Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme

Vies des dames galantes - Pierre de Bourdeille Brantôme


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enduré: et, tant qu'il a vescu, il n'en avoit point esté atteint, et luy laissoit faire à son bon plaisir.

      – Ce brave Tancrede n'en fit pas de mesme, luy qui d'autres-fois se fit jadis tant signaler en la guerre sainte: estant sur le point de la mort, et sa femme près de luy dolente, avec le comte de Trypoly, il les pria tous deux après sa mort de s'espouser l'un l'autre, et le commanda à sa femme; ce qu'ils firent. Pensez qu'il en avoit vu quelques approches d'amour en son vivant; car elle pouvoit être aussi bonne vesse que sa mère, la comtesse d'Anjou, laquelle, après que le comte de Bretagne l'eut entretenuë longuement, elle vint trouver le roy de France Philippes, qui la mena de mesme, et luy fit cette fille bastarde qui s'appela Cicile, et puis la donna en mariage à ce valeureux Tancrede, qui certes, par ses beaux exploits, ne méritoit d'être cocu.

      – Un Albanois, ayant esté condamné de-là les Monts d'estre pendu pour quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi qu'on le vouloit mener au supplice, il demanda à voir sa femme et luy dire adieu, qui estoit une très-belle femme et très-agréable. Ainsi donc qu'il lui disoit adieu, en la baisant il luy tronçonna tout le nez avec belles dents, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice l'ayant interrogé pourquoi il avoit fait cette vilainie à sa femme, il respondit qu'il l'avoit fait de belle jalousie, «d'autant, ce disoit-il, qu'elle est très-belle, et pour ce après ma mort je sais qu'elle sera aussi-tost recherchée et aussi-tost abandonnée à un autre de mes compagnons, car je la cognois fort paillarde, et qu'elle m'oublieroit incontinent. Je veux donc qu'après ma mort elle ait de moy souvenance, qu'elle pleure et qu'elle soit affligée, si elle ne l'est par ma mort, au moins qu'elle le soit pour estre défigurée, et qu'aucun de mes compagnons n'en aye le plaisir que j'ay eu avec elle.» Voilà un terrible jaloux.

      – J'en ay ouy parler d'autres qui, se sentant vieux, caducs, blessés, attenuez et proches de la mort, de beau dépit et de jalousie secretement ont advancé les jours à leurs moitiés, mesmes quand elles ont esté belles.

      – Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui font mourir ainsi leurs femmes, j'ay ouy faire une dispute, sçavoir, s'il est permis aux femmes, quand elles s'apperçoivent ou se doutent de la cruauté et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de gaigner le devant et de joüer à la prime, et, pour se sauver, les faire joüer les premiers, et les envoyer devant faire les logis en l'autre monde.

      J'ay ouy maintenir que ouy, et qu'elles le peuvent faire, non selon Dieu, car tout meurtre est défendu, ainsi que j'ay dit, mais selon le monde, prou: et ce fondent sur ce mot, qu'il vaut mieux prévenir que d'estre prévenu: car enfin chacun doit estre curieux de sa vie; et, puisque Dieu nous l'a donnée, la faut garder jusqu'à ce qu'il nous appelle par nostre mort. Autrement, sçachant bien leur mort, et s'y aller précipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, c'est se tuer soy-même, chose que Dieu abhorre fort; parquoy c'est le meilleur de les envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche d'Anurbruckt à son mary le sieur de Flavy, capitaine de Compiegne et gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la Pucelle d'Orléans. Et cette dame Blanche, ayant sceu que son mary la vouloit faire noyer, le prévint, et, avec l'aide de son barbier, l'estouffa et l'estrangla, dont le roy Charles septième luy en donna aussi-tost sa grace, à quoy aussi ayda bien la trahison du mary pour l'obtenir, possible plus que toute autre chose. Cela se trouve aux annales de France, et principalement celles de Guyenne.

      De mesmes en fit une madame de la Borne, du regne du roy François premier, qui accusa et deffera son mary à la justice de quelques folies faites et crimes possible énormes qu'il avoit fait avec elle et autres, le fit constituer prisonnier, sollicita contre luy, et luy fit trancher la teste. J'ay ouy faire ce compte à ma grand-mère, qui a disoit de bonne maison et belle femme. Celle-là gaigna bien le devant.

      – La reyne Jeanne de Naples première en fit de mesmes à l'endroit de l'infant de Majorque, son tiers mary, à qui elle fit trancher la teste pour la raison que j'ay dit en son Discours; mais il pouvoit bien estre qu'elle se craignoit de luy, et le vouloit despescher le premier: à quoy elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand elles se doutent de leurs galants.

      J'ay ouy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittées de ce bon office, et sont eschappées par cette façon; et mesmes j'en ay cogneu une, laquelle, ayant esté trouvée avec son amy par son mary, il n'en dit rien ny à l'un ny à l'autre, mais s'en alla courroucé, et la laissa là-dedans avec son amy, fort panthoise et désolée et en grand alteration. Mais la dame fut résolüe jusques là de dire: «Il ne m'a rien dit ni fait pour ce coup, je crains qu'il me la garde bonne et sous mine; mais, si j'estois asseurée qu'il me deust faire mourir, j'adviserois à lui faire sentir la mort le premier.» La fortune fut si bonne pour elle au bout de quelque temps, qu'il mourut de soy-mesme; dont bien luy en prit, car oncques puis il ne luy avoit fait bonne chere, quelque recherche qu'elle luy fist.

      – Il y a encore une autre dispute et question sur ces fous et enragés marys, dangereux cocus, à sçavoir sur lesquels des deux ils se doivent prendre et venger, ou sur leurs femmes, ou sur leurs amants.

      Il y en a qui ont dit seulement sur la femme, se fondant sur ce proverbe italien qui dit que morta la bestia, morta la rabbia ò veneno16: pensans, ce leur semble, estre bien allégés de leur mal quand ils ont tué celle qui fait la douleur, ny plus ny moins que font ceux qui sont mordus et picqués de l'escorpion: le plus souverain remede qu'ils ont, c'est de le prendre, tuer ou l'escarbouiller, et l'appliquer sur la morsure ou playe qu'il a faite; et disent volontiers et coustumièrement que ce sont les femmes qui sont plus punissables. J'entends des grandes dames et de haute guise, et non des petites, communes et de basse marche; car ce sont elles, par leurs beaux attraits, privautez, commandements et paroles, qui attacquent les escarmouches, et que les hommes ne les font que soustenir; et que plus sont punissables ceux qui demandent et lèvent guerre, que ceux qui la deffendent; et que bien souvent les hommes ne se jettent en tels lieux périlleux et hauts, sans l'appel des dames, qui leur signifient en plusieurs façons leurs amours, ainsi qu'on voit qu'en une grande, bonne et forte ville de frontière il est fort mal-aisé d'y faire entreprise ni surprise, s'il n'y a quelque intelligence sourde parmy aucuns de ceux du dedans, ou qui ne vous y poussent, attirent, ou leur tiennent la main.

      Or, puisque les femmes sont un peu plus fragiles que les hommes, il leur faut pardonner, et croire que, quand elles se sont mises une fois à aymer et mettre l'amour dans l'ame, qu'elles l'exécutent à quelque prix que ce soit, ne se contentans, non pas toutes, de le couver là-dedans, et se consumer peu à peu, et en devenir seiches et allanguies, et pour ce en effacer leur beauté, qui est cause qu'elles désirent en guérir et en tirer du plaisir, et ne mourir du mal de la furette17, comme on dit.

      Certes j'ai cogneu plusieurs belles dames de ce naturel, lesquelles les premières ont plustost recherché leur androgine que les hommes, et sur divers sujets; les unes pour les voir beaux, braves, vaillants et agréables; les autres pour en escroquer quelque somme de dinari; d'autres pour en tirer des perles, des pierreries, des robes de toille d'or et d'argent, ainsi que j'en ay veu qu'elles en faisoient autant de difficulté d'en tirer comme un marchand de sa denrée (aussi dit-on que femme qui prend se vend); d'autres pour avoir de la faveur en Cour; autres des gens de justice, comme plusieurs belles que j'ay cogneues qui, n'ayant pas bon droit, le faisoient bien venir par leur cas et par leurs beautez; et d'autres pour en tirer la suave substance de leur corps.

      – J'ay veu plusieurs femmes si amoureuses de leurs amants, que quasi elles les suivoient ou couroient à force, et dont le monde en portoit la honte pour elles.

      J'ay cogneu une fort belle dame si amoureuse d'un seigneur de par le monde, qu'au lieu que les serviteurs ordinairement portent les couleurs de leurs dames, cette-cy au contraire les portoit de son serviteur. J'en nommerois bien les couleurs, mais elles feroient une trop grande descouverte.

      J'en ay cogneu une autre de laquelle le mary ayant fait un affront à son serviteur en un tournoy qui fut fait à la Cour, cependant qu'il estoit en la salle du bal et en faisoit son triomphe, elle s'habilla de dépit, en homme, et alla trouver son amant et lui porter pour un moment son cas, tant elle en estoit si amoureuse qu'elle en mouroit.

      – J'ai


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<p>16</p>

C'est-à-dire, morte la bête, morte la rage ou le venin.

<p>17</p>

Dans ce proverbe, la furette est prise pour l'hermine, qui, dit-on, aime mieux se laisser prendre que de se salir.