Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III - Bussy Roger de Rabutin


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chambre. Là, elle oublia tout à fait son pauvre village, et commença à s'éclaircir un peu l'esprit à la mode de la noblesse. Son pauvre amant fut au désespoir de la perte qu'il faisoit; il auroit bien été jusque dans le château pour la voir, mais on l'avoit averti de n'en point approcher s'il ne vouloit en remporter une charge de bois, si bien qu'il étoit dans les plus grands chagrins du monde. Néanmoins il avoit toujours quelque espérance de lui parler, et, sachant qu'elle devoit, à quelques jours de là, aller seule faire ses dévotions dans l'église de la paroisse, il prit la résolution de lui parler; pour cet effet, il s'y rendit de grand matin, crainte de la manquer. Lorsqu'elle voulut entrer dans l'église, il s'avança pour lui parler; mais elle, qui se sentoit le cœur relevé par les habits qu'elle portoit, et auxquels elle n'étoit pas accoutumée, le rebuta et ne le voulut du tout point écouter. Peu s'en fallut qu'il ne perdît tout à fait le respect dans ce lieu saint et qu'il ne l'accablât d'injures; mais, sa raison se trouvant plus forte que sa passion, il attendit à la fin de l'office, et, lorsqu'elle sortit, il l'accabla, en la suivant, des plus sanglantes injures; il lui reprocha mille fois jusqu'à la dernière bagatelle qu'il lui avoit donnée; quelquefois il juroit, d'autre part il la supplioit de n'oublier point l'amour ardent qu'il lui avoit témoigné. Enfin il fit cent postures par lesquelles il n'avança rien, car elle poursuivoit toujours son chemin sans le vouloir écouter ni même le regarder, ce qui le pénétra tellement de douleur qu'il fut le jour même saisi d'une grosse fièvre qui en peu l'emporta du monde. Elle ne laissa pas d'en avoir un peu de chagrin, mais si peu que deux heures de temps le firent oublier pour jamais. Elle demeura bien quelque temps dans cette manière de vivre médiocre, et sans doute elle y eût passé sa vie si le marquis de Chevreuse78 n'eût trouvé des charmes en elle. Il la vit la première fois avec cette dame, et, ayant su son extraction, il médita de s'en faire une conquête. Pour cet effet, il l'attaqua par tous les endroits qu'il crut la pouvoir mieux vaincre, mais inutilement: elle étoit avec une personne vertueuse, qui avoit incessamment l'œil sur elle, et qui l'avoit instruite dans la voie d'honneur, si elle y eût voulu rester. M. de Chevreuse, qui avoit vu la cour, ne s'étonnoit pas de ses refus; il continuoit toujours dans sa poursuite, et ne désespéra point de venir à son but. Un jour que sa dame étoit à recevoir visite, et qu'elle étoit, contre son ordinaire, seule dans la chambre, il l'aborda avec de grandes civilités: «Eh bien, Mademoiselle, lui dit-il, avez-vous juré de m'être toujours cruelle, et ne voulez-vous point correspondre à la plus forte passion du monde? Je vous aime, Mademoiselle, je vous l'ai dit diverses fois de bouche, et mes yeux vous le disent à tous moments; cependant vous ne voulez pas me souffrir, et il semble que toute votre tâche n'est qu'à me faire souffrir mille martyres par le mépris que vous faites de mon amour et par l'indifférence avec laquelle vous recevez mes protestations. – Je n'ai, Monsieur, lui répondit-elle froidement, ni rigueurs ni douceurs à votre égard; je me connois, et il me suffit d'avoir pour vous le respect qui est dû à votre rang, sans envisager autre chose.» En finissant, elle sortit brusquement de la chambre et se rangea avec ses compagnes, sans qu'il pût l'obliger à rester, quelque prière qu'il fît. Néanmoins il ne laissoit point passer d'occasion sans lui parler de son amour, et il croyoit remarquer quelque avance dans ses affaires, lorsqu'il fut obligé d'aller prendre possession d'une terre peu éloignée, qu'une tante lui venoit de laisser par sa mort. Avant de sortir de la province, il voulut lui dire adieu; mais il ne la put trouver en particulier, parce qu'elle étoit occupée auprès de sa dame, qui se trouvoit mal; il résolut pourtant de lui écrire, ce qu'il fit incontinent qu'il fut arrivé au lieu où il devoit être, et, pour lui faire tenir sa lettre avec sûreté, il fit partir un de ses gens pour visiter de sa part la dame chez qui elle étoit, avec ordre de lui rendre à elle-même la lettre, ce qu'il fit. D'abord qu'elle l'eut reçue, elle ne savoit si elle la porteroit à sa maîtresse ou si elle la liroit. Son esprit demeura ainsi quelque temps en suspens; mais enfin la curiosité l'emporta, et elle l'ouvrit et y lut ces mots:

Mademoiselle,

      Après vous avoir souventes fois dit de bouche que je vous aime plus que moi-même, je prends la liberté de vous en assurer plus certainement, et en même temps vous protester que je vous aimerai toujours nonobstant votre indifférence. J'ai un chagrin cuisant de n'avoir pas pu prendre congé de vous avant mon départ; j'en ai cherché avec soin toutes les occasions; mais, cruelle, vos rigueurs et mon amour ne suffisoient pas pour me tourmenter, vous avez encore affecté d'éviter ma rencontre, parce que vous pouviez bien préjuger que par un moment de votre charmante conversation j'aurois adouci les maux que votre absence me cause. Quittez, Mademoiselle, toutes ces rigueurs, si contraires aux belles âmes comme la vôtre, et, en considerant la force de mon amour, agissez en généreuse, et rendez cœur pour cœur. Le mien est vôtre; il ne souffrira jamais d'autre image que celle de votre charmante personne, et jamais il ne sera partagé. Donnez-moi donc une petite place dans le vôtre; c'est l'unique chose que je demande au monde, et pour laquelle j'abandonnerois volontiers mes biens et mes dignités. Correspondez donc à mon amour, Mademoiselle, et ne soyez pas seulement maîtresse absolue de mon cœur, mais encore de mes biens. Le porteur prendra votre réponse; je vous supplie, ne me la deniez pas, non plus que ce que je vous demande, sans quoi vous réduirez au désespoir un homme qui n'a de vie que pour vous aimer et de biens que pour vous servir.

De Chevreuse.

      Elle demeura toute déconcertée à la lecture de cette lettre, et ne savoit si elle y devoit répondre ou non; à la fin, elle se détermina de ne point faire de réponse, et même d'éviter la rencontre du messager, ce qu'elle fit en se rendant auprès de ses compagnes, où elle fut jusqu'à son départ; après quoi elle fut se promener seule auprès d'un petit bois joignant la maison, où elle ne fut pas plus tôt que la démangeaison de revoir cette lettre la reprit. D'abord elle se fit un peu de violence pour martyriser sa passion; mais la curiosité annexée au sexe l'emporta: elle lut et relut la lettre. D'abord il lui sembloit que ce n'étoit que divertissement, et que cent lettres n'auroient pas d'empire sur son cœur; après elle se plaisoit à la lire et trouvoit un certain charme qui attachoit ses yeux comme par violence, et enfin elle commença d'y faire réflexion; elle la lut avec beaucoup d'attention et la trouvoit charmante. «Quoi! disoit-elle, un marquis amoureux de moi, mais amoureux passionné, qui m'offre son cœur et ses biens, et je le dédaignerois! Non, je commence de voir ma faute, je veux l'aimer; il me fera grande dame, et, au lieu que je suis ici servante des autres, j'en aurai qui me serviront; je relèverai par-là l'obscurité de ma naissance. Mais, disoit-elle en se reprenant elle-même, tu connois qui tu es, et s'il t'aime ce n'est que pour ravir ce que tu as de plus cher au monde, après quoi il ne voudra pas te regarder; alors tu seras abandonnée et sans appui. Non, ne l'aimons point, et conservons notre honneur.»

      Flottant ainsi entre ces deux passions, elle laissa tomber sa lettre et l'oublia sans s'en apercevoir. Elle poursuivit la promenade, quand une vieille servante du logis avec qui elle étoit intime arriva. Elle marchoit si doucement que Guillemette ne la put voir que lorsqu'elle étoit déjà contre elle, et après qu'elle eut amassé la lettre, laquelle elle cacha soigneusement, se doutant bien qu'il y avoit quelque mystère de caché. Elle l'aborda donc et tâcha de la tirer de sa rêverie. «Je ne vous ai jamais vue de telle humeur, lui dit-elle, et sans doute il y a quelque chose d'extraordinaire qui vous la cause; ne me cachez rien de vos affaires, et, si je puis y apporter du soulagement, soyez persuadée que je n'y épargnerai rien.» Elle lui dit encore quantité de choses, mais le tout sans pouvoir tirer aucune réponse positive. Elle ne l'importuna pas davantage, se doutant bien qu'elle découvriroit quelque chose par la lettre. En effet, elles ne furent pas plus tôt à leur appartement que la vieille, fermant la porte sur soi, en fit la lecture, par laquelle elle fut à plein éclaircie de la cause du changement de Guillemette. Néanmoins elle eut du chagrin de ne pouvoir savoir comment le marquis étoit avec elle et quel effet avoit produit cette lettre. Elle jugea bien que Guillemette ne lui découvriroit pas ce secret; ainsi elle résolut d'attendre le retour de monsieur le marquis, afin d'en pouvoir savoir quelque chose de lui; et, comme elle savoit par expérience que les amants sont souvent libéraux, elle ne se promit pas une petite fortune si elle pouvoit lui être utile dans ce commerce.

      Dans ce temps, la pauvre Guillemette avoit l'esprit accablé de mille différentes pensées. Elle voulut relire encore cette lettre, et la chercha pour cet effet dans sa poche. Rien ne sauroit décrire son étonnement lorsqu'elle ne la trouva pas. Elle courut


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<p>78</p>

Nous ne voyons aucun fondement à ce conte ridicule, et il est difficile de dire à laquelle des familles de ce nom appartenoit ce marquis de Chevreuse.