La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac


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le combat violent qui lui déchirait le cœur lui parut avoir une réaction horrible, elle envoya chercher le médecin; mais en même temps, elle fit remettre chez La Palférine la lettre suivante, où elle se vengea de Calyste avec une sorte de rage.

      «Mon ami, venez me voir, je suis au désespoir. Antoine vous a renvoyé quand votre arrivée eût mis fin à l'un des plus horribles cauchemars de ma vie en me délivrant d'un homme que je hais, et que je ne reverrai plus jamais, je l'espère. Je n'aime que vous au monde, et je n'aimerai plus que vous, quoique j'aie le malheur de ne pas vous plaire autant que je le voudrais…»

      Elle écrivit quatre pages qui, commençant ainsi, finissaient par une exaltation beaucoup trop poétique pour être typographiée, mais où Béatrix se compromettait tant qu'elle la termina par: «Suis-je assez à ta merci? Ah! rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé.» Et elle signa, ce qu'elle n'avait jamais fait ni pour Calyste ni pour Conti.

      Le lendemain, à l'heure où le jeune comte vint chez la marquise, elle était au bain; Antoine le pria d'attendre. A son tour, il fit renvoyer Calyste, qui, tout affamé d'amour, vint de bonne heure, et qu'il regarda par la fenêtre au moment où il remontait en voiture désespéré.

      – Ah! Charles, dit la marquise en entrant dans son salon, vous m'avez perdue!..

      – Je le sais bien, madame, répondit tranquillement La Palférine. Vous m'avez juré que vous n'aimiez que moi, vous m'avez offert de me donner une lettre dans laquelle vous écririez les motifs que vous auriez de vous tuer, afin qu'en cas d'infidélité je pusse vous empoisonner sans avoir rien à craindre de la justice humaine, comme si des gens supérieurs avaient besoin de recourir au poison pour se venger. Vous m'avez écrit: Rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé!… Eh! bien, je trouve une contradiction dans ce mot: Vous m'avez perdue! avec cette fin de lettre… Je saurai maintenant si vous avez eu le courage de rompre avec du Guénic…

      – Eh bien! tu t'es vengé de lui par avance, dit-elle en lui sautant au cou. Et, de cette affaire-là, toi et moi nous sommes liés à jamais…

      – Madame, répondit froidement le prince de la Bohême, si vous me voulez pour ami, j'y consens; mais à des conditions…

      – Des conditions?

      – Oui, des conditions que voici. Vous vous réconcilierez avec monsieur de Rochefide, vous recouvrerez les honneurs de votre position, vous reviendrez dans votre bel hôtel de la rue d'Anjou, vous y serez une des reines de Paris: vous le pourrez en faisant jouer à Rochefide un rôle politique et en mettant dans votre conduite l'habileté, la persistance que madame d'Espard a déployée. Voilà la situation dans laquelle doit être une femme à qui je fais l'honneur de me donner…

      – Mais vous oubliez que le consentement de monsieur de Rochefide est nécessaire.

      – Oh! chère enfant! répondit La Palférine, nous vous l'avons préparé, je lui ai engagé ma foi de gentilhomme que vous valiez toutes les Schontz du quartier Saint-Georges, et vous me devez compte de mon honneur…

      Pendant huit jours, tous les jours, Calyste alla chez Béatrix dont la porte lui fut refusée par Antoine, qui prenait une figure de circonstance pour dire: «Madame la marquise est dangereusement malade.» De là, Calyste courait chez La Palférine dont le valet de chambre répondait: «Monsieur le comte est à la chasse!» Chaque fois le Breton laissait une lettre pour La Palférine.

      Le neuvième jour Calyste, assigné par un mot de La Palférine pour une explication, le trouva, mais en compagnie de Maxime de Trailles, à qui le jeune roué voulait donner sans doute une preuve de son savoir-faire en le rendant témoin de cette scène.

      – Monsieur le baron, dit tranquillement Charles-Édouard, voici les six lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, elles sont saines et entières, elles n'ont pas été décachetées, je savais d'avance ce qu'elles pouvaient contenir en apprenant que vous me cherchiez partout, depuis le jour que je vous ai regardé par la fenêtre quand vous étiez à la porte d'une maison où la veille j'étais à la porte quand vous étiez à la fenêtre. J'ai pensé que je devais ignorer des provocations malséantes. Entre nous, vous avez trop de bon goût pour en vouloir à une femme de ce qu'elle ne vous aime plus. C'est un mauvais moyen de la reconquérir que de chercher querelle au préféré. Mais, dans la circonstance actuelle, vos lettres étaient entachées d'un vice radical, d'une nullité, comme disent les avoués. Vous avez trop de bon sens pour en vouloir à un mari de reprendre sa femme. Monsieur de Rochefide a senti que la situation de la marquise était sans dignité. Vous ne trouverez plus madame de Rochefide rue de Chartres, mais bien à l'hôtel de Rochefide, dans six mois, l'hiver prochain. Vous vous êtes jeté fort étourdiment au milieu d'un raccommodement entre époux que vous avez provoqué vous-même en ne sauvant pas à madame de Rochefide l'humiliation qu'elle a subie aux Italiens. En sortant de là, Béatrix, à qui j'avais porté déjà quelques propositions amicales de la part de son mari, me prit dans sa voiture et son premier mot fut alors: – Allez chercher Arthur!..

      – Oh! mon Dieu!.. s'écria Calyste, elle avait raison, j'avais manqué de dévouement.

      – Malheureusement, monsieur, ce pauvre Arthur vivait avec une de ces femmes atroces, la Schontz, qui, depuis longtemps, se voyait d'heure en heure sur le point d'être quittée. Madame Schontz, qui, sur la foi du teint de Béatrix, nourrissait le désir de se voir un jour marquise de Rochefide, est devenue enragée en trouvant ses châteaux en Espagne à terre, elle a voulu se venger d'un seul coup de la femme et du mari! Ces femmes-là, monsieur, se crèvent un œil pour en crever deux à leur ennemi; la Schontz, qui vient de quitter Paris, en a crevé six!.. Et si j'avais eu l'imprudence d'aimer Béatrix, cette Schontz en aurait crevé huit. Vous devez vous être aperçu que vous avez besoin d'un oculiste…

      Maxime ne put s'empêcher de sourire au changement de figure de Calyste qui devint pâle en ouvrant alors les yeux sur sa situation.

      – Croiriez-vous, monsieur le baron, que cette ignoble femme a donné sa main à l'homme qui lui a fourni les moyens de se venger?.. Oh! les femmes!.. Vous comprenez maintenant pourquoi Béatrix s'est renfermée avec Arthur pour quelques mois à Nogent-sur-Marne où ils ont une délicieuse petite maison, ils y recouvreront la vue. Pendant ce séjour, on va remettre à neuf leur hôtel où la marquise veut déployer une splendeur princière. Quand on aime sincèrement une femme si noble, si grande, si gracieuse, victime de l'amour conjugal au moment où elle a le courage de revenir à ses devoirs, le rôle de ceux qui l'adorent comme vous l'adorez, qui l'admirent comme je l'admire, est de rester ses amis quand on ne peut plus être que cela… Vous voudrez bien m'excuser si j'ai cru devoir prendre monsieur le comte de Trailles pour témoin de cette explication; mais je tenais beaucoup à être net en tout ceci. Quant à moi, je veux surtout vous dire que si j'admire madame de Rochefide comme intelligence, elle me déplaît souverainement comme femme.

      – Voilà donc comment finissent nos plus beaux rêves, nos amours célestes! dit Calyste abasourdi par tant de révélations et de désillusionnements.

      – En queue de poisson, s'écria Maxime. Je ne connais pas de premier amour qui ne se termine bêtement. Ah! monsieur le baron, tout ce que l'homme a de céleste ne trouve d'aliment que dans le ciel!.. Voilà ce qui nous donne raison à nous autres roués. Moi, j'ai beaucoup creusé cette question-là, monsieur; et, vous le voyez, je suis marié d'hier, je serai fidèle à ma femme, et je vous engage à revenir à madame du Guénic… dans trois mois. Ne regrettez pas Béatrix, c'est le modèle de ces natures vaniteuses, sans énergie, coquettes par gloriole, c'est madame d'Espard sans sa politique profonde, la femme sans cœur et sans tête, étourdie dans le mal. Madame de Rochefide n'aime qu'elle; elle vous aurait brouillé sans retour avec madame du Guénic, et vous eût planté là sans remords; enfin, c'est incomplet pour le vice comme pour la vertu.

      – Je ne suis pas de ton avis, Maxime, dit La Palférine, elle sera la plus délicieuse maîtresse de maison de Paris.

      Calyste ne sortit pas sans avoir échangé des poignées de main avec Charles-Édouard et Maxime de Trailles, en les remerciant de ce qu'ils l'avaient opéré de ses illusions.

      Trois jours après la duchesse de Grandlieu,


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