Henri IV en Gascogne (1553-1589). Charles de Batz-Trenquelléon
de l'Infantasgo D. Lopez de Mendoça, députés du roi d'Espagne pour recevoir la princesse, furent contraints de lui délivrer cet acte, et par celui-ci le reconnaître roi de Navarre, nonobstant toutes leurs exceptions dilatoires.
«Cet acte délivré ainsi que le roi Antoine l'avait fait dresser, le lieu où la reine Elisabeth devait être délivrée fut débattu durant cinq jours par les Espagnols. Car le roi de Navarre et la dite Elisabeth étaient logés à l'abbaye de Roncevaux, les Espagnols étaient à l'Espinal, deux heures au-dessus de Roncevaux. Ils voulaient que cette délivrance fût faite au Pignon, justement au milieu du chemin de l'Espinal à l'Abbaye, afin que chacun fît la moitié du chemin: néanmoins force leur fut de venir à Roncevaux.»
Tandis que les princes navarrais tenaient en échec l'arrogance castillane, la conspiration d'Amboise s'ourdissait dans l'ombre avec une ampleur et une activité qui forcent presque l'admiration en faveur de La Renaudie, son audacieux organisateur. Nous n'avons pas à raconter cette sanglante aventure. Il est probable que la plupart des conjurés croyaient marcher seulement à l'assaut du pouvoir excessif des Guises, mais que les chefs visaient plus haut. Le prince de Condé, frère puîné d'Antoine de Bourbon, fut soupçonné d'être le «capitaine muet» de cette prise d'armes. A demi justifié par sa fière attitude, puis soupçonné une seconde fois, après les revendications de l'assemblée des notables tenue à Fontainebleau, il finit par être emprisonné à Orléans, jugé et condamné à mort. Le roi de Navarre avait eu la générosité ou la faiblesse, peut-être l'une et l'autre, de se livrer aux accusateurs de son frère. Il pouvait d'autant mieux s'en dispenser qu'après la découverte de la conspiration, il avait, sur l'ordre du roi, réprimé avec vigueur, dans son gouvernement de Guienne, quelques mouvements tentés par les factieux. Il n'en fut pas moins traité en ennemi; mais, comme on ne pouvait relever contre lui les charges qui pesaient sur le prince de Condé, on se contentait de le garder à vue, et on hésitait, pour le faire disparaître, entre une exécution sommaire5 et une détention perpétuelle, lorsque la mort du roi de France modifia brusquement la situation. Condé recouvra la liberté, et Antoine fut revêtu du titre à peu près illusoire de lieutenant-général du royaume, tandis que les Guises, en gens avisés, affectaient un simulacre de retraite. Alors commença le gouvernement direct de Catherine de Médicis, déclarée régente, au détriment d'Antoine, pendant la minorité de Charles IX.
La reine-mère arrivait au pouvoir sous les plus défavorables auspices. La conjuration d'Amboise, les troubles qui l'avaient précédée ou suivie dans diverses provinces, la rigueur de la répression, les ressentiments des calvinistes, le procès du prince de Condé et, plus encore peut-être, la déclaration qui le déchargea, le 13 mars 1561, des accusations portées contre lui, enfin, les tergiversations qui caractérisèrent, dès le début, la politique de Catherine, tout faisait pressentir de longs et funestes déchirements. Les actes du triumvirat formé par le connétable de Montmorency, François de Guise et le maréchal de Saint-André, la naissance du «tiers-parti» que personnifia le chancelier Michel de l'Hospital, les assemblées ou colloques de Pontoise et de Poissy, où les discours déguisèrent mal les passions, semblèrent pourtant devoir aboutir à une sorte de paix. Ce fut l'édit de tolérance du 17 janvier 1562, qui proclamait, non l'entière liberté du culte, mais une liberté de conscience relative. Il ne sortit de cet essai, dicté par l'Hospital, qu'une surexcitation générale et un antagonisme plus manifeste entre les croyants, surtout entre les partisans des deux religions. De là, de nouveaux troubles en Bourgogne, en Provence, en Guienne et en Bretagne; les excès de Montluc dans le sud-ouest, égalés tout au moins par les violences du baron des Adrets dans le midi; puis la sanglante querelle de Vassy, les émeutes de Sens, de Cahors, de Toulouse, la surprise de Rouen par les huguenots; et, pour dernier coup aux espérances de paix, l'éclatante prise d'armes de Condé et de Coligny, au moment où le roi de Navarre achevait de se rapprocher des catholiques, dans les rangs desquels nous le retrouverons bientôt. Le récit de tous ces désordres, de ces révolutions successives ou simultanées, n'entre pas dans le cadre de notre sujet. Revenons au héros de cette histoire, qui ne tardera pas à nous ramener lui-même au milieu des discordes civiles et des combats.
CHAPITRE III
L'éducation du prince de Navarre. – Ses gouverneurs et son premier précepteur. – Le caractère et la méthode de La Gaucherie. – Maximes et sentences. – Le Coriolan français et le chevalier Bayard. – La première lettre connue de Henri. – Ses condisciples au collège de Navarre. – Le sentiment religieux du maître et de l'élève. – Pressentiments de La Gaucherie. – L'instruction militaire. – Le plus bel habit de Henri. – L'otage de Catherine de Médicis. – Le «petit Vendômet». – Choix d'une devise. – Les deux premiers amis du prince. – Mort de La Gaucherie.
En 1560, le prince de Navarre était entré dans sa septième année. Robuste, agile, pétillant d'esprit, mais ignorant, il fallut songer à greffer ce sauvageon royal. Tout d'abord, il passa des mains de la baronne de Miossens sous la direction d'un gouverneur. Charles de Beaumanoir-Lavardin, désigné pour remplir ces fonctions, dut bientôt, pour raison de santé, céder la place à Pons de La Caze, qui, à son tour, fut remplacé par le baron de Beauvais, que la mort seule, et une mort terrible, le jour de la Saint-Barthélemy, put séparer de son élève. Au gouverneur on adjoignit, bientôt après, un pédagogue. Le premier précepteur de Henri fut La Gaucherie, homme de mœurs pures, de grand sens, savant pour son époque, et dont la méthode, à la fois simple et sagace, ne serait pas à dédaigner de nos jours. La Gaucherie sut, avant tout, se faire aimer du jeune prince en devenant son ami. Quant à l'instruction, point de livres imposés, mais des livres désirés; des études courtes, des récréations courtes aussi, mais nombreuses et viriles, telles que le jeu de paume, où Henri excella de bonne heure et qu'il aima toute sa vie. Il apprit l'histoire et le latin comme par curiosité, à mesure que son intérêt s'éveillait sur un nom, un fait ou une idée, et il y puisa une admiration des grands caractères, des belles actions, des vertus qui ont glorifié l'humanité à toutes les époques. Le grec même ne lui fut pas étranger. Ses livres favoris étaient Plutarque, César et Tite-Live. Dans la préface latine des Œuvres de Polybe, Casaubon écrivait, après l'avènement de Henri IV, en s'adressant à son royal protecteur: «N'avez-vous pas, dans votre enfance, traduit les Commentaires de César en français? J'ai vu moi-même, oui, j'ai vu et feuilleté avec admiration le cahier contenant l'ouvrage très bien écrit de votre main…» Scaliger a fourni également son témoignage: «Il ne faudrait pas mal parler latin devant le roi: il s'en apercevrait fort bien». On a cité cent fois la devise favorite de Henri, composée, dit-on, par lui-même: Invia virtuti nulla est via. La Gaucherie lui avait dicté et fait commenter un grand nombre de maximes et de sentences parfaitement choisies. Duflos, dans son Education de Henri IV, nous en a conservé quelques-unes traduites ou imitées des anciens. Il semble, à lire celles-ci, que le grand Corneille n'en eût pas buriné d'autres pour le fils d'un des héros qu'il a fait revivre dans ses vers immortels:
«Heureux les rois qui ont des amis! Malheur à ceux qui n'ont que des favoris!»
«Il faut vaincre avec justice, ou mourir avec gloire.»
«Les rois ont sur leurs peuples une grande autorité; mais celle de Dieu sur les rois est bien plus grande encore.»
«Un héros croit n'avoir rien fait, quand il lui reste quelque chose à faire.»
«Les souverains, par leur puissance, ne se font que craindre et respecter: c'est la bienfaisance seule qui les fait aimer.»
«Le droit le plus flatteur de la royauté est de pouvoir faire du bien.»
«Le prince qui règne sur les plus vastes Etats, mais qui se laisse tyranniser par ses passions, n'est qu'un esclave couronné.»
«Par la clémence on imite la Divinité; par la vengeance on se met au-dessous de l'homme.»
«Un roi doit préférer la patrie à ses propres enfants.»
«Que devient la vertu qui n'a rien à souffrir?»
«Un roi que la prospérité rend orgueilleux est toujours lâche et faible dans l'adversité.»
«Un
5
Appendice: III.