Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme
pas toutes; car j'en ai bien cogneu qui leur en donnent aussi bien que leurs marys à elles. Les marys, abusans de leurs femmes, sont fort punissables, comme j'ay ouy dire à de grands docteurs, que les marys, ne se gouvernans avec leurs femmes modestement dans leur lict comme ils doivent, paillardent avec elles comme avec concubines; n'estant le mariage introduit que pour la nécessité et procréation, et non pour le plaisir désordonné et paillardise. Ce que nous sceut très-bien représenter l'empereur Cejonius Commodus, dit autrement Anchus Verus12, lorsqu'il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il portoit à des putains et courtisanes et autres ce qu'à elle appartenoit en son lict, et luy ostoit ses menues et petites pratiques: «Supportez, ma femme, luy dit-il, qu'avec les autres je saoulle mes désirs, d'autant que le nom de femme et de consorte est un nom de dignité et d'honneur, et non de plaisir et de paillardise.» Je n'ay point encore leu ny trouvé la response que luy fit là dessus madame sa femme l'impératrice; mais il ne faut douter que, ne se contentant de cette sentence dorée, elle ne luy respondit de bon cœur, et par la voix de la plus part, voire de toutes les femmes mariées: «Fy de cet honneur, et vive le plaisir! Nous vivons mieux de l'un que de l'autre.» Il ne faut non plus douter aussi que la plus part de nos mariés aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi; car ils ne se marient et lient, ny ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes, et pour le mouvement de leur corps, et pour les débordées et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Vénus en soit mieux esveillée et excitée; et, après les avoir bien ainsi instruites et débauschées, si elles vont ailleurs, ils les punissent, les battent, les assomment, et les font mourir. Il y a aussi un peu de raison en cela, comme si quelqu'un avoit débausché une pauvre fille d'entre les bras de sa mère, et lui eust fait perdre l'honneur de sa virginité, et puis, après en avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, en toute chasteté: vrayment! car il en est bien temps, et bien à propos, qui est celuy qui ne le condamne pour homme sans raison et digne d'estre chastié? L'on en deust dire de mesme de plusieurs marys, lesquels, quand tout est dit, débauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus de préceptes pour tomber en paillardise, que ne font leur propres amoureux: car ils en ont plus de temps et loisir que es amans; et venans à discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maistre, à mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de monter à cheval, qu'un qui n'y entend rien. »Et de malheur, ce disoit cette courtisane, il n'y a nul mestier au monde qui ne soit plus coquin, ny qui désire tant de continue, que celuy de Vénus.» En quoy ces marys doivent estre avertis de ne faire tels enseignements à leurs femmes, car ils leur sont par trop préjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque ç'ont esté eux qui leur en ont ouvert le chemin.
– Si faut-il que je fasse cette digression d'une femme mariée, belle et honneste et d'estoffe, que je sçay, qui s'abandonna à un honneste gentilhomme, aussi plus par jalousie qu'elle portoit à une honneste dame que ce gentilhomme aymoit et entretenoit, que par amour. Pourquoy, ainsi qu'il en jouissoit, la dame luy dit: «A cette heure, à mon grand contentement, triomphe-je de vous et de l'amour que portez à une telle.» Le gentilhomme lui respondit: «Une personne abattue, subjuguée et foulée, ne sçauroit bien triompher.» Elle prend pied à cette réponse, comme touchant à son honneur, et luy replique aussitôt: «Vous avez raison.» Et tout-à-coup s'advise de désarçonner subitement son homme, et se dérober de dessous luy; et changeant de forme, prestement et agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevalier ou gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et remonter sur ces chevaux désultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme; et le manie de mesme en luy disant: «A st'heure donc puis-je bien dire qu'à bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy.» Voilà une dame d'une plaisante et paillarde ambition et d'une façon estrange, comment elle la traitta.
– J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame de par le monde, sujette fort à l'amour et à la lubricité, qui pourtant fut si arrogante et si fière, et si brave de cœur, que, quand ce venoit-là, ne vouloit jamais souffrir que son homme la montast et la mist sous soy et l'abattist, pensant faire un grand tort à la générosité de son cœur, et attribuant à une grande lascheté d'estre ainsi subjuguée et soumise, en mode d'une triomphante conqueste ou esclavitude, mais vouloit toujours garder le dessus et la prééminence. Et ce qui faisoit bon pour elle en cela, c'est que jamais ne voulut s'adonner à un plus grand que soy, de peur qu'usant de son autorité et puissance, luy pust donner la loy et la pust tourner, virer et föuller, ainsi qu'il luy eust pleu; mais en cela, choisissoit ses égaux et inférieurs, auxquels elle ordonnoit leur rang, leur assiette, leur ordre, et forme de combat amoureux, ne plus ne moins qu'un sergent major à ses gens le jour d'une bataille; et leur commandoit de ne l'outrepasser, sur peine de perdre leurs pratiques, aux uns son amour, et aux autres la vie, si que debout, ou assis au conchés, jamais ne se purent prévaloir sur elle de la moindre humiliation, ni submission, ni inclination, qu'elle leur eust rendu et presté. Je m'en rapporte au dire et au songer de ceux et celles qui ont traité telles amours, telles postures, assiettes et formes. Cette dame pouvoit ordonner ainsi, sans qu'il y allast rien de son honneur prétendu, ni de son cœur généreux offensé: car à ce que j'ay ouy dire à aucuns praticqs, il y avoit assez de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques. Voylà une terrible et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience généreuse. Si avoit-elle raison pourtant; car c'est une fascheuse souffrance que d'estre subjuguée, ployée, foullée, et mesme quand l'on pense quelquefois à part soy, et qu'on dit: «Un tel m'a mis sous luy et foullée, par maniere de dire, si-non aux pieds, mais autrement:» cela vaut autant à dire.
Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses inférieurs la baisassent jamais à la bouche, «d'autant, disoit elle, que le toucher et le tact de bouche à bouche est le plus sensible et précieux de tous les autres touchers, fust de la main et autres membres;» et pour ce ne vouloit estre alleinée ny sentir à la sienne une bouche salle, orde et non pareille à la sienne. Or, sur cecy, c'est une autre question que j'ay veu traitter à aucuns: quel advantage de gloire a plus grand sur son compagnon, ou l'homme ou la femme, quand ils sont en ces escarmouches ou victoires vénériennes. L'homme allegue pour soy la raison préédente, que la victoire est bien plus grande que l'on tient sa douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la suppédite et la dompte à son aise et comme il luy plaist; car il n'y a si grande princesse ou dame, que, quand elle est là, fust-ce avec son inférieur ou inégal, qu'elle n'en souffre la loy et la domination qu'en a ordonné Vénus parmy ses statuts; et pour ce, la gloire et l'honneur en demeure très-grande à l'homme. La femme dit: «Ouy, je le confesse, que vous vous devez sentir glorieux quand vous me tenez sous vous et me suppeditez; mais aussi, quand il me plaist, s'il ne tient qu'à tenir le dessus, je le tiens par gayeté et une gentille volonté qui m'en prend, et non pour une contrainte. Davantage, quand ce dessus me déplaist, je me fais servir à vous comme d'un esclave ou forçat de gallere, ou, pour mieux dire, vous fais tirer au collier comme un vray cheval de charrette, en vous travaillant, peinant, suant, haletant, efforçant à faire les corvées et efforts que je veux tirer de vous. Cependant, moy, je suis couchée à mon aise, je vois venir vos coups, quelquefois j'en ris et en tire mon plaisir à vous voir en telles alteres; quelquefois aussi je vous plains selon ce qui me plaist ou que j'en ay de volonté ou de pitié; et après en avoir en cela très-bien passé ma fantaisie, je laisse là mon galant, las, recreu, débilité, énervé, qu'il n'en peut plus, et n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon repas, d'un coulis, d'un restaurant ou de quelque bon bouillon confortatif. Moy, pour telles courvées et tels efforts, je ne m'en sens nullement, si-non que très-bien servie à vos despens, monsieur le gallant, et n'ay autre mal si-non de souhaiter quelque autre qui m'en donnast autant, à peine le faire rendre comme vous: et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire et la vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend est déshonoré, et non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort.»
– Ainsi que j'ay ouy compter d'une belle et honneste femme, qui une fois, son mary l'ayant esveillée d'un profond sommeil et repos qu'elle prenoit, pour faire cela, après qu'il eut fait elle luy dit: «Vous avez fait et moy non;» et, parce qu'elle estoit dessus luy, elle le
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Annius Verus: c'étoit le grand-père de cet empereur.