Un tuteur embarrassé. Dombre Roger

Un tuteur embarrassé - Dombre Roger


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qu'elles firent avec une bonne grâce suffisante.

      III

      "Ce n'était rien du tout, en somme, que ce petit accident, cette léthargie qui n'a pas duré vingt-quatre heures; c'est arrivé à bien d'autres qu'à moi… Et cependant, je sens que cela a changé quelque chose à mon caractère. Certes, je n'ai jamais eu la prétention de passer pour un ange; d'abord, je ne voudrais pas être un ange, cela m'obligerait à trop veiller sur mes paroles et sur mes actes.

      "Eh! bien, depuis ma… maladie d'une demi-journée, je suis devenue pire, fantasque, grincheuse, et je me sens mal disposée à l'égard du genre humain en général et de ma famille en particulier.

      D'abord il m'est désagréable que l'on me parle sans cesse de mon… accident.

      Quand je dis sans cesse, c'est un peu exagéré, car je ne vois pas des visiteurs toute la journée, et j'ai déclaré à mon entourage que c'était chose enterrée.

      Il n'y a ici que ce scélérat de Guimauve pour me plaisanter encore là-dessus, malgré ma défense; mais, il le fait si drôlement et il est tellement en contradiction avec toutes les défenses, que je lui pardonne et fais la sourde oreille.

      Je parle des étrangers, des amis… ou ennemis, qui viennent voir tante Samozane.

      "Et cette chère petite ressuscitée, ne pourrons-nous la voir? Nous sommes venus spécialement pour la féliciter."

      Or, parce que je suis la nièce de mon oncle et de ma tante, et parce que j'ai reçu une bonne éducation, me voilà obligée d'entrer au salon, la bouche en coeur et le regard ingénu, de me laisser embrasser la main et de répondre le plus aimablement que je le peux aux questions qu'on me pose.

      Et je sens que, malgré moi, je fais la tête d'une petite fille qu'on envoie coucher sans dessert; ou bien je suis froide, froide à glacer une crème.

      J'ai souvent constaté que c'est très gênant d'avoir reçu une bonne éducation et d'être la fille de ses parents; ça vous oblige à vous montrer toujours suave et bien élevée, quand on aurait envie de décocher une vérité!

      Ce n'est tout de même pas sans plaisir que je me retrouve vivante après mon alerte, dans ce home qui m'est cher en dépit des vicissitudes qui m'y assiègent actuellement.

      Il me semble que je n'ai jamais trouvé ma chambre si gentille; jaune paille, ce qui sied à une brune; des bibelots à la diable, un peu partout; le bon Dieu suspendu à mon chevet; mes robes en face, dans le cabinet; ma cheminée à gauche, recouverte de peluche; à l'opposé l'armoire à glace… avec laquelle je me rencontre souvent sans grande répugnance, il faut l'avouer.

      J'ai toujours été enthousiaste du beau et même du joli; je ne suis pas belle, (moi qui aurais tant voulu être Mme Récamier!) mais je ne suis pas laide… surtout quand je ne me relève pas d'un lit mortuaire.

      Je mets, de préférence, ce qui flatte mon visage, et fait ressortir ma taille, désobéissant en cela carrément à tante Germaine qui me répète cinq fois par semaine:

      "Tu ne dois pas aimer ta beauté ni t'en servir pour t'attirer des hommages."

      D'abord, m'attirer des hommages, il faut être dans les circonstances voulues pour cela. Jusqu'à présent, si j'avais écrit ma vie, ce serait une histoire édifiante à l'usage de la jeunesse; désormais… ou plutôt l'hiver prochain, aussitôt que j'aurai dix-sept ans, on m'exhibera dans les salons.

      Je crois que cela m'amusera, et ce sera bien le diable si je ne récolte par deux ou trois pauvres petits compliments par soirée.

      Ici, pour m'en faire, il n'y a personne, tant on craint de m'induire en tentation de vanité.

      L'oncle Valère ne consulte que les protubérances de mon crâne, qui n'en a guère, du reste.

      Tante Germaine me prêche le détachement de tout.

      Tante Bertrande me répète que j'aurais pu être beaucoup mieux.

      Jeanne me dénigre chaque fois qu'elle en trouve l'occasion.

      Blanche me fait remarquer qu'il vaudrait mieux pour moi être blonde.

      Guimauve me rit au nez quand il me trouve décoiffée, ce qui n'est pas rare.

      Et Robert, le grave Robert, a un petit sourire ironique lorsqu'il me voit donner un regard… furtif ou prolongé, au miroir.

      Seule, ma vieille bonne Euphranie témoigne une admiration sans bornes pour ma personne.

      Mais voilà, je me méfie de son appréciation.

      N'empêche que je suis satisfaite de sortir de l'épreuve aussi fraîche que par le passé, et avec trente-deux dents toujours; trente-deux dents bien blanches et bien alignées.

      Ca ne m'a pas absolument surprise de me retrouver de ce monde, ni étonnée, ni ahurie; la crise a si peu duré!

      Dieu du ciel et de la terre, soyez béni!

      Quand je pense que quelques heures plus tard, je me réveillais entre les quatre planches d'une bière!

      C'est sans doute cette idée qui a aigri mon caractère; ou, pour être plus juste, c'est le souvenir de certaines paroles recueillies dans mon étrange sommeil.

      D'abord, il y en a qui, après avoir un peu pleuré sur moi, ont pensé à mes dépouilles opimes.

      Mon oncle, lui, pauvre homme, n'a songé qu'à mes bosses crâniennes qui le trompaient.

      Sa femme et sa belle-soeur ont dû… espérer vaguement ma succession.

      Que le dieu d'Israël me pardonne si je juge témérairement!

      Blanche et Jeanne se sont dit, et de cela, je suis certaine, hélas! que mon trépas leur fournissait une jolie dot.

      Guimauve a geint de n'avoir plus de camarade bonne enfant à taquiner.

      Robert, lui, n'a ni assez geint, ni assez gémi, ni assez pleuré, ni assez soupiré, à mon avis.

      Que cachait ce silence?

      Je me le demande avec curiosité depuis que je suis de retour en ce monde.

      Et, malgré moi, l'opinion des deux servantes, Euphranie et Gertrude, gardant mon cadavre, me revient à la mémoire et je me demande…

      Mais n'est-ce pas absurde de se laisser impressionner par les bavardages de deux vieilles commères?

      Aussi, pourquoi suis-je riche, et pas eux?.."

      IV

       Notes de M. Samozane.

      "Nous avons failli perdre ma pupille; il n'en fallait pas davantage pour affoler toute la maisonnée, car, on chérit cette enfant gâtée qui se nomme Odette d'Héristel.

      Mais ce malaise n'était que passager, et la chère petite en est quitte pour rester un peu pâlotte.

      Ou du moins… en est quitte! Je m'avance beaucoup, car au moral elle est fort changée.

      Je sais bien qu'elle a la bosse du caprice et qu'il ne faut pas demander une conduite persévérante à cet oiseau léger; mais, je ne l'ai jamais vue aussi bizarre que depuis son retour parmi les vivants.

      Certes, maintes fois depuis qu'elle est ma pupille, Odette a manifesté des dispositions tout à fait contraires à celles de son tuteur et de ses tantes, et nous avons malheureusement trop souvent cédé; mais aujourd'hui, on dirait qu'elle se plaît à être en continuelle contradiction avec nous. Qu'y a-t-il?

      J'examinerai encore son crâne.

      Car, en ma qualité de tuteur et d'oncle, je devrais…

      Oui, que devrais-je faire? Moi qui trouve déjà trop sévères à son égard ma femme et ma belle-soeur…

      Ouf! heureusement que mes filles sont d'une nature beaucoup plus calme que leur cousine et qu'elles ne me donneront pas de fil à retordre!

      Mon Dieu! oui, je le répète, nous l'avons gâtée, élevée un peu comme un garçon… Et cependant aujourd'hui elle est très femme; et fantasque,


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