Madame Putiphar, vol 1 e 2. Petrus Borel

Madame Putiphar, vol 1 e 2 - Petrus  Borel


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lis, en effet, dans le no 40 des Révolutions3, page 34, une lettre d’un certain Macdonagh, gentilhomme irlandois, capitaine, lequel se plaint d’avoir été persécuté, offensé par son colonel, mis en prison, non pas à la Bastille, mais dans la tour des îles de Sainte-Marguerite, absolument comme dans Madame Putiphar Petrus Borel nous montre l’Irlandais Patrick offensé par son colonel, persécuté et jeté dans un cul-de-basse-fosse. Même caractère et même aventure. Le colonel enlève la femme qui s’appelle Déborah dans le roman, Rose Plunkett dans l’histoire.

      La lettre de Macdonagh à Desmoulins est datée du 15 Juillet 1790. L’auteur raconte comment Rose Plunkett, qu’il a épousée en Irlande et qu’on lui a enlevée pendant qu’il était dans le cachot de l’Homme au Masque de Fer, est aujourd’hui la femme du marquis de Carondelet. Aussitôt, le Marquis d’écrire à Camille: «Monsieur, quelle a été ma surprise de voir dans votre journal une lettre signée Macdonagh, contenant une histoire infâme sur ma femme, dont il n’y a pas un mot de vrai! A peine cet homme l’a-t-il vue au travers des grilles d’un couvent, etc., etc.» A cela, Desmoulins répond qu’il ne regrette pas d’avoir publié la lettre de l’Irlandais, que la publicité est la sauvegarde du peuple et des honnêtes gens. «La dénonciation, dit-il, si elle est vraie, démasque des fripons; et si elle est fausse, un calomniateur; dans tous les cas, elle tourne ainsi au profit de la société, sans faire de tort à son client, car quel mal vous fait une imposture dont il vous est si facile de confondre l’auteur et de lui en faire porter la peine?»

      Il y avait eu grand bruit à la suite de la lettre de Macdonagh, et le marquis de Carondelet, chevalier de Saint-Louis avait adressé aussitôt contre «l’intrigant» une requête à Messieurs de l’Assemblée nationale, au roi, à ses ministres, à tous les tribunaux du royaume: «C’est un scélérat qui file sa corde», y était-il dit en parlant de Macdonagh. A cela Macdonagh répond par une visite à Camille Desmoulins et lui conte l’affaire qui est atroce, dit l’auteur des Révolutions de France et de Brabant, Macdonagh a épousé Rose Plunkett qui, après lui avoir vainement offert une somme d’argent pour obtenir son désistement, «a trouvé,» dit Desmoulins, «qu’il lui en coûterait bien moins de se démarier par lettre de cachet, et moyennant 24,000 livres, a fait enfermer son mari, – non son futur, mais le passé – aux îles Sainte-Marguerite pendant douze ans et sept mois.» Et, comme pièces de conviction, Desmoulins insère dans son journal des lettres de la marquise de Carondelet où Rose Plunkett appelle le capitaine irlandais: «Mon cœur et mon âme.»

      On pourrait chercher ce qu’il advint de cette affaire Macdonagh; toujours est-il que Petrus Borel y a trouvé le sujet de Madame Putiphar, et que modifiant le rôle de Rose devenue Déborah, agrémentant son récit d’une visite à la Pompadour et d’une prise de la Bastille, il a choisi, ce jour-là, Camille Desmoulins pour collaborateur.

      Le public sera heureux, je n’en doute pas, de retrouver, dans une édition faite pour les bibliothèques choisies, un livre aussi célèbre et aussi caractéristique que Madame Putiphar.

      Celui qui l’écrivit fut un homme de conviction et de talent qui eût pu marquer plus profondément encore sa trace dans l’histoire des lettres si la fortune lui eût souri. Comme il rêvait de grandes choses! Je retrouve dans la collection de l’Artiste ces vers non réimprimés qui montrent bien ce qu’étaient ses espoirs et ses rêves:

9 octobre.

      Tout ce que vous voudrez pour vous donner la preuve

      De l’amour fort et fier que je vous dois vouer;

      Pas de noviciat, pas d’âpre et dure épreuve

      Que mon cœur valeureux puisse désavouer.

      Oui, je veux accomplir une œuvre grande et neuve!

      Oui, pour vous mériter, je m’en vais dénouer

      Dans mon âme tragique et que le fiel abreuve

      Quelque admirable drame où vous voudrez jouer!

      Shakspeare applaudira; mon bon maître Corneille

      Me sourira du fond de son sacré tombeau!

      Mais quand l’humble ouvrier aura fini sa veille,

      Éteint sa forge en feu, quitté son escabeau,

      Croisant ses bras lassés de son œuvre exemplaire,

      Implacable, il viendra réclamer le salaire!

Petrus Borel.

      C’est à madame Paradol, la belle madame Paradol de la Comédie-Française, mère de Prévost-Paradol, que ce sonnet était adressé et Petrus lui dédiait en outre le roman que M. Willem réimprime aujourd’hui. Ces vers décèlent bien un fier état d’âme, un courage tout prêt à tenter l’œuvre grande, un immense désir d’escalader les sommets. Ces folies et ces ardeurs vaillantes, ces explosions et ces fumées du romantisme valaient mieux encore que les fanges du réalisme, dont on sourira tout autant quand la mode en sera passée, et qui rentrent aussi dans le «genre frénétique» dont parlait Charles Nodier.

      A propos du romantisme et de ses fièvres, M. Philarète Chasles écrivait un jour. «C’était une belle époque éperdue. Elle voulait trop, elle espérait trop, elle comptait trop sur ses forces, elle jetait trop de sa séve aux vents du midi et du nord. Elle ne s’arrêtait pas pour s’écouter vivre; mais elle vivait. Elle avait l’ardeur, la séve et l’élan. Partout singularités et phénomènes: femmes émancipées, phalanstériens, vintrassiens, saint-simoniens; on faisait des drames en trente actes et des vers de quarante pieds. Trialph jaillissait de la plume de Lassailly, et le pauvre Petrus Borel, qui est allé mourir de douleur en Algérie, se disait lycanthrope. On imaginait qu’une loi votée pourrait ouvrir le paradis sur la terre; un seul noble discours allait de la tribune retentir dans toutes les poitrines…» Ah! le beau temps et le temps des glorieuses chimères! C’était folie? Soit. Nous sommes devenus trop sages. Nous analysons, critiquons, cherchons, fouillons çà et là: nous sommes des chimistes, des médecins, oui; mais nous ne sommes plus des créateurs. L’imagination s’est enfuie. La folle du logis a mis la clef sous la porte. Il nous reste des conteurs qui décrivent, – mi-partie peintres de genre et commissaires-priseurs. Il ne nous reste plus de génies qui inventent. Et il y avait certes plus de salpètre chez le dernier de ces insensés d’autrefois que chez plus d’un homme célèbre d’aujourd’hui.

      Et voilà pourquoi nous disons aussi en feuilletant le livre éperdu du Lycanthrope: «Poor Yorick, alas!– Hélas! pauvre Yorick!»

      Il y avait quelque chose là!

Jules CLARETIE.

      Février 1877.

AL. PCE LIVREEST A TOI ET POUR TOIMON AMIEPROLOGUE

      Une douleur renaît pour une évanouie;

      Quand un chagrin s’éteint c’est qu’un autre est éclos;

      La vie est une ronce aux pleurs épanouie.

      Dans ma poitrine sombre, ainsi qu’en un champ clos,

      Trois braves cavaliers se heurtent sans relâche,

      Et ces trois cavaliers, à mon être incarnés,

      Se disputent mon être, et sous leurs coups de hache

      Ma nature gémit; mais, sur ces acharnés,

      Mes plaintes ont l’effet des trompes, des timbales,

      Qui soûlent de leurs sons le plus morne soldat,

      Et le jettent joyeux sous la grêle des balles,

      Lui versant dans le cœur la rage du combat.

      Le premier cavalier est jeune, frais, alerte;

      Il porte élégamment un corselet d’acier,

      Scintillant à travers une résille verte

      Comme


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<p>3</p>

Voir notre travail sur Camille Desmoulins, Lucile Desmoulins et les Dantonistes (1 vol. in-8, chez Plon, 1872).