Madame Putiphar, vol 1 e 2. Petrus Borel

Madame Putiphar, vol 1 e 2 - Petrus  Borel


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il communiqua cette lettre à ses camarades intimes, disant à chacun qu’il l’honoroit seul de cette confidence, et qu’il eût ainsi à en garder le secret. Mais, comme lui, touts avoient des confidents, et ces confidents en avoient touts d’autres; si bien qu’en peu de jours ce secret devint, au régiment, le sujet général de la conversation, et parvint aux oreilles de Patrick, qui en fut navré de douleur.

      A la pension des sous-officiers, au dîner, devant touts ses compagnons, il ne put se défendre d’adresser de vifs reproches à Fitz-Harris.

      – Que vous ai-je donc fait, lui dit-il, pour avoir mérité tant de haine ou si peu d’égard? Moi, votre compatriote, moi, votre ami, vous m’avez traité bien méchamment! Ce n’est pas à ces messieurs que vous eussiez dû faire connoître premièrement la lettre que vous avez reçue d’Irlande, c’étoit à moi. Vous eussiez dû mettre au moins plus de circonspection, et ne point vous en rapporter si témérairement au dit-on d’une correspondance. Le fait est-il controuvé, le fait est-il faux? vous l’ignorez. Je dois à la vérité de vous dire, messieurs, qu’il ne l’est pas. Mais il est une chose que vous n’ignoriez point, vous, mon ami, vous, introduit dans mon intimité… Ici, messieurs, pour me laver de l’infâme condamnation qui pèse sur moi, il faudroit que je vous fisse des révélations que l’honneur me défend et me défendra toujours de faire. Il doit être suffisant de vous dire pour vous faire sentir toute l’énormité de ce jugement, que la femme qu’on m’accuse d’avoir assassinée et volée, miss Déborah, comtesse de Cockermouth-Castle, est ma bien-aimée et mon épouse. – La plupart de vous, messieurs, l’ont vue à mon bras.

      Je sais que pour le meurtrier il n’est pas de pitié; je sais que rien n’excite plus notre dépit et notre indignation, que les déceptions d’estime; quand nous sommes désabusés sur le compte d’un homme que nous honorions et que nous cultivions comme vertueux, je sais combien est grande notre colère; je sais que notre devoir est de le démasquer et d’appeler sur lui la réprobation: mais, Fitz-Harris, vous n’avez pu douter un seul instant de moi; vous n’avez pu et vous ne pouvez me croire criminel, non, cela est impossible! Vous à qui mon cœur étoit ouvert comme un livre, quelque effort que vous fassiez pour vous aveugler, pour étouffer la voix qui dans le fond de votre conscience, vous crie que je suis pur et juste! – Je croyois à votre amitié, Fitz-Harris!

      – Messieurs, que pensez-vous de cette complainte? s’écria alors Fitz-Harris d’un air moqueur.

      – Messieurs, que pensez-vous de cette perfidie?.. Harris, je vous accuse de trahison!

      – N’avez-vous pas une épée, Patrick?

      – Messieurs, ceci est un cri de sa conscience: on provoque en duel qui on estime pour son égal, et non point un homme d’opprobre digne de l’échafaud qui le réclame, un assassin!

      Je ne me venge pas avec le fer, Fitz-Harris!

      – Vous vous battrez!

      – Je ne me bats pas.

      – Alors vous m’égorgerez au détour d’une rue.

      – Je ne me venge pas avec le fer.

      – D’une heure à autre, Fitz-Harris, l’estime et l’amitié que je porte à un homme ne se détruisent pas: mon amitié se fonde sur de l’estime, mon estime sur de nobles qualités, et les nobles qualités, vous le savez, ne sont ni passagères ni volages. Parce qu’un ami dans un moment d’erreur m’a blessé, cet ami n’est pas moins, en dehors de cette faute toute personnelle, avant comme après, à mes yeux comme aux yeux de touts, un galant homme, rempli de bons sentiments et digne d’être estimé. L’amour et l’amitié ont un flux et reflux de peines et de plaisirs, de maléfices et de bénéfices: j’aurois le plus profond mépris pour moi-même, si mon amour ou si mon amitié croissoit et décroissoit suivant ce flux et ce reflux, s’ils n’étoient pas, une fois donnés, inaltérables.

      Fitz-Harris, déconcerté, ne répliqua pas à ces dernières paroles; il se fit seulement quelques chuchotements indécents autour de la table.

      Le bruit se répandit bientôt dans la caserne, et Fitz-Harris contribua de touts ses efforts à l’accréditer, que Patrick avoit refusé de se battre, que Patrick étoit un lâche qu’il étoit impossible de faire aller sur le terrain. Non content d’en faire un poltron, on en fit un sot: la scène du dîner fut falsifiée et ridiculisée et devint un thême de dérision.

      XVII

      Le marquis de Gave de Villepastour étoit fort inconstant dans ses goûts satisfaits, mais très-fidèle à ses désirs. Quelques jours après la messe de Saint-Germain-des-Prés, résolu à faire une nouvelle algarade, et sans autres justes motifs, ayant condamné Fitz-Whyte aux arrêts, il s’enveloppa d’un manteau qui le déguisoit parfaitement, et vint à l’hôtel Saint-Papoul, sonner à la porte de lady Déborah.

      Elle attendoit Patrick, elle ouvrit précipitamment.

      – M. Mac-Whyte, s’il vous plaît? dit-il en contrefaisant sa voix.

      – Il est absent, monsieur, mais il ne tardera pas à rentrer.

      – En ce cas, veuillez me permettre de l’attendre, j’ai grand besoin de le voir et de lui parler.

      – Entrez, monsieur.

      A peine la porte refermée sur lui, M. de Villepastour, faisant l’agréable, s’écria: – Ma belle miss, vous avez introduit le loup dans la bergerie; il n’est plus besoin de houlette ni de hoqueton! – Et, rejetant au loin son chapeau et son manteau, il se montra comme la première fois, dans son brillant costume vert-naissant.

      A cette vue, Déborah poussa un cri de frayeur, et s’enfuit au fond de son appartement: il l’y suivit, et se jeta à ses genoux.

      – Par votre petite babouche que j’embrasse, et votre joli pied qui l’habite, et pour lequel je donnerois touts les trônes et touts les sceptres des rois, ne me fuyez pas, mademoiselle! Ne craignez rien, vous êtes avec moi en noble et sûre compagnie. J’aimerois mieux perdre la vie à l’instant que vous causer la moindre douleur. Ne vous offensez pas de la ruse que j’ai employée pour pénétrer auprès de vous; je sais bien tout ce que ma conduite a d’effronté et d’indélicat; mais quand la passion commande, quand la raison est foulée aux pieds, pourroit-on écouter la froide bienséance? Je languissois; il falloit que je vous visse, que j’entendisse votre voix; que je m’enivrasse de vos émanations, car vous êtes une fleur de beauté, cruelle miss, une tulipe emplie de nectar: heureux les frelons qui boivent à votre calice!.. Hélas! où m’entraîne mon délire?.. Hélas! hélas! je suis fou, fou d’amour…

      Non, M. de Villepastour n’étoit ni délirant ni fou; il jouoit seulement la comédie avec assez d’adresse. Il n’avoit pas le plus léger sentiment pour Déborah, son âme étoit froide, sa tête brûlante. Son pouls battoit, les désirs sensuels l’entraînoient: l’ardeur de la volupté l’animoit; il caressoit en imagination un corps admirable, que ses regards de faune devinoient; toute sa pensée étoit là; étreindre ce beau corps, labourer de baisers ces charmes nus.

      L’innocente Déborah, trompée par ces faux-semblants, fut émue un instant, la force lui manqua pour repousser durement un beau jeune homme qui lui paroissoit plus malheureux que coupable. Quelle que soit la candeur d’une femme elle ne peut se défendre d’un secret orgueil lorsqu’un amoureux courbé à ses pieds lui révèle la puissance de sa beauté.

      – Relevez-vous, monsieur, lui dit-elle alors avec un accent d’émotion; elle étoit si troublée qu’elle ne put en ajouter d’avantage.

      – Qui relève, pardonne. Oh! vous me pardonnez. Oh! vous êtes bonne, comme vous êtes belle! Tant d’attraits, tant de perfections ne sauroient recéler une âme inhumaine. Oh! je vous remercie; laissez que je vous baise les mains! J’avois par l’excès de ma flamme mérité tout votre courroux; mais vous avez daigné comprendre, vous êtes si bonne, que la faute en est à vos charmes séducteurs, et qu’il seroit mal de punir en moi un tort qui procède de vous.

      – Si


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