Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6. George Gordon Byron
tragédie de l'ordre le plus élevé. Walpole est le père de notre premier roman et de notre dernière tragédie, et sans doute, à ce double titre, il est digne de plus d'estime qu'aucun écrivain vivant, quel qu'il soit.
En parlant du drame de Marino Faliero, j'oubliais de rappeler que le désir (trop faible encore) de respecter la règle des unités, qu'on accuse le théâtre anglais de trop fouler aux pieds, m'a décidé à représenter la conspiration comme déjà formée, et le doge y accédant long-tems après. Dans le fait, elle fut son propre ouvrage, et celui d'Israël Bertuccio. Quant au reste des personnages (à l'exception de la duchesse), aux incidens et à la durée de l'action, qui fut merveilleusement rapide, tout est strictement historique dans ma pièce, si ce n'est que toutes les délibérations eurent lieu, non pas dans une maison particulière, mais dans le palais ducal. Si je m'étais en cela conformé à la vérité; l'unité aurait été mieux gardée; mais j'ai préféré faire apparaître le doge dans la grande assemblée des conspirateurs, au lieu de le placer toujours en conversation monotone avec les mêmes individus. Je renvoie pour les faits aux extraits italiens de l'appendice.
MARINO FALIERO, DOGE DE VENISE,
TRAGÉDIE HISTORIQUE
HOMMES.
MARINO FALIERO, Doge de Venise.
BERTUCCIO FALIERO, neveu du Doge.
LIONI, noble et sénateur.
BENINTENDE, président du Conseil des Dix.
MICHEL STENO, l'un des trois chefs des Quarante.
ISRAEL BERTUCCIO, gouverneur de l'arsenal.
PHILIPPE CALENDARO,}
DAGOLINO,} conspirateurs.
BERTRAM, }
SEIGNEUR DE LA NUIT (Signore di Notte), l'un des officiers de la République.
PREMIER CITOYEN.
SECOND CITOYEN.
TROISIÈME CITOYEN.
VINCENZO,}
PIETRO,} officiers du palais ducal.
BATTISTA, }
LE SECRÉTAIRE DU CONSEIL DES DIX.
Gardes, Conspirateurs, Citoyens. Le Conseil des Dix, la Junte, etc., etc.
FEMMES.
ANGIOLINA, femme du Doge.
MARIANNE, son amie.
Suivantes, etc.
MARINO FALIERO
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
Le messager n'est pas revenu?
Pas encore: comme vous me l'aviez ordonné, j'ai envoyé plusieurs fois, mais la seigneurie est réunie en conseil secret, et discute longuement l'affaire de Steno.
Trop longuement; tel est du moins l'avis du Doge.
Mais de quel air supporte-t-il ces instans d'attente?
Avec une patience admirable: placé à la table ducale dans toute la pompe qui appartient à son rang, il examine avec l'apparence d'une attention rigoureuse, pétitions, actes, rapports, plaintes, dépêches; mais si par hasard il entend le mouvement d'une porte éloignée, ou le bruit de quelqu'un qui semble approcher, ou le murmure d'une voix, ses yeux alors se relèvent avec vivacité, il s'élance de son fauteuil, puis s'arrête, se rasseoit encore, et laisse retomber ses yeux sur les papiers: mais je l'ai bien observé, et, pendant la dernière heure, il n'a pas tourné un feuillet.
On dit qu'il est fort ému, et sans doute il est, pour Steno, bien honteux de l'avoir offensé si durement.
Oui, si c'était un pauvre diable; mais Steno est un noble, il est jeune, fier, brillant et d'humeur hardie.
Ainsi, vous pensez qu'on ne le jugera pas avec sévérité?
Eh! mon Dieu, qu'on le juge avec justice; mais ce n'est pas à nous à prévenir la sentence des Quarante.
D'ailleurs on vient. – Quelles nouvelles, Vincenzo?
Tout est décidé, mais on ignore encore quel est le jugement; j'ai vu le président occupé à sceller le parchemin qui doit porter au Doge la décision des Quarante, et je cours l'en informer.
SCÈNE II
Ils ne peuvent vous refuser justice.
Oui, comme les Avogadori, qui renvoyèrent mon accusation aux Quarante, pour le faire juger par ses pairs, par le tribunal dont il fait lui-même partie.
Ses pairs se garderont de le protéger; un tel acte ferait tomber en mépris toute espèce d'autorité.
Ne connaissez-vous donc pas Venise? Ne connaissez-vous pas les Quarante? mais nous allons bien voir.
Eh bien! quelles nouvelles?
Je suis chargé de dire à son altesse que la cour a rendu ses décisions, et qu'aussitôt l'expédition du jugement, la sentence sera présentée au Doge. En attendant, les Quarante saluent le prince de la république, et le prient d'agréer leurs marques de dévouement.
Fort bien, ils sont trop respectueux, ils ont une déférence excessive. La sentence, dites-vous, est rendue?
Je le répète à votre altesse, le président imprimait le sceau quand je fus appelé, afin d'en informer, sans perdre un instant, et le chef de la république, et le plaignant, qui ne font aujourd'hui qu'un seul.
N'avez-vous pu deviner quelque chose de leur arrêt?
Non, monseigneur; vous connaissez la discrétion habituelle des cours de Venise.
Mais il est toujours quelque indice pour un esprit vigilant, pour un œil exercé; un chuchotement, un murmure, l'aspect du tribunal plus ou moins solennel. Les Quarante ne sont que des hommes-les plus respectables, les plus sages, les plus justes, les plus prudens du monde-je le garantis: ils sont discrets comme la tombe à laquelle ils condamnent les criminels; mais avec tout cela, Vincenzo, – des yeux perçans comme les vôtres auraient dû lire dans leur contenance, – du moins dans celle des plus jeunes, l'arrêt qu'ils viennent de prononcer.
Je ne les vis qu'un moment, et je n'eus pas le tems d'approfondir ce qui se passait dans l'esprit ni même dans la contenance des juges; l'attention que je donnais à l'accusé, Michel Steno, m'empêchait-
Et quel était son air, à lui, répondez?
Calme, sans être abattu, il semblait résigné au décret, quel qu'il fût; – mais on vient instruire son altesse.
Le haut tribunal des Quarante offre ses vœux et son respect au premier magistrat de Venise, le Doge Faliero; il invite son altesse à prendre connaissance et à approuver la sentence rendue contre Michel Steno, d'une naissance noble, convaincu des charges à lui intentées, et détaillées avec le jugement, dans l'expédition que je vous présente.
Retirez-vous