Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III - Bussy Roger de Rabutin


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dit au duc de faire un impromptu sur ce sujet. La vivacité de l'esprit de M. le duc de Saint-Aignan parut et se fit admirer, car dans un moment il écrivit sur ses tablettes les vers suivans:

      Le héros des héros a part dans cette histoire.

      Mais quoi! je n'y vois point la dernière victoire.

      De tous les coups qu'a faits ce généreux vainqueur,

      Soit pour prendre une ville ou pour gagner un cœur,

      Le plus beau, le plus grand et le plus difficile

      Fut la prise d'un cœur qui sans doute en vaut mille,

      Du cœur d'Iris enfin, qui mille et mille fois

      Avoit bravé l'Amour et méprisé ses lois.

      Le Roi, impatient de voir ce que le duc écrivoit, lui tira ses tablettes devant même qu'il eût achevé. Il fit la lecture des vers et les trouva fort spirituels; il les fit voir à sa maîtresse, qui les trouva fort bien tournés et fort galans. Le duc lui dit que la chose étoit imparfaite; mais il lui répondit que, dans son imperfection même, il la trouvoit agréable, et qu'il lui demandoit un petit ouvrage sur ce sujet15. Le duc fit un remercîment à Sa Majesté de l'honneur qu'elle lui faisoit de lui commander de travailler sur une matière si noble et si charmante. Après ce compliment, le duc se retira, et laissa le Roi avec mademoiselle de Fontange. Il y passa presque toute la journée; il ne mangea point en public, et la solitude eut pour lui des charmes qu'il n'auroit pas rencontrés dans la grandeur de sa Cour. De vous dire à quoi il employa tout le temps, ce seroit un peu trop pénétrer; néanmoins nous avons lieu de croire que l'amour fut mis souvent sur le tapis, et quelquefois sur la couverture, parce que le lendemain, qui étoit destiné à une partie de chasse, notre belle se trouva un peu lasse et fatiguée, et elle pria le Roi de la dispenser de l'accompagner dans un si pénible exercice. Le Roi, qui ne pouvoit l'abandonner, aima mieux en différer le divertissement que de le donner aux autres dames sans qu'elle y eût part. On remit la partie à trois jours, et on passa cet intervalle de temps dans des jeux, des bals et des festins, où l'adresse et la magnificence du Roi parurent toujours avec éclat. Ce fut dans une de ces fêtes que le duc présenta au Roi les vers qu'il avoit faits par son ordre; le Roi en fit la lecture après le bal fini, et, les ayant trouvés d'une justesse merveilleuse, il en donna le plaisir à toute la Cour par la lecture qu'on en fit publiquement pendant la collation. En voici une copie, qui m'est tombée entre les mains:

TRIOMPHE DE L'AMOURSURLE CŒUR D'IRIS

      L'Amour 16 , cet aimable vainqueur,

      A qui tout cède et que rien ne surmonte,

      Etoit près de jouir d'un extrême bonheur,

      Lorsqu'il se souvint, à sa honte,

      Que, bien que tout lui fût soumis,

      Il n'avoit point le cœur d'Iris.

      Il voyoit mille cœurs qui s'empressoient sans cesse

      De venir en foule à sa cour,

      Car les cœurs ont cette foiblesse

      Depuis que l'univers est soumis à l'Amour.

      Le cœur d'Iris ne pouvoit se contraindre;

      Il les regardoit tous avec quelque mépris.

      Il n'appartient qu'au cœur d'Iris

      De connoître l'Amour et de ne le pas craindre.

      Ce conquérant avoit droit de s'en plaindre;

      Que l'on ne soit donc pas surpris

      Si, rempli d'une noble audace,

      Il voulut attaquer cette invincible place;

      Il le voulut en effet,

      Et ce que l'Amour veut est fait.

      Avant que d'entreprendre une si juste guerre,

      Il fit assembler son conseil.

      Ce conseil n'a point de pareil

      Ni dans les cieux ni sur la terre;

      C'est un agréable amas

      De guerrières vigilantes,

      Qui sont toutes ses confidentes,

      Et qui toutes ont des appas.

      L'on y vit la Magnificence,

      L'Espérance, la Complaisance,

      La Tendresse, la Propreté.

      L'on y vit la Flatterie,

      La Hardiesse et la Galanterie.

      L'Amour les aime avec égalité;

      Car elles sont sous son obéissance,

      Et le servent de tous côtés,

      En rendant toutes les beautés

      Tributaires de sa puissance.

      Mais il n'est pas mal à propos

      De dire, en passant, quatre mots

      De tant de guerrières aimables.

      La Galanterie, aujourd'hui,

      Est une des plus agréables;

      Elle plaît à l'Amour et ne va point sans lui,

      Toutes ses actions font voir sa bonne grâce,

      Elle charme, quoi qu'elle fasse;

      Elle a de merveilleux talents;

      Elle se voit partout chérie,

      Et plus d'un cœur hait les galants

      Sans haïr la Galanterie.

      La Flatterie a l'air charmant;

      Elle paroît d'abord douce, aimable et sincère,

      Mais, à parler ingénument,

      Quand elle dit du bien, ce n'est pas pour en faire,

      Ou du moins c'est très rarement.

      L'on connoît la Complaisance:

      Lorsqu'on dira que son pouvoir est grand;

      Qu'elle vient par sa patience

      Presque toujours à bout de ce qu'elle entreprend;

      Et l'on sait par expérience

      Qu'Amour, ce charmant vainqueur,

      Se déguise en Complaisance

      Pour faire moins de bruit ou pour surprendre un cœur.

      La Magnificence a des charmes,

      Quoique la vanité forme tous ses desseins,

      Et les richesses sont des armes

      Qui peuvent, dans de nobles mains,

      Vaincre les plus rebelles,

      Et gagner l'amitié des belles.

      La Propreté 17 fait moins de bruit.

      Elle se plaît d'être bien mise,

      Et souvent en une entreprise

      Elle retire plus de fruit;

      On la voit toujours paroître

      Sans qu'elle ait rien d'affecté:

      L'Amour a de la peine à se faire connoître

      Lorsqu'il est sans la Propreté.

      L'Espérance


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<p>15</p>

Louis XIV restoit dans les traditions de Henri IV et de la plupart des seigneurs de son temps. On sait combien on trouve, dans les œuvres des poètes, de pièces écrites par eux à des dames au nom de leurs protecteurs.

<p>16</p>

Le Roi. La clef de cette pièce est donnée par le texte.

<p>17</p>

La propreté signifioit alors l'élégance, le luxe des habits.