Un tuteur embarrassé. Dombre Roger

Un tuteur embarrassé - Dombre Roger


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manger!

      Puis il s'arrêta, pris d'inquiétude.

      – Mais, à propos; et les autres?.. Savent-ils?

      – Ma résurrection? Certainement, j'ai commencé par eux.

      – Tu as dû leur faire une frayeur!..

      – Un peu; mais, je suis bonne et j'y ai mis des formes. Voilà: Euphranie et Gertrude ronflaient en me gardant avec vigilance… Si je n'avais eu que leurs prières pour le repos de mon âme, je risquerais fort de m'éterniser en purgatoire; mais tu vois que les prières n'étaient pas nécessaires. Depuis quelques minutes, je me sentais des fourmillements dans les membres et je doutais de mon trépas; puis, le ronflement des deux servantes m'agaçait. Ensuite, j'ai pu remuer un doigt, puis le bras, et surtout ma pauvre tête endolorie. Ca n'a pas été comme sur des roulettes, tu le penses.

      – Ne plaisante pas, Odette.

      – Tu aimes mieux me voir pleurer sur mon sort? Que nenni! Je ne suis pas fâchée d'être revenue parmi vous.

      – Enfin, tu as secoué ou appelé les deux servantes?

      – Pas du tout; elles dormaient trop bien. Je me suis levée… J'ai couru au salon où mes cousines discouraient encore avec Miss Hangora et Mlle Dapremont, au lieu d'écrire les adresses destinées aux billets de faire-part…

      – Tais-toi, ne parle pas de cela!

      – Pourquoi? Ils serviront pour une autre fois, voilà tout, fit Odette avec sérénité.

      Ces jeunes personnes parlaient de moi, et jamais je ne me suis autant félicitée d'avoir appris l'anglais, car, elles faisaient mon oraison funèbre dans la langue de Shakespeare…

      – Et ton éloge, sans doute?

      – Pas absolument; on prétendait que, "de mon vivant", j'étais souvent hargneuse. Est-ce vrai, cela, mon Robert?

      – Eh! eh!.. il y a du vrai.

      – Mais ce n'était pas le moment de me bêcher, n'est-ce pas, pendant que mon cadavre gisait à deux pas de là?

      Ne frissonne pas, Robert, ajouta la douce enfant en lui pressant la main avec force, puisque ce cadavre est revenu à la vie.

      Mais laisse-moi achever. Comme elles parlaient ainsi, j'entrai dans le salon, telle que tu me vois, avec cette robe blanche, et je dis tranquillement:

      – C'est cela, ne vous gênez pas, mes petits enfants; cassez du sucre sur ma tête…

      – Elles ne se sont pas évanouies de peur ou de saisissement?

      – Si; pas toutes, du moins: Mlle Dapremont et Blanche; les deux autres les ont secourues en m'invectivant.

      – Pourquoi?

      – Dame! Elles se figuraient que je leur avais offert une petite comédie, que je me moquais d'elles.

      – Mais, tu les en as dissuadées?

      – Pas le moins du monde; j'ai laissé Jeanne et Miss Hangora jouer du flacon sous le nez de leurs compagnes, et je suis allée trouver mon oncle.

      – Qu'a dit ce cher père?

      – Lui, tu le sais, ne s'étonne jamais de rien. Il a mis son lorgnon, m'a regardée, écoutée, et a conclu:

      "Aussi, cela me surprenait trop de te voir mourir à quinze ans, quand les protubérances de ton crâne affirmaient…"

      Là-dessus, je me suis sauvée chez mes tantes. J'ai eu la délicatesse de me faire annoncer par Philibert que j'ai rencontré dans le corridor, et qui a fait force signes de croix à ma vue. En deux mots, je l'ai mis au courant de ma résurrection et, précédée par ce brave serviteur, j'ai pu faire une entrée correcte chez ta mère.

      Souriant, mais encore un peu pâle, Robert Samozane écoutait la mignonne enfant conter son épopée.

      – C'est pour le coup qu'on va m'accuser d'être excentrique et encombrante! reprit Odette en secouant la tête; et pourtant, avoue qu'il n'y a pas de ma faute, je ne pouvais prévoir ce qui est arrivé; je n'ai rien fait pour provoquer cette léthargie.

      – Non, chérie, j'étais là et tu m'as assez effrayé.

      – D'autant plus que je n'ai pas coutume de m'évanouir comme une poule mouillée.

      – Mais, tu mourais de faim, tout à l'heure, mignonne? Viens à la salle à manger, ou chez toi; on te servira…

      – Non, non, pas chez moi. Mon lit me laisse de trop désagréables souvenirs; j'ai besoin de remuer, de chanter, de voir des visages amis.

      – Alors, suis-moi.

      Comme il disait ces mots, la porte s'ouvrit si violemment qu'Odette en fut heurtée, et Gui entra, très rouge, effaré mais joyeux.

      – Que m'apprend-on? Elle n'est pas morte?

      – Non, puisque la voilà. Tiens, embrasse-la, frère, répliqua gaiement Robert en poussant sa cousine vers le jeune homme.

      Odette tendit sa joue qui reçut un baiser sonore.

      Gui respira, soulagé.

      – Ca fait du bien d'embrasser un si mignon revenant, s'écria-t-il, et j'aime mieux ça que de larmoyer sur lui comme tout à l'heure.

      – Où donc étais-tu quand j'ai ressuscité? demanda Mlle d'Héristel.

      – A travailler pour toi, ma chère; je commandais quelques couronnes mirifiques qu'il va falloir aller décommander.

      – Ce qui fera faire la grimace aux fleuristes.

      – Ca, je m'en moque! En route, j'ai rencontré plusieurs personnes auxquelles, d'un air navré, tu le devines, j'ai appris le malheur.

      – C'est très contrariant, cela, fit Odette, une moue aux lèvres; je vais être obligée de présenter des excuses à tout ce monde-là… Aussi, pourquoi se pressait-on autant de m'enterrer?

      – Peu importe ce qu'on croira et dira, chérie, prononça Robert de sa voix chaude et grave; l'essentiel est que tu nous sois rendue, et que tu te portes bien… Montre-moi ta frimousse.

      Obéissante, Odette leva vers le jeune homme son joli visage pâli mais plein de vie; puis, impatiente, elle s'écria:

      – Eh bien! quand tu m'auras assez regardée, tu m'enverras dîner, j'imagine. Faut-il te répéter que j'ai faim?

      – Tant mieux, mignonne! l'appétit et ton impatience revenue sont d'heureux signes de santé.

      Le bruit s'était promptement répandu dans la maison qu'habitait la famille Samozane, au deuxième étage, rue Spontini, que la jeune trépassée, prête à être enterrée, avait repris non seulement la vie, mais son entrain habituel.

      Peu s'en fallut que l'appartement ne se vît assiéger par les curieux.

      Mais, Mme Samozane consigna sa porte, et chacun en fut pour ses frais.

      On envoya seulement des "petits bleus" au docteur et aux amis qui avaient été prévenus de l'accident, puis on retira la déclaration de décès qui avait été faite à la mairie.

      – Que d'embarras nous cause cette petite fille! murmurait l'oncle Valère en se mettant à table, tardivement, ce soir-là, à côté de sa nièce qu'il regardait affectueusement et malicieusement.

      – Pauvre oncle! riposta Odette; dire que vous vous voyiez déjà si bien déchargé de tous vos soucis de tutelle, et voilà que la pupille vous reste pour compte!

      – Tâche seulement de ne pas nous procurer deux alertes semblables; c'est assez d'une fois, dit M. Samozane en plongeant sa cuillère dans son potage.

      – Je m'en tiendrai là, je pense, fit Odette.

      Gui ayant réclamé un sujet d'entretien plus gai, la conversation prit un autre tour; puis, brisé d'émotion, chacun eut hâte de se retirer chez soi, sauf peut-être Odette qui, sans vouloir l'avouer, redoutait l'heure du sommeil.

      "Si,


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