Henri IV en Gascogne (1553-1589). Charles de Batz-Trenquelléon
d'Albret et des gentilshommes béarnais dont elle avait formé le cortège de son fils; malheureusement, leur joie ne fut pas sans mélange: Charles IX, pour plaire à la reine sa sœur, consentit, en faveur de l'Espagne, au démembrement du diocèse de Bayonne, qui fut amoindri de tout le Guipuscoa.
La cour de France revint de Bayonne par Condom et Nérac. Jeanne d'Albret lui avait préparé une réception royale: il y eut quatre jours de gala11, pendant lesquels la reine de Navarre fut vivement sollicitée, mais en vain, de rentrer au giron de l'Eglise. Quelques historiens placent à cette époque sa hautaine réponse à Catherine de Médicis sur l'inflexibilité de ses nouvelles convictions religieuses. Elle dut, cependant, faire une importante concession. La liberté du culte catholique n'existait plus dans la capitale de l'Albret, et comme ce duché n'était pas un pays souverain, mais un fief, Jeanne, se rendant au vœu de Charles IX, leva son interdiction. Il fut convenu, en outre, que les magistrats municipaux seraient mi-partis, et Montluc, lieutenant-général en Guienne, reçut l'ordre de tenir la main à cet arrangement.
Après avoir quitté la Gascogne et la Guienne, Charles IX traversa Angoulême, Niort, Thouars, Angers, Tours, et il arriva à Blois à l'entrée de l'hiver. Il rapportait de ce long voyage beaucoup d'impressions pénibles et de souvenirs irritants. Frappé, de tous côtés, du spectacle des églises, des châteaux, des hameaux dévastés par les réformés, il en conçut contre eux, au rapport de Davila, une sorte d'aversion et de dégoût. Au mois de janvier 1566, la cour se rendit à Moulins, où le chancelier de l'Hospital avait convoqué, avec les personnages les plus considérables du royaume, les présidents de tous les parlements de France. Il s'agissait de réconcilier solennellement les Maisons de Guise et de Châtillon, de reviser l'édit d'Amboise, déjà modifié, et de discuter quelques projets de réforme judiciaire ou administrative préparés par le chancelier. La réconciliation eut lieu, et personne ne la tint pour sincère; les projets de réforme furent approuvés, en attendant que la guerre les rendît illusoires; quant à la révision de l'édit d'Amboise, elle occupa les esprits sans les apaiser.
Vers ce temps-là, Jeanne fut rappelée à la cour par diverses affaires, entre autres un procès qu'elle soutenait contre son beau-frère le cardinal de Bourbon, au sujet de ses domaines du Vendômois. Elle comprit bientôt, au premier aspect des choses, que la guerre allait sortir de tous les instruments de paix forgés sur le pupitre du chancelier. Elle avait laissé elle-même, dans ses Etats, des ferments de discorde qui lui inspiraient peu de confiance en l'avenir. D'un autre côté, le prince de Navarre touchait à un âge critique, et la cour des Valois n'était guère le lieu où se pût achever son éducation. Jeanne prit le parti de le ramener en Béarn. Ce fut presque un enlèvement, nécessité, il faut le dire, par la persistance de Catherine de Médicis à conserver son otage. Epiant le moment favorable, Jeanne, avec l'agrément de Charles IX, partit, accompagnée de son fils, pour ses domaines de Picardie, d'où elle passa dans le Vendômois, et de là en Anjou. De La Flèche, elle écrit au roi pour excuser son départ précipité, alléguant les troubles qui venaient d'éclater dans la Navarre; elle gagne le Poitou, traverse la Guienne et la Gascogne, et arrive à Pau. Son allégation au roi n'était que trop exacte: elle trouva une partie du Béarn soulevée, et il fallut, peu de temps après, recourir aux armes pour avoir raison de ces nouveaux désordres, provoqués, comme les précédents, par les dissensions religieuses.
CHAPITRE V
La popularité du prince de Navarre. – Florent Chrestien. – L'éducation littéraire, militaire et politique. – Voyage de Henri dans les Etats de sa mère. – Son séjour à Bordeaux. – Reprise des hostilités entre les protestants et la cour. – La tentative de Meaux. – Bataille de Saint-Denis. – Paix de Lonjumeau. – Le geôlier politique et militaire de Jeanne d'Albret. – Henri réclame vainement le gouvernement effectif de Guienne. – Autres griefs des réformés. – Projet d'arrestation de Condé, de Coligny et de plusieurs autres chefs calvinistes. – Ils se sauvent à La Rochelle. – Retraite du chancelier de l'Hospital. – Boutade du prince de Navarre contre le cardinal de Lorraine. – Jeanne quitte ses Etats, malgré Montluc, et se retire à La Rochelle avec ses enfants. – Ses lettres à la cour de France et à la reine d'Angleterre. – L'organisation militaire du parti calviniste. – La première armure de Henri. – Essai de pacification. – Edit de Saint-Maur contre les protestants. – Les forces des calvinistes et leurs succès.
Le retour du prince de Navarre dans son pays natal fut un événement pour le petit royaume: les visites et les députations se succédèrent longtemps au château; mais ce fut surtout le pays de Coarraze qui afflua autour du donjon de Gaston-Phœbus. Duflos raconte qu'un beau jour, tous les habitants de ce coin de terre, endimanchés, les mains pleines de fleurs, de galettes et de fromages, se mirent en route pour aller voir «lou nousté Henric». Ils traversent Pau, soulevé de joie et de curiosité sur leur passage, abordent le château et font tumultueusement irruption dans la cour d'honneur. Henri et sa mère paraissent au milieu d'eux, salués de vivats tels qu'en savent faire retentir les robustes poumons des montagnards pyrénéens. Il y eut des harangues et des embrassades, des attendrissements et des enthousiasmes indescriptibles, le tout couronné par un banquet homérique. C'était la popularité du Béarnais qui commençait: elle devait aller grandissant jusqu'à l'heure de l'immortalité.
Après les joies du retour, le prince de Navarre se remit à l'étude, sous l'œil vigilant de sa mère. Il avait perdu son précepteur La Gaucherie, à qui venait de succéder Florent Chrestien, bien digne d'achever l'œuvre de son devancier. C'était un homme docte, de bonnes mœurs, mais d'un esprit plus vif que La Gaucherie. Il passe pour avoir formé le goût littéraire de son élève, ce qui est croyable, car Florent Chrestien était un écrivain de talent: on lui attribue une part considérable de collaboration dans cette fameuse Satire Ménippée qui aida puissamment Henri IV à conquérir la population parisienne. Mais, sans abandonner les livres, Henri dut porter son attention sur d'autres objets. Son gouverneur militaire, le baron de Beauvais, ne le laissait pas chômer d'exercices virils et d'études pratiques; Florent Chrestien le nourrissait de bonne littérature; Jeanne d'Albret voulut contribuer à cet apprentissage par une sorte de lieutenance du royaume, dont elle l'investit. Il écrivit des lettres d'affaires, donna des audiences, représenta la reine partout où elle jugeait qu'une délégation de son pouvoir n'offrait pas d'inconvénients. Il fit même son début sous les armes, un semblant de première campagne, à l'occasion des troubles d'Oloron, en 1567. Jeanne d'Albret l'envoya contre les rebelles, pour les ramener à la soumission par sa présence, ou, au besoin, pour les combattre. Il s'acquitta de cette mission avec un plein succès. A l'approche de ce généralissime de treize ans, les révoltés se retirèrent dans les montagnes; mais quelques-uns étant tombés au pouvoir du prince, il les employa comme négociateurs, les chargeant de dire à leurs compagnons que, s'ils voulaient recourir à la clémence de la reine, ils n'auraient pas sujet de s'en repentir. Ils suivirent ce conseil et mirent bas les armes. Quelques exemples furent faits, mais la modération l'emporta dans les conseils de la reine.
Jeanne d'Albret, recherchant toutes les occasions de donner un but à l'activité déjà exubérante de son fils et de compléter son éducation politique, lui traça l'itinéraire d'un grand voyage à travers ses Etats et dans le gouvernement de Guienne, dont il était investi, quoique le véritable gouverneur de cette province fût le maréchal Blaise de Montluc.
Le voyage eut lieu en 1567. Henri partit de Pau, accompagné de Florent Chrestien, du baron de Beauvais et d'une suite digne de son rang. Quelques souvenirs de ce voyage nous ont été conservés par Duflos, qui s'est aidé des Mémoires de Nevers, de relations manuscrites et des traditions locales. Le prince y fit un bon apprentissage de patience et de diplomatie. Il dut parler souvent, et plus souvent écouter. Parfois il se trouva dans une situation difficile. L'Éducation de Henri IV rapporte que, dans une petite ville de Guienne, où il n'y avait guère que des calvinistes, Henri prit part à un banquet dont les vins généreux délièrent les langues au point de les faire toutes médire du roi et de la cour de France. Le prince invite les convives à plus de réserve; les propos continuent; il proteste formellement et sort, ne voulant pas paraître complice.
A Lectoure, un
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Appendice: VI.