Champavert. Borel Pétrus

Champavert - Borel Pétrus


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d’avoir autant tardé à vous remercier de l’envoi que vous avez bien voulu me faire de vos poésies. M. Gérard ne m’a donné votre adresse que depuis quelques jours.

      Si le métal bouillonnant a rejeté ses scories; ces scories font bien présumer du métal, et, dussiez-vous vous irriter contre moi de trop présumer de votre avenir, j’aime à croire qu’il sera remarquable. J’ai été jeune aussi, Monsieur, jeune et mélancolique, comme vous je m’en suis souvent pris à l’ordre social des angoisses que j’éprouvais: j’ai conservé telle strophe d’ode, car jeune je faisais des odes, où j’exprime le vœu d’aller vivre parmi les loups. Une grande confiance dans la divinité a été souvent mon seul refuge. Mes premiers vers un peu raisonnables l’attesteraient; ils ne valent pas les vôtres, mais, je vous le répète, ils ne sont pas sans de nombreux rapports; je vous dis cela pour que vous jugiez du plaisir triste, mais profond, que m’ont fait les vôtres. J’ai d’autant mieux sympathisé avec quelques-unes de vos idées, que si ma destinée a éprouvé un grand changement, je n’ai ni oublié mes premières impressions, ni pris beaucoup de goût à cette société que je maudissais à vingt ans. Seulement aujourd’hui je n’ai plus à me plaindre d’elle pour mon propre compte, je m’en plains quand je rencontre de ses victimes. Mais, Monsieur, vous êtes né avec du talent, vous avez reçu de plus que moi une éducation soignée; vous triompherez, je l’espère, des obstacles dont la route est semée; si cela arrive, comme je le souhaite, conservez bien toujours l’heureuse originalité de votre esprit et vous aurez lieu de bénir la providence des épreuves qu’elle aura fait subir à votre jeunesse.

      Vous ne devez pas aimer les éloges; je n’en ajouterai pas à ce que je viens de vous dire. J’ai pensé d’ailleurs que vous préfériez connaître les réflexions que votre poésie m’aurait suggérées. Vous verrez bien que ce n’est pas par égoïsme que je vous ai beaucoup parlé de moi.

      Recevez, Monsieur, avec mes sincères remercîmens, l’assurance de ma considération et du plus vif intérêt.

BÉRANGER.

      16 février 1832.

A PÉTRUS BOREL

      Brave Pierre, pourquoi cette mélancolie

      Qui règne dans tes vers; pourquoi sur l’avenir

      Ce regard douloureux suivi d’un long soupir,

      Pourquoi ce dégoût de la vie?

      Elle est belle pourtant: regarde l’horizon

      Qui s’ouvre devant nous, éclatant de lumières…

      Va, nous saurons franchir ces débiles barrières

      Qui nous tiennent comme en prison.

      Ou’importe un peu de peine au matin de la vie,

      Ou, le nuage obscur errant à ton zénith?

      Le nom qu’on a gravé sur le rude granit

      Échappe à l’ongle de l’envie.

      Et quand viendra le soir, nous aurons le repos,

      Nous trouverons la gloire au bout de la carrière,

      Et l’amour sera là, séduisante chimère!

      Versant son baume sur nos maux.

      Regarde autour de nous ces masses immobiles

      Ignorant de l’amour les doux embrassemens,

      Ou de l’ambition les beaux emportemens,

      Êtres incomplets et débiles!

      N’ont-ils pas plus que nous droit d’accuser le ciel,

      Ceux qui, jetés tous nus sur cette route aride,

      De leurs lèvres de feu, pressent la coupe vide,

      Ou n’y rencontrent que du fiel?

      Et toi, tu te plaindrais (quand, tout plein de jeunesse,

      Tu bondis libre et fort comme un brave coursier),

      De quelques jours de deuil que te font oublier

      Les doux baisers d’une maîtresse.

      Que veux-tu donc de plus demander pour ta part?

      Amour, gloire, amitié, t’échoiront en partage,

      N’est-ce donc pas assez pour charmer le voyage?

      La fortune viendra plus tard!

      En avant, en avant! courage brave Pierre!

      Porte ta lourde croix par les vilains chemins,

      Sans montrer aux regards tes genoux et tes mains,

      Meurtris sur les angles de pierre.

      Car la gloire est marâtre à ses pauvres enfans!..

      Devant les lauréats le monde entier s’incline;

      Mais il ne doit pas voir la couronne d’épine

      Qui déchire leurs fronts brûlans.

      Ces vers portent la signature d’un grand artiste dont s’honore la France, nous aurions bien voulu pouvoir la livrer à la publicité, mais nous avons craint d’effaroucher sa modestie, et de paraître par trop indiscret en décelant la source d’une poésie naïve, toute d’intimité, d’intimité confidentielle.

      En faisant deux parts, l’une des aboiemens et l’autre des nobles et amitieux conseils, on verra, en ce cas, comme en tous, que ce n’est que du bas étage que sort la sale critique.

      Voici tout ce que nous avons pu recueillir sur la vie matérielle de Champavert: quant à l’histoire de son âme, elle est tout entière dans ses écrits; nous renverrons, d’abord, à ce présent livre de contes, et puis aux Rapsodies dont la seconde édition va paraître incessamment.

      Enfin, pour des détails sur son dégoût de la vie et son suicide, nous renverrons à la narration intitulée Champavert qui termine cet ouvrage.

      M. Jean-Louis, son inconsolable ami, a bien voulu nous confier pour les mettre en ordre, tous les manuscrits et petits papiers de Champavert, dont il était possesseur; et il a bien voulu aussi nous autoriser à en publier ce que bon nous semblerait; nous avons d’abord choisi et recueilli entre beaucoup d’autres ces nouvelles inédites.

      Si le monde leur faisait un bon accueil, nous les publierions toutes successivement, ainsi que plusieurs romans et plusieurs drames que nous avons également entre les mains.

      La mort prématurée de ce jeune écrivain est-elle une perte réelle et regrettable pour la France? Nous ne pouvons répondre, nous, c’est à la France à le juger, c’est à la France à assigner son rang, c’est à Lyon, sa patrie, à revendiquer et à faire l’apothéose de son jeune et trop infortuné poète.

      Mais nous croyons qu’il est de notre politesse de prévenir les lecteurs, qui cherchent et aiment la littérature lymphatique, de refermer ce livre et de passer outre. Si, cependant, ils désiraient avoir quelques notions sur l’allure d’esprit de Champavert, il leur suffirait de lire ce qui suit.

      A la réception de la lettre où Champavert le prévenait de son extrême détermination, M. Jean-Louis partit sur l’heure, espérant arriver assez à temps pour le détourner de son funeste projet; il était trop tard. Sitôt à Paris, il se présenta au domicile de Champavert, on lui affirma qu’il était allé faire un voyage de long cours. Dans la ville, il ne put obtenir aucun renseignement. Mais, le soir, parcourant la Tribune, au café Procope, il en rencontra de cruels et de positifs. Le lendemain il fit enlever le cadavre de son ami, exposé à la morgue depuis trois jours, et le fit enterrer au cimetière du Mont-Louis; près du tombeau d’Héloïse et d’Abélard, vous pourrez voir encore une pierre brisée, moussue, sur laquelle, se penchant, on lit avec peine ces mots: A Champavert, Jean-Louis.

      Vivement ému par le suicide de ce jeune cœur, et des larmes m’étant échappées pendant le récit que M. Jean-Louis en fit au café, touché, il s’approcha


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