Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6 - Aubenas Joseph-Adolphe


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      Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6/6

      PRÉFACE

      La mort de M. Walckenaer avait interrompu la suite des Mémoires touchant la vie et les écrits de M de Sévigné, au grand regret du public qui a su apprécier le mérite de cette œuvre historique si consciencieuse, si intéressante, et qui nous introduit auprès de Mme de Sévigné dans ce grand siècle où cette femme illustre occupe dans le genre épistolaire le même rang que Corneille dans la tragédie, Molière dans la comédie et La Fontaine dans l'apologue.

      M. Monmerqué était, par ses études spéciales, appelé à continuer cette œuvre si bien commencée; mais tout occupé d'une nouvelle et grande édition des Lettres de Mme de Sévigné, il ne put accepter cette tâche que son ami lui léguait, et la mort qui vint aussi bientôt le frapper l'aurait laissé inachevée.

      M. Aubenas, qui s'était fait connaître dès 1842 par une Histoire de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, suivie d'une Notice historique sur Madame de Grignan, voulut bien se charger de cette continuation; une longue maladie, puis sa nomination aux fonctions de procureur général à Pondichery l'ont forcé d'interrompre son travail, après toutefois avoir achevé le VIe volume, qui s'arrête à l'année 1680.

      M. Aubenas, se conformant au plan adopté par M. Walckenaer, s'est efforcé, tout en s'astreignant à la plus grande exactitude, à donner à ses appréciations historiques et littéraires, ce tour élégant qui rend si attachante la lecture de l'ouvrage de M. Walckenaer.

      La continuation de ces Mémoires jusqu'à la mort de Mme de Sévigné, en 1694, sera publiée avec le concours d'un ami de MM. Walckenaer et Monmerqué, et qui, comme eux, s'est voué à l'étude et au culte de Mme de Sévigné.

A. F. D.

      CHAPITRE PREMIER

      1676

      Madame de Sévigné revient de Bretagne à Paris; accueil qui lui est fait. – Sa guérison marche lentement. – Elle trouve Paris tout occupé des préparatifs de la nouvelle guerre. – Elle repleure Turenne avec le chevalier de Grignan. – Retour sur cette perte. – Madame de Sévigné est le plus complet historien de cette grande mort. – Ses divers récits; ses appréciations du caractère et des vertus du héros. – Turenne l'honorait de son amitié; elle reste l'amie de sa famille. – Madame de Sévigné assiste à ses obsèques à Saint-Denis et console le cardinal de Bouillon. – Effet produit par la mort de Turenne; consternation en France; mouvement offensif des coalisés. – L'armée française repasse le Rhin. – Belle conduite du chevalier de Grignan à Altenheim. – Défaite du maréchal de Créqui; M. de La Trousse, cousin de madame de Sévigné, est fait prisonnier. – Louis XIV cherche à relever l'esprit public. – Condé est envoyé pour remplacer Turenne et arrêter les Impériaux. – Patriotisme de madame de Sévigné. – Le coadjuteur d'Arles harangue le roi au nom du clergé; le roi lui adresse des félicitations. – Leçon donnée par Louis XIV aux courtisans qui veulent dissimuler nos échecs. – Il admirait Turenne, mais l'aimait peu. – Turenne haï par Louvois. – Louis XIV et son ministre se préparent à prouver que l'on peut sans Turenne et Condé remporter des victoires.

      A son retour des Rochers à Paris, dans les premiers jours d'avril 1676, madame de Sévigné reçut un accueil plus affectueux encore que par le passé, de ses nombreux amis, qui, l'ayant sue gravement malade en Bretagne, avaient craint de la perdre. Malgré son désir de courir aux nouvelles pour les mander à sa fille, elle se résigna, sur l'ordonnance des médecins, à garder encore la chambre, et elle y resta huit jours «à faire l'entendue1.» Pendant ce temps, ce fut chez elle une véritable assemblée. Chacun venait la féliciter et se féliciter de sa convalescence. Faisant la part de sa curiosité bien connue, et par tous comprise et pardonnée, on la mettait à l'envi au courant de ce qui s'était passé pendant son absence; on lui redonnait tous ces mille petits riens, alors l'existence de la ville et de la cour, détails qui importent à l'histoire des mœurs et de la société, et que l'illustre épistolaire a recueillis avec un soin de chaque jour pour le charme de la postérité, en ne songeant qu'à l'amusement de sa fille. Madame de Sévigné se loue auprès de celle-ci de l'empressement et des soins dont elle est l'objet. Mais c'est surtout aux amies de madame de Grignan qu'elle rend meilleure et plus facile justice: «Vos amies, lui mande-t-elle, vous ont fait leur cour par les soins qu'elles ont eus de moi2

      Madame de Sévigné avait été si rudement éprouvée qu'elle eut de la peine à se rétablir entièrement. De son rhumatisme articulaire il lui était resté une enflure des mains et une roideur surtout dans les mouvements de la main droite qui pendant quelque temps encore lui rendirent l'écriture excessivement pénible. Se figure-t-on bien madame de Sévigné ne pouvant tenir une plume, et surtout ne pouvant écrire à sa fille! Son fils, son cousin Coulanges, le fidèle Corbinelli, comme l'avait fait une jeune voisine des Rochers, qu'elle avait pour cela affectionnée dans ce dernier voyage, s'empressent «de soulager cette main tremblante3.» Mais elle est gênée, dit-elle, pour dicter, elle habituée à laisser galoper sa plume la bride sur le cou.

      Sauf cette incommodité des mains, toutefois, la santé de madame de Sévigné s'améliorait de jour en jour. C'est ce qu'elle répète sur tous les tons et par chaque courrier à sa fille, prenant à tâche de la convaincre de sa prudence et de sa docilité. Ces assurances et ces précautions indiquent combien avaient été vives les craintes de madame de Grignan, et combien tendres étaient ses recommandations. Son malheureux caractère, si peu ouvert, si dénué d'entrain et de spontanéité, n'ôtait rien à la profonde tendresse qu'elle nourrissait pour sa mère. Les grands sentiments, les droites affections étaient en elle. Elle manquait seulement de cette cordialité toujours prête, de cette communication de soi naïve et franche, qui forment la douceur des rapports sociaux et le charme de la vie de famille, et que madame de Sévigné possédait à un si haut degré.

      Madame de Grignan n'avait point encore vu sa mère malade à ne pouvoir écrire: son effroi et sa douleur, en ne recevant plus de cette écriture si connue et tant aimée, furent extrêmes. Elle était grosse de huit mois; on peut croire que cette agitation fut cause de son accouchement prématuré d'un enfant qui, malgré tous les soins, ne vécut pas. «Je crains, lui dit sa mère, qu'une si grande émotion n'ait contribué à votre accouchement. Je vous connois; vos inquiétudes m'en donnent beaucoup… J'ai vu M. Périer, qui m'a conté comme vous apprîtes, en jouant, la nouvelle de mon rhumatisme, et comme vous en fûtes touchée jusqu'aux larmes. Le moyen de retenir les miennes quand je vois des marques si naturelles de votre tendresse? mon cœur en est ému, et je ne puis vous représenter ce que je sens. Vous mîtes toute la ville dans la nécessité de souhaiter ma santé, par la tristesse que la vôtre répandoit partout. Peut-on jamais trop aimer une fille comme vous, dont on est aimée? Je crois aussi, pour vous dire le vrai, que je ne suis pas ingrate; du moins je vous avoue que je ne connois nul degré de tendresse au delà de celle que j'ai pour vous4.» Il n'est pas inutile, pour la réputation de madame de Grignan, dont on a été jusqu'à nier l'affection filiale, de reproduire de pareilles attestations: on y voit bien aussi ce naïf égoïsme de l'amour maternel, poussé jusqu'à la passion, et qui, comme l'autre amour, se plaît à lire dans les souffrances de l'objet aimé, la certitude d'une mutuelle tendresse.

      Tous les secours de la science d'alors, qu'elle retrouva en revenant à Paris, ne purent achever la guérison de madame de Sévigné, et on lui prescrivit d'aller aux eaux de Bourbon ou de Vichy, qui seules, disait-on, devaient lui redonner l'usage tant souhaité de ses mains. Non-seulement cette maladie était la première, mais elle fut la seule que madame de Sévigné eût à subir jusqu'à celle qui termina sa vie; aussi, pendant quelques mois, sa correspondance est, en grande partie, consacrée à ce sujet, qui tient tant au cœur de sa fille, et sur lequel elle ne s'étend que pour lui complaire: comme tout ce qu'elle écrit, cela est dit avec un agrément qu'elle seule peut apporter en une semblable matière.

      … «Elle a perdu la jolie chimère de se croire immortelle; elle commence présentement à se douter de quelque chose, et se trouve humiliée jusqu'au point d'imaginer qu'elle pourroit bien, un jour, passer dans la barque comme les autres, et que Caron ne


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<p>1</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 avril 1676), t. IV, p. 243, édition de M. Monmerqué.

<p>2</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (22 avril 1676), t. IV, p. 267, éd. Monmerqué.

<p>3</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 245.

<p>4</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t IV, p. 248 et 270.