Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste
comme à plusieurs autres que nous dirons, il mérite d’être proclamé le sauveur des missions du Nord. Mgr Faraud, qui se laissa entraîner dans le plan de Mgr Taché, bien plus par sa confiance en son métropolitain que par conviction personnelle, qualifiait ensuite ce plan de «génial»; et ses lettres sont encore aux archives de Saint-Boniface, pour attester que ce fut à l’exécution de ce plan que la foi catholique dût d’avoir subsisté dans son vicariat d’Athabaska-Mackenzie, et de s’être étendue aux confins de la terre.
Comme il s’agissait d’atteindre le fort Mac-Murray, d’où les convois n’avaient plus qu’à se laisser descendre sur des eaux faciles; et où, par conséquent, la Compagnie consentirait toujours à reprendre les transports des missions, Mgr Taché avait tout simplement songé à prendre la route directe des rapides de l’Athabaska.
Pour se mettre à la portée de ces rapides, il était nécessaire de créer un entrepôt distinct de celui de Saint-Boniface, celui-ci étant par trop éloigné de l’Athabaska-Mackenzie. A ce nouvel entrepôt, les pièces destinées à l’Extrême-Nord se rendraient d’avance, et ainsi pourrait-on tenir la cargaison prête à être lancée, au moment propice, sur les rapides, vers Mac-Murray.
Le choix de Mgr Taché tomba sur le lac la Biche, situé à l’intersection du 55e degré de latitude avec le 113e de longitude, méridien de Greenwich.
Le double avantage du lac la Biche était qu’on le rejoignait, de Saint-Boniface, par la prairie, en deux mois de marche seulement, et qu’il conduisait directement à la rivière Athabaska, dont il est le tributaire, au moyen de sa propre décharge, la petite rivière la Biche.
Mgr Taché conçut ce projet, en 1855, alors qu’il était l’unique évêque du Nord-Ouest, et qu’il n’était pas encore question des vicariats de Saint-Albert et de l’Athabaska-Mackenzie.
Il travailla immédiatement à le mettre en œuvre, en envoyant, à la place du Père Rémas, qui végétait depuis deux ans au lac la Biche, deux hommes parfaitement doués pour mener à bien l’entreprise: les Pères Tissot et Maisonneuve.
L’année suivante, 1856, Mgr Taché lui-même arriva sur l’emplacement à peine défriché de la future mission Notre-Dame des Victoires du lac la Biche; et, résolu à dénouer en personne le mystère des rapides, il s’engagea, en canot d’écorce, dans l’exploration de cet itinéraire redouté, où son expérience allait entraîner tant de convois: la traversée du lac la Biche, la descente de la petite rivière la Biche, et le saut des rapides de l’Athabaska.
Il a laissé quelques phrases sur son audacieux essai:
Cette partie du fleuve géant était décrite comme pleine de dangers et d’une navigation presque impossible. L’évêque de Saint-Boniface, devant se rendre au lac Athabaska, choisit cette route inconnue et réputée si dangereuse. Il eut le plaisir de constater qu’il y avait beaucoup d’exagération dans tous ces récits effrayants, et que cette rivière ressemble à tant d’autres sur lesquelles on navigue tous les jours. Après sept jours et deux nuits d’une marche heureuse, il arrivait à 2 heures du matin, pour donner le Benedicamus Domino aux missionnaires du lac Athabaska. C’était le 2 juillet, joli jour pour une visite! Les Pères Grollier et Grandin, et le Frère Alexis, réveillés en sursaut à la voix de leur évêque, versèrent des larmes de joie, en voyant leur supérieur plus tôt qu’ils ne l’attendaient, et échappé heureusement aux dangers prétendus, mais supposés réels, de cette navigation.
Mgr Taché parlait donc des plus grands «dangers» du Nord avec l’indifférence que mettent nos poilus à raconter leurs batailles. Il s’y était habitué. Puis, c’était un modeste. Enfin, il écrivait en 1865, date où il importait de ne pas décourager ses missionnaires.
Pendant onze ans, de 1856 à 1867, les rapides furent rendus à leur solitude et aux ébats des Peaux-Rouges, tandis que la mission de Notre-Dame des Victoires se développait dans le sens de son importance à venir.
En 1867, la première caravane blanche des rapides s’organisa. Elle comptait Mgr Faraud, devenu vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie depuis quatre ans, et cinq Sœurs de la Charité, dites Sœurs Grises de Montréal, qui allaient fonder leur premier établissement arctique, au fort Providence, sur le fleuve Mackenzie. Cette odyssée d’aventures et de bravoure, aussi gaiement et simplement racontée par les religieuses elles-mêmes qu’elle avait été accomplie, fut publiée cinquante ans plus tard, pour la première fois, au cours d’un livre qui tâche de résumer les travaux des Sœurs Grises dans l’Extrême-Nord, et que S. G. Mgr Breynat, vicaire apostolique du Mackenzie, a dédié, en «hommage jubilaire», à celles qui travaillèrent avec nous dans la diffusion de l’Evangile.11
Le lendemain de Noël 1869, après avoir veillé à l’installation des Sœurs Grises, au fort Providence, et pourvu aux premiers besoins de leur orphelinat-hôpital, Mgr Faraud «chaussa les raquettes» et s’achemina de nouveau vers le lac la Biche.
Il y arriva, en février 1870, et n’eut que le temps d’aviser aussitôt à l’expédition des colis que Mgr Taché, prévenu de la décision de la Compagnie, avait dirigés, dès 1869, de Saint-Boniface sur le lac la Biche.
Mgr Faraud demeura vingt ans au poste du lac la Biche. Ce fut le champ principal de sa vie d’évêque.
Vingt ans de calculs, de soucis, de correspondances, de travaux manuels exigés par l’arrivée, la mise en ordre et l’envoi des pièces, malgré les continuelles souffrances d’un organisme ruiné par la fatigue et les privations. Vingt ans de labeur qui suffirent à établir son vicariat sur des bases qui le supportent encore aujourd’hui, tout dédoublé qu’il soit en Athabaska et en Mackenzie.
Il eut pour l’assister, pendant ces vingt ans, des auxiliaires de tout dévouement, parmi lesquels les Pères Maisonneuve, Tissot, Grouard, Collignon, Leduc, Henri Grandin.
La première expédition, faite du lac la Biche pour Mac-Murray, consistait en une barge, contenant 80 pièces de 100 livres chacune. C’était peu; mais c’était beaucoup plus déjà que n’en avait jamais permis la route du Portage la Loche.
Bientôt le convoi se doubla, et les missions purent se doubler aussi. Les deux barges étaient frétées régulièrement, à la débâcle de mai, et partaient, poussées par 17 rameurs, sur les premières eaux.
Plusieurs fois elles échouèrent dans les rapides. Elles s’y brisèrent. L’une ou l’autre y laissa, en tout ou en partie, son précieux chargement. Il y eut des retards, des déceptions. Il arriva à des guides sans pitié d’y abandonner les voyageurs. Plusieurs y furent blessés. D’aucuns y furent réduits aux extrémités de la misère. Mgr Faraud lui-même faillit y mourir de faim. Mais, comme si la bénédiction de Mgr Taché eût lié les maléfices de ces rapides de l’Athabaska, nul missionnaire n’y périt, pas plus durant les vingt ans de Mgr Faraud, que durant les vingt-huit qui suivirent, sous Mgr Grouard et sous Mgr Breynat, tandis que des commerçants, explorateurs et touristes y trouvèrent la mort.
Tout en veillant à la marche ordinaire des affaires, Mgr Faraud tenta, dès 1870, la réalisation d’un projet, consistant à tailler en plein bois, du lac la Biche à Mac-Murray, un chemin continu et direct de voitures, qui brûlerait l’étape des rapides. Il y travailla à plusieurs reprises, mais en pure perte, car les moyens d’action trahirent sa volonté; et les 120 kilomètres apprêtés durent être abandonnés, sans avoir jamais servi.
Non découragé par cet échec, il tourna ses efforts contre la petite rivière la Biche, qu’il fallait descendre pour parvenir à la rivière Athabaska, et dont les propres rapides, quoique moins périlleux que ceux de l’Athabaska, ne laissaient pas d’être très incommodes par leurs crues capricieuses, leurs eaux souvent trop basses et les retards qui s’ensuivaient. Il envoya le Père Collignon et quelques ouvriers pratiquer dans la forêt une «trouée de 80 kilomètres de long sur 4 mètres de large». Ce chemin fut en usage de 1878 à 1889.
Voulez-vous avoir une idée du premier
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V.