Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin
des flatteurs: les uns et les autres visent par le vent de leurs paroles à tirer l'argent de votre bourse et à vous ravir l'honneur. Enfin, l'infection de la peste n'est pas tant à craindre pour le corps que le poison des mauvaises compagnies, et qui se sert de discours trop étudiés pour nous persuader un crime emploie un poignard parfumé pour nous percer le cœur.
«Voilà, Guillemette, ce que j'avois à vous dire, et que je vous prie de bien retenir dans votre cœur; et, crainte que vous ne l'oubliiez, je l'ai succinctement rédigé par écrit: le voilà, ayez-en soin, et le lisez souvent.»
Guillemette le lui promit, après quoi elles se reposèrent jusques au matin, que sa dame ne la voulut point quitter que pour se mettre dans le carrosse. Ainsi, nos amants ne purent se dire d'autres adieux que dans les termes généraux. Et notre marquis, ayant demeuré là quelque temps, prit congé, et se retira à une de ses maisons, située à deux lieues de distance du nouvel appartement que prenoit sa maîtresse, laquelle fut assez bien reçue à son arrivée; mais la suite n'y répondit pas. Elle avoit affaire à une dame que nous nommerons Olympe, pour ne pas découvrir sa famille79. Elle étoit impérieuse, et traitoit mal ses gens, quelque diligence qu'ils apportassent à faire leur devoir. Cette manière parut fort rude à notre Guillemette: elle sortoit de chez une personne qui l'avoit toujours traitée comme son enfant; au lieu que là elle se voyoit comme dans un esclavage; ce qui la dégoûta beaucoup, et servit à établir d'autant plus le marquis dans son cœur. Il étoit au désespoir, et il ne se passoit point de jours qu'il ne passât par-là à cheval; mais jamais il ne put être aperçu d'elle; à la fin il se servit d'une ruse qui lui réussit. Il gagna un paysan du village qui pourvoyoit le château de poisson, et lui fit promettre de remettre une lettre à Guillemette: il lui désigna sa taille et sa figure, afin qu'il ne fît point de bévue. L'autre le lui promit: en effet, il réussit, et lui donna la lettre. Elle fut d'abord un peu surprise de la manière avec laquelle elle la recevoit; mais le paysan sut lui mettre l'esprit en repos, en l'assurant qu'il étoit tout dévoué à son service. Elle lui promit que le lendemain elle lui donneroit réponse. D'abord il en fut porter la nouvelle au marquis, qui l'attendoit avec impatience. Dans ce temps Guillemette ouvrit sa lettre, et y lut:
Je suis persuadé que, si je ne vivois entièrement pour vous, je n'aurois pu vous voir enlever à mes yeux sans mourir. Encore si j'eusse pu avoir l'honneur de prendre congé de vous, et de savoir vos sentiments, je m'en serois consolé. Faites-moi donc la grâce que je vous puisse parler en quelque lieu. Ha! qui l'auroit cru, si près de nous voir, être si cruellement separés! Il n'importe, et j'espère que votre bonté réparera la perte que nous avons faite. Adieu, ma chère; faites-moi savoir de vos nouvelles, et vous fiez entièrement au porteur, car il est de nos amis.
Elle ne balança point sur sa réponse. Il y avoit du temps qu'elle souffroit de cette nouvelle maîtresse, et elle en vouloit sortir absolument, à quelque prix que ce fût; ainsi elle fit la réponse suivante, qu'elle glissa subtilement dans la poche du paysan:
Quoique je ne vous aye pas vu depuis mon départ de… je n'ai pourtant pas laissé éteindre dans mon cœur la passion que vous y aviez allumée; et pour preuve de cela, trouvez-vous demain à quatre heures, déguisé en fille, au bord du bois qui joint au grand chemin: là j'aurai l'honneur de vous voir.
Jamais le marquis n'eut plus de joie que lorsqu'il apprit cette nouvelle; il baisa cent fois cette lettre. Il se trouva au rendez-vous à l'heure assignée, où il lui dit mille douceurs. Elle, qui s'étoit apprivoisée avec lui, se plaignit de l'humeur hautaine de madame Olympe et de la manière indigne dont elle la traitoit. Le marquis s'offrit d'abord de la tirer de cet esclavage; mais elle n'y vouloit point consentir dans le commencement, ne désirant, disoit-elle, faire autre chose que retourner chez son ancienne maîtresse; mais il la sut si bien prendre, lui remontrant qu'elle seroit toujours dans un pareil état, au lieu qu'auprès de lui elle seroit maîtresse absolue de son bien, qu'elle donna son consentement pour le dimanche suivant, sur le soir, et s'abandonna entièrement à sa volonté. Il la remercia le plus éloquemment qu'il put, il l'embrassa et la baisa tendrement, à quoi elle ne fit pas tant la rigoureuse comme auparavant; et il est à croire que, s'ils eussent été dans un autre endroit, elle n'en seroit pas sortie vierge. Quoi qu'il en soit, il la baisa aux yeux, à la bouche, au sein, et où il voulut. Il en étoit tant extasié, qu'il ne disoit rien. Quand elle se réveilla: «Il me semble, lui dit-elle, que vous voilà dans le même état que l'autre jour que vous fîtes cet impromptu de vers parce que je ne voulois pas vous donner un baiser. Si le chagrin vous en fit lors composer si promptement, il me semble que la joie que vous témoignez vous en devroit aussi dicter. – Vous avez raison, dit-il, Mademoiselle»; et, après avoir un peu rêvé, il récita ceux qui suivent, en badinant avec elle:
Fais que je vive, ô ma seule Déesse!
Fais que je vive, et change ma tristesse
En plaisirs gracieux.
Change ma mort en immortelle vie,
Et fais, cher cœur, que mon âme ravie
S'envole avec les Dieux.
Fais que je vive, et fais qu'en la même heure
Que je te baise, entre tes bras je meure,
Languissant doucement;
Puis, qu'aussi-tôt doucement je revive,
Pour amortir la flamme ardente et vive
Qui me va consumant.
Fais que mon âme à la tienne s'assemble;
Range nos cœurs et nos esprits ensemble
Sous une même loi.
Qu'à mon désir ton désir se rapporte;
Vis dedans moi, comme en la même sorte
Je vivrai dedans toi.
Ne me défens ni le sein, ni la bouche:
Permets, mon cœur, qu'à mon gré je les touche
Et baise incessamment,
Et ces yeux, où l'amour se retire;
Car tu n'as rien qui tien se puisse dire,
Ni moi pareillement.
Mes yeux sont tiens; des tiens je suis le maître.
Mon cœur est tien, à moi le tien doit être,
Amour l'entend ainsi.
Tu es mon feu, je dois être ta flamme;
Tu dois encor, puisque je suis ton âme,
Etre la mienne aussi.
Embrasse-moi d'une longue embrassée;
Ma bouche soit de la tienne pressée,
Suçant également
De nos amours les faveurs plus mignardes;
Et qu'en ces jeux nos langues frétillardes
S'étreignent mollement.
Au paradis de tes lèvres écloses
Je vais cueillir de mille et mille roses
Le miel délicieux.
Mon cœur s'y paît, sans qu'il s'y rassasie,
De la liqueur d'une douce ambroisie,
Passant celle des Dieux.
Je n'en puis plus, mon âme à demi fole
En te baisant par ma bouche s'envole,
Dedans toi s'assemblant.
Mon cœur hallette à petites secousses;
Bref, je me fonds en ces liesses douces,
Soupirant et tremblant.
Quand je te baise, un gracieux zéphire,
Un petit vent moite et doux, qui soupire,
Va mon cœur éventant.
Mais tant s'en faut qu'il éteigne ma flamme,
Que la chaleur qui dévore mon
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Autre erreur de l'auteur. Cette nouvelle position de sa