Traité des eunuques. Charles Ancillon

Traité des eunuques - Charles Ancillon


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noms, & quelque facilité qu'il y ait à s'y méprendre.

      La seconde chose dont j'ai à vous rendre compte, est le motif qui me porte à vous adresser cet Ouvrage. Je n'en ai point d'autre, Monsieur, que l'estime toute particuliére que j'ai pour vous, & le cas que je fais de l'amitié dont vous m'honorez. Je me suis flatté que vous ne voudriez pas laisser paroître en public un Livre qui pourroit nuire à la réputation de son Auteur, qui est un de vos anciens Amis, & qui se repose sur vous du soin de l'éxaminer & de juger s'il mérite d'être mis sous la Presse: & je me suis persuadé que si vôtre jugement lui étoit favorable, je n'avois rien à craindre de la part du Public, parce que je pouvois espérer une approbation générale, ou en tout cas être assuré d'avoir en vous un puissant appui contre le mauvais goût & contre la Critique maligne, qui pourroient m'entreprendre. Je n'ai garde de faire ici vôtre Panégyrique à l'imitation de ceux qui font des Epîtres Dédicatoires, vos propres Ouvrages font vôtre Eloge, & le jugement favorable & glorieux que le Public en fait, vous est infiniment plus honorable que toutes les louanges qu'on pourroit vous donner dans une Epître. Je finis donc celle-ci en vous assurant que je me sers avec plaisir de cette occasion que j'ai souvent recherchée de pouvoir vous donner un témoignage public de la considération toute particuliére avec laquelle je suis,

      M O N S I E U R

Vôtre très humble &très obéïssant serviteur.C. D'OLLINCAN.

      DESSEIN ET DIVISION

      DE

      L'OUVRAGE

       LE7 Droit Canon traitant des mariages qui se contractent par Procureurs, ordonne & prescrit des précautions très grandes qu'il fonde sur cette raison, qu'il s'agit d'une affaire grave, difficile & importante, qui peut avoir des suites très dangereuses. Propter magnum quod ex facto tam arduo posset periculum imminere.

      Le Droit Civil ne donne pas une idée moindre du Mariage, il le considére comme l'action de la vie la plus considérable, & qui demande le plus de réfléxion; comme un Port favorable, ou comme un naufrage malheureux; comme une chose bien hazardeuse où toute la prudence humaine se réduit ordinairement à des vœux & à des souhaits.8 Magnum sane excellensque donum à Deo Creatore ad mortales promanavit Matrimonium.

      D'un côté le mariage étant l'Ouvrage de Dieu qui a uni les deux séxes, & qui considérant qu'il n'étoit pas bon que l'homme fût seul, lui a donné un être semblable à lui; leur a ordonné à l'un & à l'autre de croître & de multiplier, & a imprimé en eux un desir violent de s'unir ensemble pour la propagation de leur espéce. Cette union ne doit point être fortuite & commune, comme celle des animaux destituez de raison; elle ne doit point être produite par une affection brutale, par une volonté déréglée; elle ne doit point avoir pour but de mettre en sûreté des plaisirs impurs, & de les couvrir d'un nom spécieux & honorable. Ce doit être une conjonction chaste, religieuse, sainte, pleine de piété & de bénédictions; n'ayant pour but que d'éxécuter les ordres de Dieu, qui est son Auteur & son Protecteur. L'Eglise n'approuve & n'autorise que les Mariages de ce dernier caractére, ils ont pour eux la faveur publique, au lieu que les autres n'ont pour eux qu'une haine générale, un mépris très grand, & souvent les malédictions & l'horreur des gens de bien.

      De l'autre, comme le Mariage est le fondement de l'Eglise, puis qu'il est appellé par quelques Théologiens Venter Ecclesiæ9 qui lui engendre des enfans. Et de la Société civile, en ce qu'il est la source des hommes, qu'il éternise le monde, & qu'il donne des héritiers légitimes aux Citoyens, il ne faut pas s'étonner si l'Eglise & la Société Civile s'intéressent dans ce qui le concerne; si elles en réglent les commencemens, le cours, & les suites, & si elles ont pourvû sagement aux inconvéniens qui pourroient naître de l'ignorance des hommes, ou de leur malice.

      L'Eglise & la Société Civile ne laissent pas la liberté à tout le monde de faire à cet égard tout ce qu'il lui plaît. 10Semper in conjunctionibus non solum quid liceat considerandum est, sed & quid honnestum sit. Elles ne permettent point qu'on donne atteinte à la Justice, à l'ordre, au bien, à l'utilité, & à l'honnêteté publiques. Elles ont établi des Loix qui les déclarent bons, ou mauvais, justes, ou injustes, légitimes, ou criminels. Qui les permettent, ou qui les deffendent, qui les confirment, qui les authorisent, qui les protégent, ou qui les cassent, qui les annullent, & qui punissent ceux qui les ont contractez.

      Pour répondre au but que je me propose, il s'agit ici de voir dans quel de ces rangs on doit mettre le Mariage des Eunuques. Voici donc le plan général que j'ai dessein de suivre pour éclaircir cette matiére, & pour la régler par une décision incontestable & certaine. Ce Traité sera divisé en trois Parties.

      Dans la premiére j'éxaminerai ce que c'est qu'un Eunuque, de combien de sortes il y en a, quel rang ils ont tenu & tiennent dans la Société Ecclésiastique & Civile; & quelle considération on y a eu, & on y a actuellement pour eux.

      Dans la seconde, je discuterai leur droit par rapport au Mariage, & j'éxaminerai s'il doit leur être permis de se marier.

      Dans la troisiéme enfin, je rapporterai les Objections qui pourroient être faites contre les maximes que j'aurai avancées, & contre les décisions que j'aurai établies, & je tâcherai de les résoudre, & de lever les difficultez qui pourroient y donner atteinte.

      PREMIÉRE PARTIE

      CHAPITRE PREMIER

S'il y a des Eunuques, & depuis quel tems il y en a

      IL est de l'ordre de faire voir qu'il y a des Eunuques avant que d'entreprendre d'en faire la description, & que de raisonner sur leur sujet; Puis que selon le sentiment des Philosophes il est ridicule de raisonner d'une chose avant que de sçavoir si elle éxiste.

      Il y a plus de quatre mille ans qu'on parle d'Eunuques dans le Monde; l'Histoire Sainte & l'Histoire Prophane font mention d'une infinité de personnes de cette nature, qu'elles ne mettent ni au rang des hommes, ni au rang des femmes, & qu'elles appellent une troisiéme sorte d'hommes. On en a vû en si grand nombre dans tous les Siécles & dans tous les Païs; & on en voit encore tant qu'il n'est pas permis de douter qu'il n'y en ait eu, & qu'il n'y en ait encore aujourd'hui.

      La plûpart des Sçavans croyent que Semiramis Reine des Assiriens veuve de Ninus, & mére de Nynias, a été la premiére qui a fait faire des Eunuques; ils fondent leur opinion sur ces termes d'Ammian Marcellin,11 Postrema multitudo spadonum, a senibus in pueros desinens, obluridi, distortaque lineamentorum compage deformes, ut quaquà incesserit quisquam, cernens mutilorum hominum agmina, detestetur memoriam Semiramidis Reginæ illius veteris, quæ teneros mares castravit omnium prima. Claudien a crû la même chose,

      – 12Seu Prima Semiramis astu Assyriis mentita virum, ne vocis acutæ Mollities, levesque genæ se prodere possent. Hos sibi conjunxit similes; seu persica ferro Luxuries Vetuit nasci lanuginis Umbram.

      Cependant Diodore de Sicile qui a fait l'Histoire de Semiramis, dans sa Bibliothéque, d'une maniére beaucoup plus éxacte qu'aucun autre, ne dit rien de cette particularité qui méritoit pourtant bien d'être remarquée, si elle eût été certaine & véritable. Il dit seulement que les Bactriens à qui Ninus, qui depuis fut son Mari, faisoit la Guerre, ayant mis les Assyriens en fuite & en déroute, elle s'habilla d'une longue robe, comme un homme, les rallia, se mit à leur tête & triompha des Bactriens. Soit que cette Robe plût aux femmes Medes & aux Perses, soit qu'elles voulussent faire leur cour à Semiramis, elles en prirent de pareilles. Peut-être que cet habillement donna lieu à dire que Semiramis avoit fait des hommes imparfaits, des demi hommes, & que depuis on a conjecturé qu'elle avoit fait effectivement mutiler des hommes. Скачать книгу


<p>7</p>

Capitul. 9. tit. 19 de procuratoribus lib. 1. sexti Decretal.

<p>8</p>

Imperat. Leonis constitut. 26. in princip.

<p>9</p>

Novel. 21. tit. 1. de Nuptiis. In præfat.

<p>10</p>

L. 197. de divers. regul. Jur.

<p>11</p>

Liv. 14. ch. 6.

<p>12</p>

In Eutrop. lib. 1. V. 339.