Henri IV en Gascogne (1553-1589). Charles de Batz-Trenquelléon
les églises dont il s'étaient emparés. Exclus des charges publiques, comme précédemment, ils étaient amnistiés pour tous leurs actes antérieurs. Cet édit, œuvre ingénieuse du chancelier de l'Hospital, était considéré par les deux partis comme la préface d'une nouvelle politique, et Catherine eût bien voulu qu'il devînt la loi fondamentale de la paix définitive dont elle sentait le besoin.
Charles IX, en quittant Fontainebleau après un séjour de deux mois, se rendit à Sens, puis à Troyes, où il signa, le 11 avril 1564, avec l'Angleterre, un traité avantageux, par lequel furent atténuées quelques-unes des conséquences onéreuses de la paix de Cateau-Cambrésis. La cour fut retenue à Troyes par une chute du prince de Navarre. Catherine de Médicis écrivit à Jeanne d'Albret pour la rassurer sur les suites de cet accident et lui transmettre une invitation du roi. «Vous le trouverez (Henri) à votre contentement, disait-elle, car tous ceux qui le voient en sont bien contents, et le trouvent, comme il est, le plus joli enfant que l'on vît jamais. Je m'assure que vous ne le trouverez pas empiré en mes mains.» Jeanne joignit la cour à Lyon, et voyagea quelque temps avec elle; mais, arrivée dans le midi, la reine de Navarre, peu satisfaite de ce qu'elle voyait ou entendait, et d'ailleurs assez gravement atteinte dans sa santé, repartit pour ses Etats, en recommandant au jeune prince de visiter, sur son passage, tous les domaines de la couronne de Navarre. Suivant cet avis, il parcourut le comté de Foix, et séjourna à Pamiers et à Mazères, accompagné de ses gouverneurs et d'un nombreux cortège de gentilshommes.
Avant le séjour à Lyon, qui fut d'un mois, la cour avait visité Bar-le-Duc et la Lorraine, et Catherine, profitant du voisinage, avait entamé avec les princes allemands des négociations destinées, dans sa pensée, à les tenir à l'écart des mouvements calvinistes en France. Chassé de Lyon par la peste, Charles IX s'établit au château de Roussillon, en Dauphiné, d'où furent datés plusieurs actes de gouvernement et d'administration, tels que la destruction d'un grand nombre de citadelles élevées pendant la guerre civile, la fortification de diverses places, et la restriction, sur quelques points, des immunités accordées aux calvinistes par l'édit d'Amboise. Il reçut dans ce château la visite des ducs de Savoie et de Ferrare.
Après avoir visité le Dauphiné, surtout les contrées de cette province où la guerre civile avait laissé le plus de traces, le roi se rendit à Orange et à Avignon. Il donna audience, dans la ville pontificale, à un envoyé du Pape: le Saint-Siège et l'Italie sollicitaient, d'un commun accord, la cour de France de prendre contre l'hérésie des mesures sévères et décisives. Charles IX entrait et séjournait dans presque toutes les villes importantes. Il fut reçu à Aix, à Marseille, à Nîmes, à Montpellier, et il passa l'hiver à Carcassonne. Là, lui parvinrent les plaintes des calvinistes du Languedoc contre Damville-Montmorency, gouverneur de cette province, le même qui devait plus tard protéger et embrasser leur cause. En traversant la Provence, le prince de Navarre fut l'objet d'une curieuse prédiction du fameux Nostradamus. «Henri n'avait que dix à onze ans, rapporte P. de L'Estoile, et il était nommé prince de Navarre ou de Béarn, lorsqu'au retour du voyage de Bayonne, que le roi Charles IX fit en 1564, étant arrivé avec Sa Majesté à Salon du Crau, en Provence, où Nostradamus faisait sa demeure, celui-ci pria son gouverneur qu'il pût voir ce jeune prince. Le lendemain, le prince étant nu à son lever, dans le temps que l'on lui donnait sa chemise, Nostradamus fut introduit dans sa chambre; et, l'ayant contemplé assez longtemps, il dit au gouverneur qu'il aurait tout l'héritage. «Et si Dieu, ajouta-t-il, vous fait grâce de vivre jusque-là, vous aurez pour maître un roi de France et de Navarre.» Ce qui semblait lors incroyable est arrivé en nos jours: laquelle histoire prophétique le roi a depuis racontée fort souvent, même à la reine; y ajoutant par gausserie qu'à cause qu'on tardait trop à lui bailler la chemise, afin que Nostradamus pût le contempler à l'aise, il eut peur qu'on voulût lui donner le fouet.»
Le roi tint un lit de justice à Toulouse, le 1er février 1565, et séjourna longtemps dans cette ville. Il fit son entrée à Bordeaux le 9 avril, y tint un autre lit de justice et accorda aux Bordelais l'institution d'un tribunal consulaire semblable à celui de Paris. Les protestants de la Guienne profitèrent du passage de la cour pour se plaindre d'une ligue formée par le comte de Candale et favorisée par le maréchal de Bourdillon. Toute décision sur cette affaire fut ajournée: elle devait se lier, dans la pensée de la cour, aux entreprises de même nature que faisaient, en divers lieux, les catholiques, à l'imitation de l'association protestante. En passant à Mont-de-Marsan, Charles IX, dévoilant cette pensée, décida, en conseil, que toute prise d'armes non soumise à la volonté royale serait considérée comme un crime de lèse-majesté.
La cour, arrivée à Bayonne le 3 juin, s'y rencontra avec la reine Elisabeth, sœur de Charles IX, accompagnée du duc d'Albe. Philippe II avait accrédité ce personnage dominant pour influer sur les décisions qui pourraient être prises ou préparées dans l'entrevue des deux cours.
Les historiens se sont partagés en deux camps, au sujet de cette entrevue. Les calvinistes ont voulu y voir des négociations formelles tendant à l'extirpation violente de l'hérésie dans les Etats de France et d'Espagne, et qui auraient abouti à un traité secret, préliminaire de la Saint-Barthélemy. La plupart des écrivains catholiques des siècles précédents se sont élevés avec énergie contre cette interprétation; selon eux, les deux cours se rencontrèrent à Bayonne sans aucun but politique. Les mêmes divergences subsistent de nos jours, mais seulement chez les esprits voués aux thèses absolues. L'histoire digne de sa mission ne peut adopter ni l'ancienne version calviniste, ni la version contraire: des faits authentiques ont démenti celle-ci, et de celle-là les preuves manquent. Ajoutons que la vraisemblance témoigne contre l'une et l'autre.
La vérité, comme il arrive souvent, paraît être à égale distance des deux opinions extrêmes. L'entrevue de Bayonne ne pouvait être qu'essentiellement politique: il y fut question des vœux communs que faisaient les cours de France et d'Espagne pour la ruine ou l'abaissement d'un parti religieux et politique dont l'existence seule menaçait, à chaque instant, la paix dans les deux royaumes. Nul n'a vu le «traité secret», le «pacte de sang»; nul ne saurait mettre au jour un seul protocole, à plus forte raison, le texte d'un «projet arrêté»; mais il y eut certainement des velléités d'accord et de ligue, un échange de vues générales, de doléances et de paroles courroucées contre la Réforme: on n'a pas inventé les témoignages qui abondent sur ces divers points; François de la Noue, Pierre Mathieu, le duc de Nevers et de Thou sont dignes de foi quand ils les reproduisent, et tombent dans l'erreur seulement lorsqu'ils concluent. Le propos du duc d'Albe, entendu par le prince de Navarre, «qu'une tête de saumon vaut mieux que mille têtes de grenouilles», n'est qu'un propos, mais des plus caractéristiques. Il s'en tint bien d'autres de ce genre, on peut l'affirmer, et si, tous ensemble, ils ne suffisent pas pour inscrire une conjuration de plus dans l'histoire, pareillement ils démontrent l'inanité de la thèse qui refuse à l'entrevue de Bayonne tout caractère d'hostilité contre les protestants.
Le prince de Navarre, malgré son extrême jeunesse, ne passa pas inaperçu dans cette réunion des cours de France et d'Espagne. Jeanne était venue à Bordeaux visiter Charles IX et la reine-mère, et les prier de s'arrêter à Nérac, au retour de Bayonne. Elle avait pris des mesures pour que le prince de Navarre parût sur la frontière d'Espagne avec l'appareil qui convenait à son rang: il importait, selon elle, que l'héritier des débris du royaume de Navarre se montrât avec éclat, à côté du roi de France, devant les représentants de la nation ennemie. Une lettre de Henri, datée de Bazas, 8 mai 1565, porte les traces de cette maternelle et royale préoccupation: «Monsieur d'Espalungue, ayant délibéré de m'accompagner, au voyage de Bayonne, des plus notables et apparents gentilshommes que je pourrai aviser, je vous ai bien voulu avertir que, pour la bonne confiance que j'ai eue toute ma vie en vous, je vous ai choisi et élu pour me faire compagnie audit voyage».
Pendant les fêtes de Bayonne, qui durèrent dix-sept jours, le prince de Navarre, dit Favyn, «tint toujours son rang de premier prince du sang, magnifique en son train, splendide en son service, doux et agréable à tous, mais avec une telle majesté, qu'il était admiré des Français et redouté par les Espagnols, qui, en un âge si tendre de ce prince, jugeaient bien que cet aigle presserait, quelque jour, de ses serres leur lion, pour lui faire démordre son royaume de Navarre. C'est pourquoi le duc de Rio-Secco, ambassadeur