Henri IV en Gascogne (1553-1589). Charles de Batz-Trenquelléon

Henri IV en Gascogne (1553-1589) - Charles de Batz-Trenquelléon


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Brantôme dit à ce sujet: «La reine de Navarre, qui était jeune, belle et très honnête princesse, ne se plaisait point à cette nouveauté de religion, si tant qu'on eût bien dit… Je tiens de bon lieu qu'elle le remontra, un jour, au roi son mari, et lui dit, tout-à-trac, que s'il voulait se ruiner et faire confisquer son bien, elle ne voulait perdre le sien…» Il n'en est pas moins vrai que les progrès sérieux du calvinisme en Béarn et en Gascogne datent du patronage manifeste d'Antoine de Bourbon et de la tolérance de sa femme. Jeanne aurait pu, en effet, sans avoir recours à la persécution ni même à l'hostilité, paralyser et peut-être détruire des velléités d'hérésie dont l'esprit public ne s'émouvait que parce qu'il les voyait s'affirmer autour du roi et de la reine.

      Les manifestations calvinistes organisées ou encouragées par Antoine de Bourbon prirent de tels développements, qu'à la fin elles offusquèrent Henri II. Des avis, des remontrances, des reproches furent d'abord adressés au roi et à la reine de Navarre, et, en 1557, Henri II en vint d'autant plus résolûment aux menaces d'intervention armée, qu'en ce moment, il sévissait contre les réformés, dans ses propres Etats. Il fallut courber la tête sous l'orage qu'on avait déchaîné de gaîté de cœur: Antoine et Jeanne imposèrent silence aux plus fougueux apôtres de la nouvelle religion, et résolurent d'aller faire leur paix avec le roi de France. Dans ce but, ils confièrent la lieutenance-générale de leurs Etats au cardinal d'Armagnac, et, accompagnés du prince de Navarre, âgé de cinq ans à peine, ils se rendirent à Amiens, où Henri II tenait sa cour. Froidement accueillis dès l'arrivée, ils auraient eu peut-être à regretter ce voyage, si les grâces naissantes et l'heureuse figure de leur fils n'eussent touché le cœur du roi de France. Rare mélange de noblesse et de rusticité, le petit prince ne pouvait passer nulle part inaperçu. Henri II fut frappé de ses allures primesautières, de cet œil d'aiglon qui reflétait quelque chose du ciel méridional et des âpres beautés d'un site pyrénéen. Il le prit dans ses bras et lui dit: – «Veux-tu être mon fils? —Aquet es lou seignou pay.– Celui-ci est mon seigneur et père», répondit l'enfant, qui ne parlait pas encore français, en désignant Antoine de Bourbon. «Le roi, dit Favyn, prenant plaisir à ce jargon, lui demanda: «Puisque vous ne voulez être mon fils, voulez-vous être mon gendre?» Il répondit promptement, sans songer: «Obé!– Oui bien!» On a voulu voir, dans cette riante scène d'intimité, l'origine du mariage, trop fameux dans l'histoire, qui fut une des péripéties les plus sinistres de la Saint-Barthélémy. Lorsque Catherine de Médicis et Charles IX donnèrent Marguerite de Valois à Henri de Bourbon, ce n'étaient plus les affections de famille qui inspiraient leurs actes!

      Henri II voulait retenir le jeune prince à la cour et le faire élever parmi ses enfants; Jeanne et Antoine, trouvant leur fils trop jeune pour vivre loin d'eux, déclinèrent cette offre, et le ramenèrent en Béarn, au milieu de ses chères montagnes. Mais l'année suivante, ayant fait un nouveau voyage à la cour, à l'occasion du mariage du Dauphin avec Marie Stuart, ils durent céder aux sollicitations de Henri II: il fut décidé que le prince de Navarre resterait auprès du roi, sous la sauvegarde de sa gouvernante, la baronne de Miossens. Ce fut pendant son séjour à Paris que Jeanne d'Albret mit au monde, le 27 février 1559, Catherine, son dernier enfant, qui fut tenue sur les fonts par la reine de France.

      Le règne de Henri II, si brillant dans la plus grande partie de son cours, allait finir par un désastre politique et une catastrophe personnelle. Le désastre fut la paix de Cateau-Cambrésis, suite des défaites de Saint-Quentin et de Gravelines. Les principaux négociateurs de cette paix, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André, humiliaient et dépouillaient la France au profit de l'Angleterre, de l'Espagne et de la Savoie. Il était stipulé, en outre, que Philippe II épouserait Elisabeth, fille de Henri II, dont la main avait été promise à don Carlos, fils du roi d'Espagne, et que le duc de Savoie aurait la main de Marguerite, sœur du roi de France. Les intérêts et les droits de la couronne de Navarre étaient absolument sacrifiés. Cette triste paix fut l'instrument diplomatique des divisions qui allaient de nouveau ensanglanter l'Europe.

      A l'occasion du mariage des deux princesses françaises, Henri II ordonna des fêtes splendides, et surtout un tournoi, jeu guerrier qu'il aimait avec passion. Après y avoir fait ses prouesses habituelles, il voulut jouter une dernière fois contre le comte de Montgomery, capitaine de ses gardes, dont la lance rompue atteignit le roi à la tête. Henri II mourut le 10 juillet 1559.

      Il laissait à son successeur une situation amoindrie au dehors et périlleuse à l'intérieur. Les progrès du calvinisme ne pouvaient plus se nier. Si Henri II eût vécu, peut-être la crise que sa fin précipita eût-elle avorté sous les coups de force auxquels il avait eu déjà recours; mais sa mort inopinée, livrant le pouvoir à un enfant débile, ou plutôt à Catherine de Médicis, fut, au contraire, l'origine des brigues et des dissensions les plus redoutables. A peine François II était-il sacré à Reims, que les partis se dessinèrent. Catherine se jette d'abord tout entière du côté des Guises; les Maisons de Bourbon, de Châtillon et de Montmorency sont laissées à l'écart, où elles n'entendent pas se morfondre, et elles vont s'efforcer de ressaisir, coûte que coûte, leurs avantages. Elles trouveront des armées dans la foule des mécontents et des sectaires. La veille, le trône était assiégé d'ambitions et d'intrigues; aujourd'hui, le voilà au milieu des factions. Catherine aura beau ruser avec elles, essayer de battre l'une par l'autre, s'appuyer sur les catholiques pour arrêter les «huguenots», dont le nom vient de surgir, flatter les protestants pour se dégager de l'étreinte des catholiques, favoriser ce que l'on appellerait, de nos jours, le «tiers-parti»: la France est sur le seuil de l'enfer des guerres civiles, des guerres de religion, où tomberont tant de générations fanatisées, criminelles ou innocentes, jusqu'à ce que le bras et le génie d'un roi aient rendu la patrie à elle-même et la paix à la patrie.

      Les maisons princières évincées par les Guises s'efforcèrent de contrebalancer la toute-puissante influence des princes lorrains, en prenant la tête du parti protestant. Elles luttèrent mal, surtout Antoine, facile à duper. Catherine l'envoya rejoindre en Béarn sa femme et son fils, et, pour colorer ce congé d'un semblant de raison avouable, elle lui confia la mission de conduire en Espagne Elisabeth de France, mariée par procuration à Philippe II, après la paix de Cateau-Cambrésis. Le roi, la reine et le prince de Navarre prirent, dans cette occasion, une revanche qui ne fut pas sans noblesse. C'est ce que rapporte l'historien de la Navarre, dans son récit à la fois naïf et fier. «A Bordeaux, le roi Antoine vint recevoir Madame Elisabeth, et peu de temps après la reine Jeanne et le prince de Navarre son fils. De Bordeaux ils traversèrent le reste de la Guienne et les terres du roi de Navarre, où elle fut reçue et traitée avec tout honneur et magnificence. En Guienne, le premier logis était marqué par le maréchal pour la reine d'Espagne; dès l'entrée de Béarn, celui du roi Antoine le fut le premier, et celui de la reine Elisabeth après; à celui d'Antoine était crayé: pour le roi, sans autre addition; à l'autre: pour la reine d'Espagne. Arrivés en la Haute-Navarre, le même fut pratiqué nonobstant toutes les rodomontades espagnoles, épouvantails de chenevière à l'endroit des Français. Car le Béarn étant principauté souveraine, les rois de France n'y avaient aucune supériorité en ce temps-là. En Navarre, quoiqu'injustement usurpée par les rois d'Espagne, Antoine en étant roi par droit légitime et successif, il emporta de haute lutte que les étiquettes des logis marqués fussent de même façon qu'en Béarn, même dans Roncevaux, où le premier logis fut marqué: pour le roi, sans addition, et le second: pour la reine d'Espagne.

      «Par le traité de mariage il avait nommément été stipulé que Madame Elisabeth serait délivrée aux Espagnols sur les frontières de France et d'Espagne, ce qui se pouvait faire, si elle eût pris le chemin du Languedoc, de Narbonne à Perpignan; mais par l'autre clef de France, qui est Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, où la rivière d'Andaye fait la séparation de la France et de la Navarre, dont Fontarabie est la première ville, et de même par le Béarn, qui marchise à la France, d'un côté, et à la Navarre, de l'autre, cela ne se pouvait accomplir. De sorte que cette délivrance se faisait infailliblement, non sur les frontières de France ni d'Espagne, mais sur celles de la Haute et de la Basse-Navarre. C'est pourquoi le roi Antoine demanda acte de cette délivrance sur ses terres, à ce qu'on ne voulût inférer à l'avenir que le Béarn et la Basse-Navarre fussent retenus


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