Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6 - George Gordon Byron


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un jour. – Partons! partons!

MANFRED

      J'ai commandé à des êtres d'une essence plus élevée que la tienne; j'ai lutté avec tes maîtres. Disparais!

L'ESPRIT

      Mortel! ton heure a sonné. – Partons, te dis-je!

MANFRED

      Je sais, je savais depuis long-tems que mon heure était arrivée; mais non pour rendre mon ame à un être tel que toi. Va-t'en: je mourrai comme j'ai vécu, – seul.

L'ESPRIT

      J'appellerai donc mes frères. – Levez-vous!

(D'autres esprits paraissent.)L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Hors d'ici! méchans! hors d'ici! – Je vous le dis, vous n'avez aucune puissance là où la religion a puissance. Je vous somme, au nom-

L'ESPRIT

      Vieillard! nous savons qui nous sommes, et nous connaissons notre devoir et ton ministère. N'use pas en vain tes saintes paroles. Tout effort est inutile: cet homme est condamné. Pour la dernière fois, qu'il m'écoute! – Partons! partons!

MANFRED

      Tous, je vous brave. – Oui, bien que je sente mon ame se séparer de moi, je vous défie tous. Tant qu'il me restera un souffle terrestre, ce sera pour verser le mépris sur vous. – Mes forces terrestres lutteront avec des esprits; et ce que vous emporterez de moi, vous l'emporterez lambeaux par lambeaux.

L'ESPRIT

      Orgueilleux rebelle! Est-ce donc là ce magicien qui voulait pénétrer dans le monde invisible et s'égaler à nous? – Se peut-il que tu sois si amoureux de la vie, de la vie qui n'a été pour toi que désolation?

MANFRED

      Tu mens, toi, faux ennemi! Ma vie est à sa dernière heure, je le sais, et ne voudrais pas racheter une minute de cette heure. Aussi, n'est-ce pas contre la mort que je lutte, mais contre toi et ces anges déchus qui t'entourent. Ce n'est pas de vos mains que j'ai reçu mon ancien pouvoir, mais d'une science supérieure à la vôtre: – du travail, – de l'audace, – de la longueur des veilles, – de la force de mon esprit, et de ces mystérieuses connaissances découvertes par nos pères, – en ce tems où la terre voyait les hommes et les esprits marcher de compagnie, et que vous n'aviez sur nous aucune prééminence. Je m'appuie sur ma propre force pour vous défier. – Retournez aux lieux d'où vous êtes venus: – je me ris de vous et vous méprise! -

L'ESPRIT

      Tu oublies que tous tes crimes t'ont rendu-

MANFRED

      Qu'ont à faire mes crimes avec toi? mes crimes punis par d'autres crimes et par de plus grands criminels! – Retourne à ton enfer! tu n'as, je le sens, aucune puissance sur moi. Jamais je ne deviendrai ta proie, c'est là ce que je sais. Ce qui est fait est fait. Je porte au-dedans de moi une torture à laquelle tu n'as rien à ajouter. L'ame immortelle se juge d'après ses bonnes ou ses mauvaises pensées; elle est elle-même sa propre source du bien ou du mal. Elle est sa place et son tems, – et lorsqu'une fois ce sens intime est dépouillé de son enveloppe mortelle, il ne reçoit plus aucune sensation des objets qui flottent à l'entour de lui; mais il s'absorbe tout entier dans la souffrance ou dans la joie que lui inflige ou lui accorde la conscience de son propre mérite. Quant à toi, tu ne m'as pu tenter, et tu ne saurais me tenter; je n'ai point été ta dupe, je ne serai point ta proie. Je fus et je serai mon propre destructeur. – Fuyez, misérables ennemis! La main de la mort pèse sur moi, – mais non votre main!

(Les démons disparaissent.)L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Hélas! comme tu es pâle; – tes lèvres blanchissent, – ta poitrine est oppressée, – des râlemens étouffés s'échappent de ta gorge. – Donne une prière au ciel. – Prie, – ne fût-ce qu'en pensée; – mais ne meurs pas ainsi!

MANFRED

      Il est trop tard. – Mon œil obscurci peut à peine t'entrevoir; tout nage autour de moi, et la terre semble me soulever. Adieu! – Donne-moi ta main.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Froide, – froide, – son cœur aussi. – Au moins une prière! – Hélas! que vas-tu devenir?

MANFRED

      Vieillard! il n'est pas si difficile de mourir!

(Manfred expire.)L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Il est parti; – son ame a pris son vol loin de notre terre, – vers quels lieux? – Je frémis d'y songer; – mais il n'est plus.

      FIN DU TROISIÈME ET DERNIER ACTE.

      MARINO FALIERO, DOGE DE VENISE,

      TRAGÉDIE HISTORIQUE

PRÉFACE

      La conspiration du doge Marino Faliero est l'un des événemens les plus remarquables que renferment les annales du gouvernement, de la ville et du peuple les plus singuliers de nos tems modernes. Elle eut lieu en 1355. Tout, dans Venise, est ou a été extraordinaire; son aspect a l'air d'un rêve, son histoire a l'air d'un roman. On peut voir dans toutes les chroniques, l'histoire de Faliero; les plus longs détails se retrouvent dans le livre de la Vie des Doges, par Marin Sanuto: nous les avons transcrits dans l'appendice. Ce récit est simple et clair; peut-être même est-il plus dramatique que tous les drames que l'on pourrait être tenté de faire sur le même sujet.

On doit présumer que Marino Faliero fut un homme de talent et de cœur. On le voit au siège de Zara, commandant en chef les forces de terre, mettant en fuite le roi de Hongrie et ses quatre-vingt mille hommes, lui tuant huit mille soldats, et n'en tenant pas moins, durant ce tems, les assiégés en échec. Je ne vois, dans l'histoire, de comparable à cet exploit, que ceux de César à Alisia5, et du prince Eugène à Belgrade. Faliero fut, dans la même guerre encore, choisi pour commander la flotte, et il prit Capo-d'Istria. Puis, nommé plus tard ambassadeur à Gênes et à Rome, c'est dans cette dernière ville qu'il reçut la nouvelle de son élection à la dignité de doge. Son éloignement prouve assez que l'intrigue n'avait eu, dans cette promotion, aucune part, puisqu'il apprit en même tems la mort de son prédécesseur et le choix qu'on venait de faire de sa personne pour le remplacer. Mais il paraît que son caractère était intraitable. Sanuto raconte que, plusieurs années auparavant, étant podestat et capitaine de Trévise, il avait frotté les oreilles d'un évêque, qui avait mis une certaine lenteur à lui porter le Saint-Sacrement. Le bon Sanuto le tance, il est vrai, de cet emportement, mais il ne nous apprend pas si le sénat songea à l'en punir, ou même à le lui reprocher pendant la durée de son office. Quant à l'église, on doit présumer qu'elle n'en conserva pas de ressentiment, puisque nous voyons qu'il fut ensuite ambassadeur à Rome, et investi, par Lorenzo, comte-évêque de Ceneda, du fief de Val di Marino, dans la Marche de Trévise, avec le titre de comte. J'ai puisé ces faits dans Sanuto, Vettor Sandi, Andrea Navagero, et la relation du siége de Zara, publiée pour la première fois par l'infatigable abbé Morelli, dans ses Monumenti Veneziani di varia litteratura, imprimés en 1796: j'ai lu tous ces ouvrages dans leur langue originale. Quant aux modernes, Daru, Sismondi et Laugier, ils se sont bornés presqu'en tout à suivre les chroniques les plus anciennes. Sismondi, cependant, attribue à la jalousie du doge cette conspiration; mais cette assertion n'est pas garantie par les écrivains nationaux. Vettor Sandi dit bien: Altri scrissero che… della gelosa suspicion di esso Doge siasi fatto (Michel Steno) staccar con violenza, etc., etc.; mais il ne paraît avoir nullement suivi l'opinion générale, et l'on ne trouve aucune trace de cette prétendue jalousie dans Sanuto ni dans Navagero. Sandi lui-même ajoute l'instant d'après que: Per altre Veneziane memorie traspiri, che non il solo desiderio di vendetta lo dispose alla conjiura, ma anche la innata abituale ambizion sua, per cui anelava a farsi principe independente. Il semble que ce désir de vengeance fut excité par la grossière injure que Michel Steno avait tracée sur le fauteuil ducal, et par la trop légère punition que les Quarante avaient infligée au calomniateur, l'un de leur tre capi. Quant à la dogaressa, on n'a jamais songé à porter la plus légère atteinte à sa réputation de vertu, tandis qu'on a vanté sa beauté et remarqué sa jeunesse. Les attentions de Steno n'étaient pas même dirigées vers elle, mais sur l'une de ses suivantes. Ainsi, nulle part (à moins qu'on ne prenne pour une assertion l'on


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(retour) Byron écrit Élésia; mais c'est évidemment une faute d'impression. L'exploit que rappelle ici notre poète est longuement et admirablement décrit dans le septième livre des Commentaires.(N. du Tr.)