Un jardin sur l'Oronte. Barrès Maurice

Un jardin sur l'Oronte - Barrès Maurice


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mon visage et mes complaisances vous servent, et qu'en les accueillant vous y trouviez un gage de sympathie. Je la quitte et je peux à chaque heure la rejoindre. Je pense que vous autoriserez qu'entre elle et moi jamais il n'y ait de secret, et vous ne direz pas que je vous ai trahi, si je lui confie nos propos, nos actions et lui donne un regard sur notre intimité.

      – Mais d'elle, Isabelle, ne puis-je rien savoir?

      – Et pourquoi donc, Seigneur?

      – Je pourrai l'entendre, la voir, m'avancer dans son amitié?

      – Elle en a le désir et en créera les moyens. Elle demande que vous lui soyez entièrement attaché d'esprit, et que vous laissiez tout autre soin que de lui plaire. Elle ne perdra pas de vue votre fortune et la conduira avec plus d'application que vous-même. Personne ne peut lui résister. C'est une abeille, petite et pleine de miel, qui vole avec un terrible aiguillon.

      – Je crains de mal entendre et de m'égarer dans des ruses de filles cruelles qui se moquent d'un étranger.

      – Votre crainte même, elle l'a prévue. Tout ce qui vous trouble, elle sait que vous êtes en train de me le dire. Elle m'a donné ses instructions. «Prends-le dans tes bras, m'a-t-elle commandé, et murmure-lui à l'oreille que nous avons modifié le proverbe. Le proverbe affirme qu'entre la coupe et les lèvres il y a la mort. Mais nous disons qu'entre la coupe et les lèvres, il y a Isabelle, – Isabelle qui vient passer avec toi des nuits de plaisir en causant de tes amours impossibles.

      V

      Guillaume, tout rempli du chant et de la beauté de la Sarrasine, et qui ne pouvait penser à rien d'autre, questionnait chaque nuit Isabelle sans qu'elle se lassât de répondre.

      Il craignait que les deux femmes ne le jugeassent mal.

      – Vous trouvez peut-être déplaisant, lui disait-il, que je laisse ainsi repartir les miens et que je demeure dans Qalaat où je suis un étranger? J'ai peur que votre reine ne me croie un mauvais garçon, capable de se laisser séduire par le luxe et l'oisiveté. Dites-lui bien que c'est une pensée irrésistible qui m'empêche de m'en retourner avec mes compagnons. Je crois que je mourrais. Pensez-vous qu'elle me mésestime et nie soupçonne de manquer à ma religion? Toute religion nous commande de nous modeler sur les personnes célestes, et celles d'ici sont les meilleures que j'aie vues.

      – Laissez, petit chrétien! lui répondait-elle en riant. Ma maîtresse serait contente que vous eussiez quitté votre religion pour elle, et vous en ferait changer trente-six fois pour s'assurer de sa force.

      – Ses actes sont donc calculés?

      – Tu vois comment elle a su prouver à l'Émir que les chants qu'elle lui offre sont plus puissants que les divertissements chrétiens. C'est décisif qu'après l'avoir entendue tu ne désires plus retourner à ce que la veille tu préférais à tout.

      «Ah! pensa le jeune homme avec tristesse, elle est habile.»

      Isabelle regardait avec autant d'étonnement que d'amitié les yeux de feu de ce jeune étranger, car elle n'avait pas jusqu'alors l'idée que l'on pût voir dans une femme un être surnaturel.

      – Ne pourrai-je pas un jour causer avec cette divinité? lui disait-il.

      – Si fait, petit chrétien, mais en attendant je te peins à elle avec les plus jolies couleurs, et sache qu'elle m'écoute avec curiosité, car le poète l'a dit: «La cage a beau être couverte de peintures et d'ornements, l'oiseau cherche des yeux une ouverture!»

      Il en revenait toujours à son désir de l'approcher et de l'entendre.

      – Ne sois pas malheureux, lui répondait la jeune incendiaire. Cela viendra quelque jour. Tu nous verras, le soir, à l'heure des jardins, quand nous sommes toutes assises autour d'elle et tu diras avec le poète: «Est-ce de la poussière de musc semée autour d'une pelouse, ou sont-ce des violettes répandues au pied d'une rose?» Quand cela sera? Eh! laisse-toi conduire. Elle agit comme les péris par des mouvements gracieux et sans violence, et rien ne résiste à sa magie.

      Peu de temps après, l'Émir chargea Guillaume d'un service qui l'obligeait à le rejoindre dans les kiosques et à traverser fréquemment les jardins.

      Isabelle s'arrangea un jour pour qu'il y passât au moment où tout le harem s'y tenait. C'était aux heures douces du soir, sous le verger, une fête d'Asie. Le jardin de fleurs était devenu un paradis de filles. Toutes ces dames musulmanes, vêtues de soies éclatantes, couvertes de voiles de couleurs, chaussées de brodequins dorés, parées de colliers, de fards et d'odeurs, les unes marchant avec fierté comme des paons sur les pelouses, d'autres légères comme des gazelles, la plupart assises sous un cèdre, entouraient la Sarrasine. Des oiseaux de paradis autour d'un jeune aiglon. Elles mangeaient des sucreries et jouaient au trictrac, tandis que des colombes et des perdrix rouges sautillaient et picoraient autour d'elles et que des musiciens groupés à une petite distance de leur cercle éclatant, modulaient l'air fameux: «Sous les roses on joue de la harpe, sous le cyprès la flûte soupire, sous les jasmins, on récite les poèmes immortels et sous les jonquilles on cause d'amour.» Le vent s'était fait magicien et mêlait les couleurs, les parfums, les rires et la musique. Isabelle vint à la rencontre de Guillaume et le conduisit par la main à la Sarrasine. Il se fit un grand silence de tout le jardin. Pour voir le jeune homme, toutes les beautés s'étaient rapprochées, comme des biches si l'on apporte à l'une d'elles un gâteau, et se tenaient maintenant immobiles autour de leur reine, comme les pétales de la tulipe autour de son cœur noir. Et celle-ci lui dit:

      – Sire Tristan, croyez-vous que nous sommes ici une suffisante collection de mandragores, de basilics et de turquoises, pour composer un philtre d'amour efficace?

      Toutes se mirent à rire.

      Alors il devina avec confusion qu'elles avaient entendu son récit de Tristan et Iseult à l'Émir, et que c'étaient elles les souris de la tribune, le soir du souper.

      Elles crurent toutes reconnaître un effet de leur beauté dans sa timidité, mais c'était uniquement la crainte que donne l'amour, car leur variété ne servait à ses yeux qu'à rehausser leur reine, que seule il voyait.

      – Chut! lui dit Isabelle, ne bougez pas.

      Elle était occupée à faire un point à l'écharpe de la Sarrasine, et l'ombre du jeune homme tombait sur le large ruban, ce qui fait qu'après trois minutes, en jetant son aiguille, elle lui dit:

      – Petit chrétien, je viens de te coudre à cette écharpe.

      Et toutes d'applaudir. Les lèvres de rubis souriaient, les joues brillaient, les boucles de cheveux voltigeaient, certains regards étaient voilés par de longues paupières, et d'autres étrangement gais. Guillaume voyait les gouttes de sueur qui perlaient sur ces jeunes visages d'Orient, et comme pour comprendre ces gazouillements d'oiseaux il était obligé, si bien qu'il sût le langage sarrasinois, de surveiller de près le mouvement de leurs lèvres, il apercevait cette vivante humidité des jeunes bouches qui atteste aussi bien que le feu des prunelles que des beautés ne sont pas tout aériennes. Cette ardeur de l'âme qui se trahit dans leurs regards est leur qualité propre comme le parfum appartient aux fleurs, le chant aux oiseaux et la rosée aux matins d'automne. Il voyait tout cela aussi clairement qu'à leurs ceintures les nœuds de diamant, à leurs doigts les bagues et à leurs chevilles les pesants anneaux d'or. Mais il ne faisait attention qu'au bel œil étincelant de la Sarrasine et à cet air libre et guerrier qui la mettait au-dessus de toutes. Une immense joie le pénétrait à la pensée qu'elle n'avait pas refusé que l'ombre d'un humble étranger fût cousue à son écharpe de déesse.

      Quand il fut parti, toutes commencèrent à le louer. Zobéide, qui était la plus joyeuse, dit en riant:

      – Puisse-t-il être, madame, comme l'oiseau Homay qui assure une fortune éclatante à celle sur qui s'arrête son ombre.

      – Bah! dit la grosse Badoura, fortune ou infortune, que je voudrais donc me réfugier sous l'ombre de ce bel oiseau.

      Et toutes commencèrent à vouloir que la savante leur confiât ses secrets. Mais elle se tourna vers la sultane:

      – Vous


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