouvellements où la composition panachée de la petite société pouvait offrir l'occasion de faire des remarques dans ce genre: «Tiens! tiens! mais on dirait que Néans se remue! Vous ne sauriez croire ce qu'on a bavardé chez les Legrès, c'est un petit ménage qui ne peut se passer d'aller une fois par an à Paris et deux fois aux Folies-Bergère!.. Et les Gandin? Avez-vous vu le petit buggy qu'ils ont fait faire à Châtellerault? Ma chère, ils vont sur la route du Grand-Pressigny comme on va à Longchamps… Il paraît que la petite monte à ravir! ça va être délicieux!» Les Legrès n'ont pas continué d'aller aux Folies-Bergère, ni les Gandin de se promener en buggy ou à cheval. Ceux-ci, bon gré mal gré, ont dû cesser leur train sous peine d'avoir tout le monde à dos, ces mœurs élégantes n'étant point inscrites aux coutumes de la bourgeoisie. Ceux-là, d'eux-mêmes, au bout de deux années, jugeaient fastidieux de faire leur petite valise et d'aller se fatiguer à voir, durant trois jours à Paris, ce qu'un Parisien met six mois à ne pas achever de parcourir; ils ont été quelquefois à Saumur, à Tours et jusqu'à Amboise, puis tout ce qui dépassait l'horizon de Néans leur a paru peu à peu sous l'aspect d'une grande vanité, et le bavardage même a cessé faute d'aliment. Tout ce qui différenciait ces couples neufs et leur donnait ce panaché si aimable s'est éteint comme une fresque sous la pluie; le penchant à l'activité a été paralysé par le commentaire de la rue; ces messieurs encore vont à leurs occupations, se détestent et se déchiquettent, mais ces dames sont par convenance, puis par habitude, incolores et assoupies.

      Que l'on se figure des oiseaux rares d'assez joli plumage, enclos en une cage où souffle à perpétuité une brise toujours égale. Que le souffle désespérant de l'égale brise fasse peu à peu tomber les plumes des oiseaux, que chaque nouvel oiseau mis en cage soit, de mémoire d'oiseau, condamné à laisser choir sa parure: ni le petit qui se déplume, ni les déjà déplumés ne donneront attention à la mésaventure; parce que cela met à nu tout le monde des oiseaux, on sera, sans arrière-pensée aucune, de pauvres oiseaux tout nus.

      Les dames de Néans, quant à leur manière d'être, étaient un peu pareilles à ces oiseaux.

      Cet enjouement, cette grâce alerte, cette mobilité, cette curieuse flamme sans cesse vacillante qui épand jusqu'au loin ses vibrations chaudes, son atmosphère d'aise où facilement on sourit, qui est on ne sait trop quoi, mais qui est cet étrange mouvement: la vie; tel avait été leur plumage. Mais non! on ne sait pas de quoi cela est fait; et qu'importe? Il y a des personnes qui vivent intérieurement, d'autres, tout au dehors, et répandant un charme égal. Il y a aussi des gens que vous croisez dans la rue, que vous recevez à votre table, qui sont jeunes ou vieux, et qui sont morts. L'humanité que les livres officiels enregistrent comme peuplant le globe, et se donnent la peine d'étiqueter comme des valeurs, pourrait fort bien être déjà divisée en vivants et en trépassés. Les uns, qui, par une vertu spéciale trouvent, créent, ont le pouvoir d'accroître tout ce qui passe par leurs mains ou par leur esprit; les autres, stériles, atones, dénués même d'une résonance sous le choc, véritables cloches fêlées dérisoirement suspendues. Il n'est plus besoin de dire qu'il y avait à Néans des cloches en pitoyable état de fêlure, et de pauvres femmes qui n'eussent guère été plus avancées ayant franchi le saut fatal.

      Était-ce l'air de Néans? ou bien


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