Champavert. Borel Pétrus

Champavert - Borel Pétrus


Скачать книгу
un charivari à la nuit tombante.

      En ce moment, rue Cassette, un homme se glissait dans une maison de riche apparence, et montait l’escalier à pas de loup; tout en haut, il entra et s’arrêta dans un corridor sombre; à travers les ais d’une porte une voix s’échappait; il appuya l’oreille contre la serrure; cette voix douce récitait une prière du soir. Il heurta légèrement du doigt.

      – Qui est là?

      – Ouvrez, Apolline, c’est moi!

      – Qui vous?

      – Bertholin!

      Aussitôt elle entr’ouvrit sa maudite porte qui craquait comme des escarpins, et dont les gonds grinçaient comme une girouette.

      – Bonsoir, mon ami.

      – Bonsoir, toute belle.

      – Pardon, si je vous reçois si inconvenablement, sans flambeau, c’est que, misérable, je n’ai pas de rideaux à ma croisée, et du vis-à-vis on plonge et distingue tout chez moi. Aussi, pourquoi choisir une heure si avancée?

      – Le jour j’ai la tête bourrelée par les affaires, et, d’ailleurs, le plein soleil prédispose peu aux épanchements: qu’est-ce donc l’amour sans la nuit? qu’est-ce donc l’amour sans mystère?

      – J’aurais mauvaise façon à vous blâmer de cela, car je n’aime jamais tant Dieu que la nuit, dans une église bien sombre. – Vous toussez, mon ami?

      – Oui, faisant le pied de grue à la porte du ministre, j’ai maraudé un rhume et un enrouement qui me fatiguent beaucoup.

      – C’est cela que je vous trouvais la voix rauque et changée. Mais causons sérieusement; mon cher petit, à quoi bon, dis-moi, retarder plus long-temps notre union? Si le monde venait à s’apercevoir de notre liaison, on dirait bien du mal de moi.

      – Patience, ma bonne, patience! aujourd’hui, j’ai reçu ma nomination officielle à la préfecture du Mont-Blanc et je dois partir demain; sitôt mon installation faite et mon administration réformée, je te jure que je reviendrai célébrer notre mariage clandestin; nous quitterons Paris sur l’heure, et je te présenterai là-bas à mes sujets comme une ancienne épouse.

      – O mon ami, que je suis heureuse!.. mais ton absence ne sera pas longue, n’est-ce pas? Seule, ici, je souffrirais trop dans l’expectative.

      – Petite pédante; si tu comprenais combien je t’aime!

      – Mais, Bertholin, que faites-vous?.. Ne m’embrassez donc pas comme cela!..

      – Amie!..

      – Vous me traitez ce soir bien cavalièrement, monsieur!..

      – Non, amie! je vous traite en épouse.

      – En épouse!.. la suis-je, monsieur?

      – Quand deux êtres qui s’aiment se sont fait un serment, a-t-il besoin pour être sacré d’être visé par le municipal? La loi ne fait que ratifier. Nous nous aimons à toujours, nous nous le sommes juré, nous sommes époux: et si nous sommes époux, à quoi bon?..

      – Toute liaison sans la sanctification de Dieu est péché.

      – Dieu, comme la loi, ne fait que ratifier.

      – Je ne puis lutter avec vous, je ne suis pas subtile en controverse, je ne décline pas ma faiblesse, mais soyez généreux!

      – Je le suis!

      – Mais laissez-moi, Bertholin, vous êtes indigne de vous ce soir! que me voulez-vous?.. Ah! c’est mal, une pauvre fille!.. Bourreau! pouvez-vous bien me torturer de la sorte?.. J’appelle!..

      – Appelle.

      – Je frappe au plancher et fais monter vos domestiques.

      – Ils ne monteront pas.

      – Hélas! hélas! c’est mal, Bertholin!..

      Maintenant, mon ami, tu vas me dédaigner, tu vas me repousser, tu ne voudras plus pour compagne d’une fille si peu fidèle à son devoir, d’une fille sans honneur?

      – Ne parle pas ainsi, Apolline, tu me blesses! Il faut que tu m’estimes bien lâche et bien bas. Moi, t’abuser? oh! non, jamais! cela te rehausse encore en mon cœur.

      – Tu m’aimes encore?

      – A toujours!

      – Mais ta voix vient de changer subitement, ciel! est-ce bien toi, Bertholin? Folle que je suis … fatal pressentiment!.. oh! si j’étais trompée!.. C’est bien toi, Bertholin, réponds-moi? je t’en prie, parle-moi, est-ce toi, Bertholin? est-ce toi?..

      Laisse-moi toucher ta figure, Bertholin n’a pas de barbe; oh! si j’étais trompée!..

      – La belle, dit alors l’énigme à pleine voix, la morale de ceci est qu’il ne faut pas recevoir ses amants sans flambeau.

      A cet accent inconnu, Apolline tomba de sa hauteur sur le plancher.

      Quand, revenue de son anéantissement, elle eut recueilli ses esprits et ses forces, elle se traîna sans bruit jusqu’à la croisée, un rayon de la lune glissant dans la chambre éclairait la tête de l’homme qui dormait profondément dans un fauteuil. Apolline, tremblante, le considéra: il était vêtu de noir, portait baissée une tête blême, où pleuvaient des cheveux roux; ses yeux étaient caverneux, son nez long et en fer de lance, ses joues étaient accoutrées de favoris rouges, taillés carrément comme des sous-pieds.

      – Quel est cet homme? se disait cette malheureuse enfant. Oh! l’infâme Bertholin, c’est lui qui m’a fait cette abomination!.. à qui croire? ah! c’est affreux que de tromper ainsi!..

      Sur la poitrine de l’inconnu elle sentit un portefeuille; tout au monde elle aurait donné pour pouvoir le soustraire, espérant par-là découvrir son suborneur; mais c’était impossible, son habit était croisé et boutonné jusqu’en haut.

      En cette fatale angoisse elle maudissait Bertholin et Dieu.

      Enfin, accablée par le chagrin, le sommeil, elle s’accroupit de nouveau et s’assoupit sur le plancher trempé de ses larmes.

      Quand elle s’éveilla, il faisait grand jour, le fauteuil était vide, elle était seule, face à face avec sa honte.

       III

      MATER DOLOROSA

      Le portier monta dans la journée chez Apolline pour lui remettre un sac d’argent: c’était la somme que Bertholin devait lui faire parvenir incognito après son départ; car il redoutait qu’avant son retour, cette malheureuse, sans ressource, ne succombât sous le besoin.

      – De quelle part? demanda Apolline.

      – Je ne sais, mademoiselle, un inconnu vient de me l’apporter pour vous, sans dire plus.

      – Remportez cet argent!

      – Je ne puis, on m’a bien dit: pour mademoiselle Apolline.

      – Remportez-le, vous dis-je!

      Le bon homme était tout interdit.

      Apolline, fière et noble, le repoussait d’autant plus durement, qu’elle présumait en son cœur que c’était le prix de son déshonneur, que l’homme de la nuit tarifait pour l’humilier encore et l’avilir plus bas.

      Mais le portier, tout en s’excusant, jeta le sac sur la table et se retira précipitamment.

      Tout le jour, Apolline fut aux aguets; elle écouta si elle n’entendrait point, au-dessous, dans l’appartement de Bertholin, quelque bruit, marcher, remuer des meubles, ouvrir les portes ou les fenêtres, mais vainement. Ainsi, elle épia plusieurs jours de suite, sans plus de succès. Enfin elle se hasarda, un soir, de descendre heurter; pas de réponse: Bertholin avait emmené ses domestiques avec lui.

      L’imbroglio se


Скачать книгу