Christine. Enault Louis

Christine - Enault Louis


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le ciel s'éteint, les touffes de lilas remplacent les bouquets de roses; aux teintes fauves de l'or rutilant succèdent les délicates pâleurs de l'argent; enfin, c'est le tour de la nuit, nuit sereine et limpide, dont l'ombre même a des reflets de perle, irisés de la lueur lactée des opales.

      Georges était poëte à ses heures, et cette grande scène fit sur lui une impression que peut-être il ne se croyait plus capable de ressentir. L'homme qui se connaît le mieux a toujours dans son cœur des replis secrets où la lumière ne pénètre point tous les jours. Et puis, à son insu, le regard profond de la comtesse le suivait toujours; il se surprit même, une fois ou deux, à chasser son souvenir. Mais comme, en sa qualité de diplomate, il était de ceux qui prétendent que la parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée, il se garda bien de révéler sa préoccupation naissante.

      Les deux amis dînèrent ensemble dans un club, et allèrent le soir au Grand-Théâtre, où l'opéra, trois fois par semaine, réunit la société aristocratique de Stockholm. Georges lorgna dans toutes les loges. Il ne découvrit point Mme de Rudden.

      II

      Le président de la chambre des nobles donnait, le lendemain, un des plus grands raouts de l'hiver.

      Georges reçut une invitation: c'était dans l'ordre. Il y vint, amené par son ambassadeur. Les bals du grand monde, à Stockholm, sont fort brillants. Les Suédois s'appellent eux-mêmes les Français du Nord: ils aiment le plaisir et s'y livrent avec une ardeur toute méridionale. La réunion était nombreuse, et l'on ne comptait pas les jolies femmes. Georges parcourait de l'œil leur escadron volant: il cherchait Christine. Il ne l'aperçut pas. Il était jeune et avait trop longtemps vécu en Allemagne pour ne pas aimer la danse; il accepta donc sans trop de regrets les compensations que lui offraient cinq ou six beautés à la mode, fort empressées de donner aux étrangers, par leur accueil, une idée favorable de l'hospitalité suédoise.

      Mme de Rudden entra pendant qu'il dansait une rédowa: elle traversa le salon avec cet air de majesté gracieuse qui ne l'abandonnait jamais. Georges ne voulut point retourner la tête, mais il suivait tous ses mouvements dans les glaces; il entraîna sa danseuse vers elle pour la voir de plus près. La robe de la comtesse l'effleura. Mais Mme de Rudden ne fit qu'une apparition au milieu de la foule un peu bruyante: passé vingt ans, les femmes vraiment distinguées ne dansent plus; elles laissent ce plaisir à celles qui n'en ont pas d'autre. Elle se retira dans un des boudoirs disposés autour du salon pour servir d'asile à la causerie discrète. Quelques hommes l'entourèrent bientôt, et elle devint le centre d'un petit groupe.

      Georges trouva que les rédowas suédoises duraient un peu trop longtemps, et quand il eut reconduit sa danseuse, il s'approcha du boudoir.

      La comtesse se faisait habiller à Paris; elle passait pour une des femmes les plus élégantes de Stockholm. Personne mieux qu'elle ne savait s'asseoir: c'est un art plus difficile qu'on ne pense. La crinoline n'avait pas franchi le Sund, et les armatures de fer ne faisaient pas encore de la jupe ballonnée des Sébastopols de velours et de soie. Mais Christine avait une façon particulière de ranger autour d'elle les plis nombreux et souples: elle donnait au costume moderne, si facilement ridicule entre des mains malhabiles, la noblesse et la distinction. M. de Simiane avait le sentiment trop vif de la forme pour ne pas faire toutes ces remarques du premier coup d'œil: avec lui les plus petites choses avaient leur importance, et c'était toujours par les yeux qu'on le prenait d'abord. La comtesse portait, ce soir-là, une robe de velours noir, dont le corsage, montant peut-être un peu haut, cachait à demi ses épaules, mais faisait ressortir, par un contraste de tons très-puissant, toute la beauté de son cou, un peu long, mais fin d'attaches et légèrement doré. C'était tout à la fois magnifique et simple; puis c'était chaste, comme est toujours la beauté vraie. La plus séduisante des grâces c'est la grâce décente. Les femmes semblent l'oublier quelquefois, les hommes s'en souviennent.

      La comtesse était assise dans un grand fauteuil, la tête un peu renversée en arrière sur le dossier, pour mieux écouter deux hommes qui lui parlaient debout. Cette pose, qui semblait si naturelle, une coquette l'eût choisie, car elle faisait merveilleusement valoir toute la beauté intelligente de sa physionomie. Son visage, vivement éclairé d'en haut par la lumière qui baignait ses cheveux et se jouait sur ses tempes transparentes, allait s'amincissant vers le bas de l'ovale allongé. En suivant le rayon de ses yeux, alors perdus dans le vague, on devinait qu'elle était faite pour regarder du côté du ciel.

      Georges s'arrêta un moment sur le seuil du boudoir, et l'observa de cet œil pénétrant et sagace de l'homme qui a beaucoup examiné les femmes.

      «Eh bien, fit le chevalier de Valborg, qui venait de le rejoindre, qu'en dites-vous?

      – Elle est vraiment belle!..

      – Et sage!

      – Cela regarde son mari.

      – Elle est veuve.

      – Elle a donc toutes les qualités?

      – Voulez-vous maintenant que je vous présente?

      – Je n'ai aucune objection. Soit!

      – Quelle froideur!

      – Ma foi, chevalier, prenez-le comme vous voudrez, mais je n'ai jamais pu souffrir les femmes parfaites… vous me dites trop de bien de celle-ci.

      – N'en croyez que la moitié!

      – Ce serait encore trop! je suis sûr qu'elle est ridiculement gâtée… et prétentieuse!

      – C'est ce qui vous trompe: elle est aussi simple qu'elle est charmante.

      – Dites tout de suite que c'est la huitième merveille du monde, et n'en parlons plus. Tenez, l'orchestre joue une mazurka, je vais la danser…

      – Avec elle?

      – Non, vraiment, avec ce petit nez retroussé qui fait des mines au coin de la cheminée.

      – Eh mais! fit le chevalier; j'avais raison de vous le dire hier: vous avez peur.»

      Qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, d'un quadrille ou d'un assaut, ce mot de peur, dans une bouche étrangère, sonne toujours mal aux oreilles françaises. Georges rentra dans le boudoir qu'il avait déjà quitté. Les hommes avec qui la comtesse causait s'étaient retirés peu à peu derrière son fauteuil, et en regardant par la porte du salon elle aperçut les deux jeunes gens. Axel prit son ami par le bras, et s'approchant de Mme de Rudden, il lui présenta M. de Simiane dans les règles et avec les formes de l'étiquette la plus cérémonieuse.

      La comtesse accueillit le nouveau venu avec la grâce aimable qui la distinguait, et lui indiqua de l'éventail un siège tout près du sien. Axel, debout devant eux, attendit que la glace fût suffisamment rompue, puis il se rappela fort à propos qu'il devait danser, et il laissa Georges et la comtesse en tête-à-tête au milieu de la foule.

      Georges était assez froid; la comtesse très-réservée: il fallut passer tout d'abord à travers ces généralités banales qui sont toujours le début frivole et mondain des relations les plus sérieuses; puis, peu à peu, comme si l'on se fût deviné avant de se connaître, tous deux se sentirent bientôt en confiance; l'entretien devint plus intime. On effleura tous les sujets, ainsi qu'il arrive entre gens à qui mille choses sont également connues et familières.

      Georges releva une observation fine de la comtesse et parut l'admirer peut-être un peu trop.

      «Savez-vous, lui dit-elle, que vos louanges ne sont pas flatteuses? elles marquent un certain étonnement dont vous ne pouvez pas vous défendre. On dit qu'à Paris vous nous prenez assez volontiers pour des barbares: «les barbares du Nord!» j'ai vu cela dans un de vos livres à la mode. Vous autres Français, vous êtes tellement civilisés!

      – Trop, peut-être! Mais ce n'est pas non plus ce qui vous manque; seulement, vous l'êtes autrement que nous.

      – Voudriez-vous m'expliquer la différence?

      – En ce moment je prends mes notes, et ce sera l'objet d'un memorandum que j'adresserai aux grandes puissances… après vous l'avoir dédié.

      – J'ai


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