Champavert. Borel Pétrus

Champavert - Borel Pétrus


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du spectacle rare d’une fille noble sur la sellette et l’échafaud.

      A l’hospice, on avait d’abord désesperé des jours d’Apolline, mais on l’entoura de tant de soins, sur la recommandation de Messieurs de la justice, qui redoutaient que la mort ne tranchât la question sans eux et n’empiétât sur leurs droits et sur ceux du bourreau. Au bout d’une semaine environ, elle commença à recouvrer quelques forces, et la connaissance lui revint.

      Son étonnement fut grand et douloureux quand elle se vit dans une salle d’hôpital. Elle n’avait aucune souvenance de ce qu’elle avait fait, ni de ce qui s’était passé: ainsi qu’un ivrogne au réveil ne conserve aucune idée des folies de son ivresse. Elle questionna, on ne lui répondit que vaguement. Quand elle fut parfaitement rétablie, on vint lui annoncer qu’on allait la transférer à la prison de la Force.

      – A la Force! s’écria-t-elle, eh! pourquoi?

      – Sous prévention d’infanticide.

      – Moi! Oh non, vous êtes fous!..

      – Vous avez jeté votre enfant dans un égout.

      Alors, Apolline, consternée, porta ses mains à son flanc, et, semblant sortir en soubresaut d’un sommeil et se rappeler subitement, tomba froide sur le pavé.

      Quand elle reprit ses esprits, elle était dans un cachot étroit et sombre.

      Son procès s’instruisit longuement; et, après quatre mois de détention et de contact avec tout ce qu’il y a de plus fétide et de plus croupi dans la marre sociale, elle comparut à la cour d’assises. Le grand scandale avait attiré une foule innombrable de curieux qui voulaient voir la belle marâtre du faubourg Saint-Germain. On lui avait fait une réputation de beauté égale à celle de sa férocité. Les vitres des marchands d’estampes étaient garnies de prétendus portraits de la belle Apolline, aussi authentiques que ceux d’Héloïse ou de Jeanne d’Arc: l’un rappelait madame de la Vallière, l’autre Charlotte Corday, l’autre Joséphine, mais le public, qui veut être dupé à tous prix, en était fort satisfait. Le palais était aussi encombré que si la basoche eût dû jouer un mystère sur la table de marbre. Un murmure général de désappointement s’éleva quand les huissiers annoncèrent que le tribunal ordonnait huis-clos pour ce jugement.

      Bientôt Apolline fut introduite dans la salle: sa jeunesse, sa vénusté, son air triste et candide, sa voix suave et son maintien impressionnèrent vivement la cour blasée.

      Pour ne pas compromettre Bertholin, elle avait déclaré qu’un homme, à elle tout-à-fait inconnu, et qu’elle n’avait jamais revu, un soir, s’étant glissé chez elle, l’avait forcée avec violence. Quant au crime qu’on lui imputait, elle avouait qu’il pouvait être, mais qu’il ne lui en restait nul souvenir positif; et que n’ayant pris aucun aliment depuis plusieurs jours, quand les douleurs de l’enfantement lui étaient survenues, elle devait avoir été assurément dans un état complet de démence.

      Sur cinq médecins appelés à constater quel avait pu être son état moral lors de son accouchement, un seul avait affirmé l’aliénation, et quatre l’avaient niée.

      Au moment où l’accusateur public, M. de l’Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance.

      Jamais réquisitoire ne fut plus violent et plus inhumain: il n’est rien que M. de l’Argentière ne mit en jeu pour accabler l’accusée. Il poussa sa rage extravagante jusqu’à la comparer à Saturne, qui dévorait ses enfans, et se résuma en demandant sa tête. – Ne vous laissez point séduire, criait-il, par les beaux dehors de cette mère dénaturée, le laurier-rose contient un venin subtil, la beauté n’est souvent que le voile de la perfidie; ne vous laissez point faiblir, messieurs, il faut un exemple absolument, pour arrêter l’infanticide en son cours. Messieurs, soyez inexorables, vous serez justes!

      L’avocat d’Apolline, avec un rare talent, s’acquitta de sa défense; son plaidoyer aurait arraché des larmes à des tigres, le tribunal resta froid; et l’accusateur commença sa sauvage réplique.

      Quand la pauvre Apolline eut recueilli ses esprits, elle se leva brusquement, et montrant du poing l’accusateur, M. de l’Argentière: – C’est lui! criait-elle, c’est lui! je reconnais sa voix, c’est lui! cet homme-là qui parle! c’est lui que j’ai vu aux rayons de la lune, blême et rouge, l’œil caverneux… Puis, fondant en larmes, elle jetait des hurlemens.

      – Cette enfant est égarée, dit froidement M. de l’Argentière, dont la morne physionomie n’avait pas laissé paraître la plus légère émotion.

      – Emmenez l’accusée; et nous, messieurs, passons dans la salle de délibération, ordonna le président.

      Au bout d’un quart d’heure, la cour rentra en séance: le jury ayant répondu affirmativement à toutes les questions posées, le président fit lecture de la sentence, qui condamnait Apolline à la peine capitale.

      Elle écouta son arrêt avec dignité, et dit seulement, se tournant du côté de l’accusateur public: – Ceux qui envoient au bourreau sont ceux-là mêmes qui devraient y être envoyés!

      Son défenseur, égaré, pleurant et se heurtant le front, se jeta dans ses bras, et l’embrassa, au grand scandale de la cour, qui demanda si elle voulait se pourvoir en cassation. – Oui, répondit Apolline, mais au tribunal de Dieu.

      Le matin du jour, on lui envoya un prêtre pour se préparer; il ne sortit plus d’auprès d’elle. Apolline lui ayant naïvement raconté son histoire, le pauvre homme, convaincu de son innocence, pleurait désespéré; celui qui était venu la consoler était plus faible qu’elle et plus inconsolable. – Pauvre martyr! l’appelait-il, en lui baisant les pieds comme on baise une châsse sainte. Il n’osait lui parler de son Dieu juste et bon; sa providence était trop compromise par cette vie fatale.

      A quatre heures, le geôlier monta l’avertir. Sa toilette achevée, elle descendit, soutenant son confesseur.

      Aussitôt la charrette se mit en marche. Il semblait que toute la population de Paris s’était encaquée du palais à la Grève. De haut en bas, les maisons étaient chargées de spectateurs avides: jamais supplice n’avait attiré plus de monde. – La voilà! – la voilà! répétait-on de rang en rang.

      Qu’elle était belle du haut de son tombereau, cette infortunée Apolline! quelle dignité! quelle résignation! Son teint était plus blanc que le peignoir qui l’enveloppait, et sa chevelure plus noire que le prêtre qui pleurait à ses côtés. Elle promenait sur la foule son regard langoureux; les commères lui montraient le poing, et les jeunes hommes attendris lui envoyaient des baisers. Enfin, la charrette déboucha sur la Grève. En montant à l’échelle, Apolline aperçut, à une croisée, M. de l’Argentière qui la fixait froidement; elle en jeta un long cri d’horreur, et tomba faible entre les bras d’un valet de guillotine. Il se fit alors un brouhaha général et une fluctuation dans la foule. Il pleuvait: – A bas les parapluies, on ne voit pas! criait-on de toutes parts; – à bas les parapluies! répétaient des voix de femmes; – soyez galans, messieurs, on ne voit pas!

      Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe du pied.

      Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur; et un Anglais, penché sur une fenêtre qu’il avait louée 500 fr., fort satisfait, cria un long very well en applaudissant des mains.

       JAQUEZ BARRAOU LE CHARPENTIER

      –

      LA HAVANE

      Car amour est fort comme la mort,

      Et jalousie est dure comme enfer.

La Bible.

      Je suis noire, mais je suis belle comme les tabernacles de

      Cédar, comme les peaux de Salomon.

La Bible.

      Eh! pourquoi cette jalousie?..

P. L. Jacob, Bibliophile.

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