L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793. Joseph Bertrand

L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793 - Joseph Bertrand


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à l’ancienne Académie, étaient restés membres de la nouvelle. On leur adjoignit par élection Hartsœcker, les deux frères Bernoulli, Rœmer et Isaac Newton. Viviani compléta la liste sur laquelle ne figura jamais le nom de Denis Papin, ballotté dans la dernière élection avec celui du disciple de Galilée. Deux ans plus tard, l’Académie préférait à Papin l’obscur charlatan Martino Poli. Fontenelle, dans un éloge très-laconique, excuse un tel choix en l’expliquant. Pour récompenser une invention restée secrète et par conséquent stérile, Louis XIV, avec une forte pension, avait accordé à Poli le titre d’associé honoraire de l’Académie. La volonté du roi était alors la règle suprême sous laquelle tout devait plier, et l’Académie, incapable d’opposition ou de résistance, se prêta avec empressement à la formalité d’une élection devenue inutile.

      Martino Poli, pendant deux ans assidu aux séances, n’y apporta que les creuses imaginations des alchimistes. Attaquant la théorie des couleurs de Newton comme inexacte et mal fondée, il allègue qu’à quatre éléments qui composent tous les corps doivent correspondre quatre couleurs seulement: le rouge, couleur du feu; le bleu, couleur de l’air; le vert et le blanc enfin, couleur de l’eau et de la terre.

      L’une des places d’associé devint presque immédiatement vacante. Sauveur, résidant à Versailles, dut aux termes du règlement renoncer à l’Académie, en conservant toutefois, avec le titre de vétéran, le droit d’assister aux séances et d’y prendre la parole. «La place qu’avait M. Sauveur d’associé mécanicien étant vacante, dit le procès-verbal, M. le président a représenté qu’elle conviendrait à M. de Lagny, qui est actuellement à un port de mer où il s’attache fort à tout ce qui regarde la mécanique de la marine. La Compagnie a donc résolu de proposer au roi M. de Lagny pour la place de M. Sauveur.»

      Telle était, aux premiers temps de l’Académie, l’influence considérable du président. Élevé au-dessus de ses confrères par son rang, par sa naissance et par le choix direct du roi, il ne pouvait manquer d’être fort écouté; mais il s’absentait souvent, et le vice-président, homme de cour comme lui, se montrait encore moins exact. L’Académie, dès la première année, pria en conséquence l’abbé Bignon de vouloir bien déléguer à l’un de ses membres le droit de présider en son absence. Sur son refus gracieusement motivé, elle nomma elle-même Gallois et Duhamel, qui prirent le titre de directeur et de sous-directeur; mais cette hardiesse ne dura que deux ans, et dès l’année 1702, le roi nomma le directeur et le sous-directeur qui «étaient électifs et ne le seront plus,» dit laconiquement le procès-verbal.

      L’Académie a varié plusieurs fois dans son mode d’élection. Les procès-verbaux des séances, sans rapporter aucun détail, ne donnent pas même le dénombrement des suffrages. Les académiciens eux-mêmes devaient l’ignorer; le président et le vice-président se retiraient en effet avec le secrétaire pour dépouiller le scrutin en présence d’un seul membre pensionnaire désigné par le sort et qui, chargé d’annoncer le résultat, prenait le nom d’évangéliste. Deux fois seulement, des difficultés imprévues soumises à la décision de l’Académie forcent, pour faire connaître le point débattu, à montrer distinctement par des chiffres précis tout le mécanisme de l’élection.

      Le 28 mars 1733, l’Académie ayant été invitée à nommer un associé dans la section de mécanique, on lit au procès-verbal: «La pluralité a été pour MM. Camus et Fontaine.» Mais sur des réclamations, au moins plausibles sans doute, élevées par un troisième candidat, on ajoute huit jours après: «On a fait réflexion qu’il pouvait y avoir eu erreur dans le calcul par lequel M. Camus a eu la pluralité des voix le jour précédent et qu’en ce cas M. Clairaut aurait eu l’égalité; la Compagnie, pour faire cesser toute difficulté, a résolu de demander très-humblement au roi s’il voudrait les nommer tous deux ensemble.» Le titre d’associé n’étant pas rétribué, l’expédient fut aisément accepté, et sans avouer ou nier l’erreur de calcul on sauva tous les droits et tous les intérêts.

      Mais l’interprétation du passage cité reste embarrassée de deux difficultés: Que signifie une erreur de calcul dans le dépouillement d’un vote? Comment cette erreur, en faisant perdre à Clairaut le premier rang, ne lui laisse-t-elle pas même le second? Le règlement de 1716 explique tout d’abord ce dernier point: chaque liste de présentation devait contenir le nom au moins d’un candidat étranger jusque-là à l’Académie; Clairaut et Camus déjà adjoints l’un et l’autre ne pouvaient donc pas composer la liste.

      Quant à l’incertitude sur le dénombrement des suffrages comptés à chaque candidat, le récit détaillé d’une autre élection en fait paraître une cause vraisemblable: «Le 19 janvier 1763, MM. les pensionnaires et associés astronomes ayant proposé à l’Académie pour la place d’adjoint dans la même classe vacante par la promotion de M. Legentil à celle d’associé, MM. Messier, Bailly, Jeaurat et Thuillier, on a procédé suivant la forme ordinaire à l’élection, où il s’est trouvé, en comptant les billets, que M. Bailly avait eu quatorze voix et MM. Messier et Jeaurat chacun treize, mais qu’il y avait un billet qui se trouvait nul parce qu’il ne portait que le seul nom de M. Jeaurat au lieu de deux qu’il devait contenir suivant le règlement. Sur quoi MM. les officiers et l’évangéliste, ayant fait réflexion que si ce billet avait porté les deux noms de MM. Jeaurat et Messier, eux et M. Bailly auraient eu parfaite égalité de voix, et que si le billet avait été bon, quand même on aurait nommé M. Thuillier avec M. Jeaurat, ce dernier aurait toujours eu l’égalité des suffrages avec M. Bailly, M. le président est entré dans l’assemblée pour y proposer le cas, sans désigner aucun de ceux qui y avaient été nommés et pour faire décider si l’on recommencerait totalement l’élection ou si l’on se contenterait de décider entre les deux seconds, sur quoi il a été décidé que celui qui avait eu la pluralité des suffrages devait être regardé comme nommé et être présenté le premier, quel que pût être le nombre des voix qu’aurait celui des deux seconds entre lesquels on allait choisir; en conséquence de quoi on a prononcé par scrutin entre MM. Jeaurat et Messier, et la pluralité des voix a été pour M. Jeaurat.»

      La franchise confiante du patronage exercé parfois sur des candidatures par les grands seigneurs et les ministres étonnerait peut-être aujourd’hui. Indépendamment des sollicitations individuelles et des discrètes recommandations qui sont de tous les temps, on procédait parfois ouvertement et publiquement par lettres collectives officiellement adressées à l’Académie et qu’elle recevait fort bien en ne se défendant nullement d’y avoir égard. On lit par exemple au procès-verbal du 27 juin 1770: «Je vous donne avis que le roi approuve que l’Académie procède à la nomination d’un pensionnaire surnuméraire dans la classe de géométrie et que Sa Majesté verrait avec plaisir les voix de l’Académie se réunir en faveur de M. Darcy.» M. Darcy, cela va sans dire, obtint l’unanimité des suffrages.

      M. de Saint-Florentin avait écrit le 4 avril 1760: «Le prince Jablonowski demande d’être admis à l’Académie en qualité d’associé étranger; l’honneur qu’il a d’appartenir à la reine et le soin qu’il a toujours pris de protéger et de cultiver lui-même les lettres et les arts paraissent mériter qu’on anticipe en sa faveur le moment d’une place vacante dans la classe des associés étrangers pour l’y admettre. Sa Majesté désire qu’il soit délibéré sur sa demande; l’Académie est unanimement d’avis qu’il n’y a pas d’inconvénient à accorder cette place à condition que la première qui vaquera dans cette classe sera censée remplie par la nomination de M. le prince Jablonowski.» Huit jours après, Sa Majesté fait savoir qu’elle agrée la nomination du prince qui se trouve ainsi préféré d’avance à Linné dont l’élection fut par là retardée de plusieurs années.

      Le 30 avril 1758, on lit enfin: «M. de Chabert, lieutenant des vaisseaux du roi, désire être admis à l’Académie en qualité d’associé libre; l’intérêt de la marine et celui de l’Académie concourent à anticiper le moment d’une place vacante dans la classe des associés libres, pour y admettre un officier de marine, n’y en ayant point à présent. Outre qu’il y a plusieurs exemples de pareilles expectations, les approbations que l’Académie donne depuis si longtemps aux


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